1940
La question du charbon
Source : La Dépêche de Brest 26 juillet 1940
M. Chichery, ministre de l'Agriculture et du Ravitaillement, a lancé l'appel que nous avons publié, nous demandant d'organiser notre ravitaillement d'hiver et nous annonçant la prochaine mise en vigueur de la carte d'alimentation si souvent annoncée.
Nous n'utilisons encore que les tickets de sucre nous donnant droit à nos 750 grammes mensuels, soit quatre morceaux par jour.
Mais nous éprouvons déjà les plus grandes difficultés pour nous procurer le charbon nécessaire à l'alimentation de notre fourneau de cuisine, charbon qui n'est délivré que si nous ne possédons ni gaz, ni électricité.
La question du charbon est un exemple frappant de la persistance des restrictions que nous allons avoir à subir cet hiver et de la prenante nécessité de trouver rapidement des solutions au danger qui nous menace.
Il ne faut pas croire, en effet, que le charbon va réapparaître de sitôt abondant et relativement peu coûteux comme avant-guerre.
Nos mines nous en procuraient alors une quarantaine de millions de tonnes.
Nos mines du Nord n'ont pas trop souffert, parait-il, mais toutes les mines du Pas-de-Calais ont été inondées et il faudra, d'après un récent communiqué, un certain temps pour qu'elles soient remises en état d'exploitation.
Nous ne devons plus compter sur l'Angleterre, qui nous fournissait une douzaine de millions de tonnes, la Sarre, une demi-douzaine et la Belgique à peu près autant.
Sur ces chiffres, la consommation pour les usages domestiques — cuisine et chauffage — égalait à peu près celle des chemins de fer :
Une douzaine de milliers de tonnes.
Il fallait, pour la fabrication du gaz, compter 6 à 7 milliers de tonnes.
Le reste était employé par la marine, la métallurgie et les diverses Industries.
La France n'est, en somme, qu'un petit pays charbonnier, bien éloigné de pouvoir suffire par lui-même à ses besoins de houille.
Nous n'avons plus que nos charbonnages de Saint-Etienne et de Firminy ;
ceux du Gard (Alais), de la Saône-et-Loire (Blanzy et Épinac), de l'Allier (Commentry), du Tarn et de l'Aveyron (Decazeville et Carmaux) et quelques autres de moindre rendement encore.
Nous n'avons pas en France — ou si peu — d'anthracite servant au chauffage des immeubles et nous sommes momentanément privés des maigres et quart-gras venant de Charleroi, des mines d'Anzin et d'Aniche.
Le demi-gras, pour les fourneaux de cuisine et les chemins de fer, le plus employé dans notre région, provenait de Cardiff.
Nos besoins dépassent donc de beaucoup les quantités que nous pourrons extraire de notre sol et celles que l'étranger pourrait nous fournir, en admettant une reprise des transports.
Cependant, la chaleur nous est aussi indispensable que l'air et la nourriture.
Que faire ?
En dépit de toutes les lamentations, il va falloir restreindre nos besoins à la très faible quantité de houille que nous aurons à notre disposition et réduire, bon gré, mal gré, la consommation sur la cuisine et le chauffage.
Faisons des économies
Certains experts estiment à 80% le gaspillage des calories utilisées pour la cuisine.
Le fourneau de cuisine, disent-ils, cheminée de la salle à manger inférieure, est utilisé par hasard pour la cuisson des aliments, mais son objet principal est, en réalité, le chauffage de la cuisine.
Peut-être pourrait-on alors mieux surveiller ses heures d'allumage et d'extinction.
Peut-être pourrait-on, certains jours, même en ce mois de juillet frais et pluvieux, ne pas rallumer du tout le matin et servir à midi un repas froid.
— Mais le petit déjeuner ? direz-vous.
Dans une casserole légère, essayez donc, à défaut de gaz et d'alcool à brûler, de faire chauffer votre tasse de thé ou de café au lait sur votre fer à repasser électrique.
Nous vous donnons pour ce qu'il vaut ce petit truc.
Songez que pour cuire le déjeuner modeste de deux personnes :
Œufs, veau légumes et café, il faut à peine 200 calories et que vous en consommez 4.000 avec votre fourneau de cuisine.
Le gramme de charbon renfermant 8 calories, c'est donc 3.800 calories ou 425 grammes de charbon sur 500 grammes que vous jetez au feu et détruisez en pure perte.
Vous allumez votre fourneau de cuisine des 7 heures du matin pour que « ça prenne ».
Jusqu'à 9 heures, il n'y chantonne qu'un peu d'eau et votre casserole de café.
À l'heure du déjeuner, en rentrant du marché, vite on force le feu :
« Monsieur va arriver, il n'aime pas attendre ».
On bourre le foyer II fait si chaud qu'on est obligé d'ouvrir la fenêtre
Après le déjeuner, le fourneau reste inoccupé tout l'après-midi.
Pour ne pas avoir à le rallumer, on entretient le feu sans même fermer la clef du tuyau ou le ralentir en le couvrant de cendres car à 5 heures ce sera l’heure de la tasse de thé ou du « rouzic ».
L’opération du diner ramène ensuite le branle-bas des pelletées de charbon et allez-donc, le foyer est bourré à refus.
Alors, la « vaisselle faite », le fourneau est encore brûlant.
Une petite et solitaire bouillotte laisse, en dansant, échapper en vapeur l’eau qu’elle contient et finit par s’endormir comme tout le monde dans la maison, comme le fourneau lui-même pour quelques heures seulement.
Résultat : Les 8/10e du combustible ont été éliminés inutilement par le tuyau de la cheminée ;
1/10e a calciné les tôles du fourneau et chauffé la cuisine ;
le dernier dixième a été utilisé pour cuire les aliments et congestionner la cuisinière.
C'est bien ennuyeux, dira Madame, de changer ses habitudes, mais puisqu'il le faut !...
Et avec un peu de bonne volonté, et surtout par nécessité, elle parviendra à économiser chaque Jour trois ou quatre kilos de charbon.
Nous tenterons de l'y aider dans un prochain article.