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1937

Le laboureur et ses mouettes

 

 

Source : La Dépêche de Brest 15 décembre 1937

 

La sécheresse exceptionnelle de cette année a causé bien du souci dans les campagnes.

Les difficultés de ravitaillement en eau ont des conséquences qu'on ne soupçonne pas dans les villes où il suffit de tourner un robinet.

 

La terre devenue extrêmement dure ne se travaillait que très péniblement.

La nourriture d'hiver pour le bétail allait certainement faire défaut.

Et la situation se prolongeait au point qu'en novembre encore les lits des ruisseaux étaient à peu près desséchés.

 

Il y a environ une quinzaine, le baromètre semblait enfin s'émouvoir.

Le ciel s'assombrit, le vent se leva.

Goélands et mouettes venaient par bandes se réfugier à l'abri des jetées.

 

— Signe certain d'un coup de tabac, disaient les vieux marins.

 

Et, en effet, la tempête survint brusque et violente.

 

Sous un ciel noir, les grains se succédaient avec une rare intensité effaçant l'horizon.

Les navires, venus relâcher sur la rade de Brest pendant la bourrasque, ne se voyaient même plus au-delà des jetées.

En rade-abri, les formes des plus gros cuirassés se fondaient dans une atmosphère gorgée d'eau, signalant à peine leur existence par les éclats brefs du télégraphe optique.

 

La pluie tant attendue s'écrasait en larges gouttes rejaillissantes dans des flaques grandes comme des mares.

Sur les pentes, l'eau dévalait avec une précipitation montagnarde.

 

Dans les près, les ruisseaux se sont gonflés à vue d'œil.

Ils ont bientôt, en certains endroits, dépassé leur cadre normal recouvrant les herbages, ceinturant les arbustes.

 

Le ciel est toujours menaçant.

Les grains se succèdent encore abondants, mais plus espacés.

 

Goélands et mouettes ont en grand nombre fui la côte pour venir se réfugier dans les champs.

En voici, sur ce cliché, plusieurs centaines faisant escorte à un laboureur conduisant la charrue.

 

À peine le soc a-t-il creusé le sillon que les grands oiseaux blancs s'abattent en tournoyant vers cette terre fraîche qui leur livre insectes et vermisseaux.

 

Près d'eux, d'innombrables étourneaux viennent aussi chercher leur pitance.

Ceux-là sont tolérés, mais aussi sévèrement rabroués quand, avec désinvolture, ils viennent picorer trop près de leurs robustes voisins.

Ce sont alors des poursuites acharnées qui ne s'achèvent qu'au-delà des haies.

 

Les oiseaux marins ne tolèrent guère la concurrence des pies et des corbeaux qui, après avoir reçu de dures leçons, se bornent prudemment à surveiller ces agapes du haut des arbres du voisinage.

 

Et c'est dans un couronnement d'ailes blanches devenues familières que le laboureur poursuit sa tâche.

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