1937
Landerneau - La vie chère
Source : La Dépêche de Brest 18 novembre 1937
Pour se rendre compte des difficultés actuelles de la vie devant la hausse constante des prix des denrées, due à des causes que nous ne voulons pas examiner, il faut, surtout dans notre coin de Bretagne, fréquenter les places publiques ou les halles les jours de foires et marchés, stationner près des marchandes de beurre et d'œufs, ou encore parfois flâner chez l’épicier ou le boucher.
C’est là où l’on peut saisir sur le vif, devant les récriminations que l’on entend, l’état d’âme de celles qui sont chargées de boucler les modestes budgets familiaux.
Que l'on devrait, si possible, mais hélas tenir compte de leurs doléances, car si on lit les relations de l'époque troublée de notre pays de 1789 jusqu'en 1800, on est surpris de l'analogie qui existe en rapprochant cette période de celle que nous traversons depuis de longs mois :
Crise politique, crise financière, vie chère, salaires, insuffisante, etc.
C'est ainsi qu'en ce qui concerne les salaires, on relève pour notre petite localité de province que, le 10 octobre 1793, le conseil général de Landerneau fixait le taux des salaires pour l'avenir en ajoutant la moitié du prix aux salaires de 1790. (Voir « La révolution à Landerneau », par L. Saluden.)
On proscrit l'usage des bluteaux (*), qui réduiraient les 100 livres de farine à 85 ;
de plus, les locataires de biens nationaux — terres cultivées — devront s'acquitter de leurs loyers en nature (grains, foin, légumes à gousses).
Et pendant des semaines, on continue à taxer.
Enfin, il n'y a plus de vin à Landerneau (voir le cahier des délibérations du conseil) et le conseil décide, le 10 octobre 1793, « qu'aucun acheteur ne pourra demander, aucun vendeur ne pourra délivrer de denrées que sur un bon délivré par le comité de surveillance de ladite société ».
À défaut de viande de boucherie, on se rabat sur la chair de saumon.
Ce poisson peu estimé est maintenant recherché.
L'Elorn, rivière très poissonneuse, en fournit abondamment ;
cependant, dit le comité de surveillance des prix, les marchés en sont dépourvus ;
temps béni pour les pêcheurs à la ligne.
« Il se pêche en ce moment une grande quantité de saumons, dit-il, sans que le marché en soit muni.
Le comité propose de mettre en réquisition pour l'approvisionnement des marchés et la consommation de la commune, pendant le reste de ce mois de ventôse et les mois de germinal et de floréal (mars, avril et mai) la quantité de 25 saumons par décade, savoir :
21 seront fournis par le citoyen Le Lann, meunier du pont (il s'agit vraisemblablement du moulin des Rohans, autrefois construit sur le vieux pont de la ville) ;
4 par le citoyen Bodros ou son épouse, lesquels sont tenus de les apporter à la place ordinaire du marché et de les y vendre détail au prix de 15 sols la livre — c'est-à-dire 15 sous au lieu de 20 francs en moyenne aujourd'hui — en observant toutefois de ne livrer à chaque ménage raison de la consommation présumée. »
(« La révolution à Landerneau ». page 206).
Pour 1794, M. Duchâtellier donne dans son « Essai du socialisme pendant la Révolution », les mercuriales (*) du département du Finistère, du premier pluviôse an III chevaux équipés, sur la place aux chevaux (20 janvier 1794) au premier frimaire an IV (22 novembre 1794).
C'est l'époque des assignats :
Le quintal de froment passe de 60 francs en pluviôse à 1 200 francs en frimaire ;
le quintal de seigle, de 36 francs à 900 francs ;
le quintal de blé noir, de 24 francs à 300 francs ;
la livre de bœuf, de 2 francs à 30 francs ;
la livre de veau, de 1 fr. 50 à 5 francs ;
la livre de lard, de 3 francs à 12 francs ;
la livre de beurre, de 4 francs à 21 francs, plus chère que de nos jours de moitié ;
la bouteille de vin de 4 francs à 37 fr. 50 ;
la livre de pain fromenté, de 2 francs à 30 francs ;
la livre de pain de seigle (le pain noir), de 1 fr. 40 à 7 francs.
Aussi, à partir de ce moment, on peut relever à toutes les pages du cahier de délibérations du conseil général de Landerneau des pétitions de fonctionnaires demandant des augmentations de salaires :
huissiers de police, greffiers de la municipalité, tambours de la garde nationale, etc.
Tout le monde réclame des augmentations, le coût de la vie augmentant toujours rapidement.
En octobre 1795, la livre de pain était à 12 francs, et la viande de vache 16 francs la livre en assignat.
(« La révolution à Landerneau » par Saluden.)
Il y a donc plus d'un siècle que devant la cherté de la vie, comme aujourd'hui, les travailleurs, les fonctionnaires de notre pays réclamaient des augmentations de salaires, et que de très vives réclamations se faisaient partout entendre.
Les conséquences et les suites de cet état du pays, elles appartiennent à l'Histoire.
(*) Une mercuriale est le cours officiel de denrées, sur un marché de produits agricoles.
(*) Blutoir pour séparer la farine du son.(Illustration)