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1937

Étrennes
Le calendrier du facteur

 

 

Source : La Dépêche de Brest 10 décembre 1937

 

Vous les connaissez pour les rencontrer chaque jour.

L'un, le pessimiste à mine atrabilaire ; l'autre, l'optimiste au teint coloré.

Comme ils ne sont jamais d'accord, ils sont inséparables.

 

Hier, la visite de leur facteur, venu le matin présenter son calendrier, suscita leur discussion quotidienne :

 

— Alors qu'il est question de la suppression du pourboire, attaqua le pessimiste, alors que l'on essaie de persuader à ceux qui en reçoivent que cette pratique n'est pas compatible avec la dignité d'un travailleur, tu ne trouves pas étonnant que le gouvernement incite encore des fonctionnaires à présenter à domicile, en échange du classique calendrier, leurs traditionnelles étrennes ?

 

— C'est une vieille coutume, mon vieux, répliqua l'autre.

Ce serait supposer aux facteurs un stoïque détachement des biens de ce monde que de les voir te refuser la belle pièce en simili-argent que tu avais — ne t'en défends pas — mise de côté à leur intention.

 

— L'État n'a qu'à mieux payer ses agents — il vend assez cher ses timbres ! et à supprimer cette pratique surannée.

 

— Mais si on supprimait leurs étrennes, juste récompense, en somme, des services qu'ils te rendent pendant 365 jours, tu serais privé de calendrier.

 

— Les calendriers et almanachs ne manquent pas.

Je m'en procurerais qui me coûteraient moins cher que les étrennes.

 

— Ils ne remplaceraient pas la bonne feuille de carton glacé, dépourvue de toute prétention artistique avec son chromo aux teintes vives, que t'apporte ton facteur.

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« La réception de ce calendrier est un événement, une source de petites joies.

Dès que tu l'as reçu de la main loyale de ce brave homme qui t'a tiré son képi d'un geste d'autant plus large que la pièce remise en échange était plus grosse tu t'es empressé d'admirer son calendrier, imprimé en gros caractères, séparant en colonnes les mois, divisant les semaines et faisant ressortir, en caractères gras, les dimanches...

 

— Pourquoi, avec l'application de la semaine de 40 heures, l'administration n'a-t-elle pas aussi fait ressortir les samedis ?

 

— Elle n'y a pas songé, mais le calendrier signale, en capitales, les jours de fêtes pour annoncer, de plus loin, la joie qu'ils réservent.

 

— Ou les ennuis qu'ils peuvent causer.

 

— Allons ! Je parie que, dès sa réception, tu t'es empressé de regarder si le 14 juillet ne tombait pas un dimanche, que tu as été heureux de constater que le 15 août était un lundi et que tu pourrais, pour la Toussaint, « faire le pont ».

 

— J'ai vu aussi qu'il faudrait attendre la mi-avril pour profiter des congés de Pâques.

 

— Ah, tu avoues... Alors tu n'as pas été sans remarquer que le mois de février n'avait que 28 jours et que ton anniversaire ne tombait pas un vendredi, jour maigre.

 

— J'ai constaté aussi qu'aucun dernier jour du mois n'était férié, pour pouvoir « toucher » la veille.

 

— T'es-tu seulement aperçu que le calendrier du facteur était très instructif ?

As-tu, chez toi, des instruments te permettant de calculer la marche des jours et celle des nuits ?

Ce bon calendrier t'indique l'heure à laquelle le soleil se lève et se couche ;

les nuits éclairées par la lune ;

les éclipses totales ou partielles de ces deux astres.

 

« Il met à ta disposition une carte des chemins de fer, une autre du Finistère, entourées d'une mer d'un bien tendre, et un petit plan de Brest avec ses rues principales.

 

« Tu peux consulter, au moins pour quelques jours ou quelques semaines — car ils changent souvent, sans diminuer jamais — les tarifs des correspondances, ce qui t'évite d'exposer tes amis à payer des surtaxes pour des lettres ou objets insuffisamment affranchis.

 

« Sans être astreint à faire, durant des heures, la queue au guichet, tu as à domicile les « renseignements généraux sur le service des postes, télégraphes et téléphones ».

 

« Tu as à ta disposition les dates de toutes les foires et marchés et les heures des marées.

Tu sais à l'avance, par exemple, que le 14 février, à 17 heures, tu pourras t'aventurer très loin, pendant 14 minutes, sur le banc de Saint-Marc pour y pêcher, avec ton haveneau, si le sort te favorise, une douzaine de crevettes.

 

« Oseras-tu prétendre que ces précieux renseignements ne valent pas plus que la pièce que tu as, en rechignant, remise à ton facteur ? »

 

L'autre ne répondit pas.

Il tourna le dos à son interlocuteur et partit sans lui serrer la main.

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