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1937

La bouteille a tué le tonneau

 

 

Source : La Dépêche de Brest 10 décembre 1937

 

Les fûts s'alignent en rangs pressés sur les quais, les éperons, les terre-pleins du port de commerce.

Ils encadrent les bassins, définitivement semble-t-il.

 

Et cependant, partout on en charge, et tous les jours, sur des camions qui s’en vont les porter aux quatre coins de la Bretagne.

 

On les embarque sur des voiliers pour les répartir dans les ports de la côte.

 

C'est que, presque quotidiennement, de grands navires en apportent de nouveaux par centaines, par milliers.

Ils viennent de Tunisie ou d'Algérie les cales bondées, le pont surchargé jusqu'à hauteur de la passerelle.

Rapidement ils se délestent des fûts pleins et se hâtent d'embarquer les vides pour repartir pour un nouveau voyage.

 

De telles avalanches de fûts pourraient faire croire que ceux qui les fabriquent ne sont pas sur le point de connaître le chômage.

Pourtant, chez nous, la tonnellerie est dans le marasme le plus complet.

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— Tous ces fûts-là, nous confie un tonnelier, sont fabriqués en Algérie, où la main-d’œuvre indigène est bien moins chère que la nôtre.

 

« Ici, nous n'avons plus rien à faire : la bouteille a tué le tonneau !

 

« Jadis, notre industrie était florissante, particulièrement à Morlaix, qui était le centre de la tonnellerie.

Là on expédiait en fûts des beurres, des graisses, des miels, et l'on exécutait le barillage pour les alcools.

 

« Les commandes affluaient, le travail marchait rondement.

Pour l'exécuter plus rapidement, on spécialisait les hommes de la profession.

L'un était uniquement chargé de la confection des cercles, l'autre des fonds, un troisième de la préparation des bois pour le montage des fûts.

 

« Un beau jour, tout cela disparut.

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« On cessait de centraliser à Morlaix beurre, graisse et miel ; de plus, on utilisait des emballages moins coûteux.

 

« Le trafic des vins se développant à Brest, les tonneliers pouvaient espérer trouver à utiliser leurs connaissances et leur activité.

Ils furent déçus, comme nous l'avons dit, car les exportateurs algériens s'étaient outillés pour créer des ateliers.

 

« Vers 1920, il existait encore, à Brest, trois entreprises de tonnellerie, employant une quinzaine d'ouvriers.

Actuellement, les trois entrepreneurs sont seuls et ont tout au plus du travail pendant quatre mois par an.

 

« Les gros magasins à succursales multiples ont maintenant des machines pour la mise en bouteilles automatique.

Tous les autres marchands ont suivi l'exemple.

 

« D’autre part, on utilise de plus en plus le fût de fer et aussi les cuves en ciment.

 

« La tonnellerie algérienne est-elle même menacée, puisque l'on a mis en service des bateaux-citernes.

 

« Pour nous, le mal s'amplifie.

Les barriques, demi-barriques et quarts ont à peu près disparu ; on livre tout en bouteilles.

 

« Notre profession est en voie de disparition, tout comme celle des forgerons, des maréchaux-ferrants, des charrons, des selliers et des calfats. »

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