1921
L'hippisme à Brest
par Ollivier Lodel
Source : La Dépêche de Brest 9 septembre 1921
La Société des Raids Hippiques du Finistère nous annonce, pour après-demain, des courses de chevaux sur le terrain du polygone de la marine.
C'est un événement, car II y a près de cinquante ans que Brest n'a pas eu de courses sur hippodrome, et, à cette occasion, il nous paraît intéressant de rappeler l'immense succès que remportèrent les premières courses, en 1865.
Elles avaient été organisées par la Société des Courses Brestoises, qui venait d'être fondée sur l'initiative de M.M. Rodellec du Portzic ; Charles de Saint-Prix, de Morlaix ; Léon de la Vilasse, de la Roche-Maurice ; Charles de Lesguern, de Pencran, et Paul Jegou du Laz, de Saint-Pol de Léon.
En quelques mois, la Société comptait plus de trois cents membres fondateurs et trouvait, près des pouvoirs publics, des encouragements et des appuis précieux.
Sur les démarches pressantes du vice-amiral de Gueydon, préfet, maritime, le ministre de la Marine mettait le plateau du polygone à la disposition du comité et lui fournissait tout le personnel et le matériel nécessaires à l'organisation de ses courses.
Le conseil municipal votait une subvention de 6.000 francs pour le « Grand Prix de la ville de Brest ».
L'administration des Haras offrait un prix de 2.000 francs.
Et, confiant dans le résultat de son entreprise, le comité annonçait 25.000 francs de prix pour ses premières courses des 8 et 9 juillet 1865.
Jamais fêtes ne remportèrent un tel succès.
Plus de vingt mille personnes arrivèrent à Brest, jusque, de Saint-Brieuc, et la plupart venaient dans notre port pour la première fois, car la ligne de Guingamp à Brest était inaugurée depuis seulement deux mois.
De tout l'arrondissement étaient accourus paysans et villageois, qui avaient remisé leurs chevaux et voitures sur la place de la Pointe, près la porte du Conquet.
Mlle Isabelle
la bouquetière du Jockey Club
Le pont national venait d'être construit, mais M. Bizet, maire de Brest, prévoyant l'affluence considérable de spectateurs, avait fait établir un pont de bateaux du quai Tourville au quai Jean-Bart, pour relier les deux cales.
Le polygone, avec ses longues files d'équipages, ses tentes de pesage et ses buvettes, ses estrades, les milliers de curieux qui garnissaient les hauteurs, offrait le plus pittoresque tableau.
Entre les deux estrades réservées aux sociétaires, s'élevait la tribune présidentielle, dans laquelle avalent pris place :
MM. le baron Richard, préfet du Finistère ; le vice-amiral de Gueydon, préfet maritime ; Soumain, sous-préfet ; Bizet, maire de Brest, et Rodellec du Portzic, président du comité.
En face, s'étendaient les tribunes découvertes à trois francs, et aux deux extrémités de l'hippodrome, un vaste terrain était réservé pour les places à un franc,
« Les courses se déroulèrent au milieu de formidables hourras, électrisant spectateurs, cavaliers et chevaux, nous rapportent les chroniqueurs.
L'enthousiasme était tel qu'il fallut, à chaque épreuve, interdire les applaudissements qu'on avait, peine à contenir et qui pouvaient porter le trouble parmi les coureurs. »
Dans les intermèdes, la musique des équipages de la flotte exécutait, des morceaux d'harmonie.
Des voitures et des estrades, les dames, en grande toilette, se faisaient des visites.
Et, il y avait, au pesage, Mlle Isabelle, la célèbre bouquetière du Jockey-Club de Paris.
Elle portait un costume fort original garni de fers à cheval en passementerie et de plaques hippiques en argent bruni.
Elle offrait des bouquets aux dames, épinglait des fleurs aux boutonnières des messieurs.
« Mlle Isabelle eut un grand succès pour ses fleurs, ses répliques spirituelles et ses appréciations élogieuses des courses brestoises. »
Des éloges !
Jamais comité de fêtes n'en reçut tant que celui de la Société des courses.
Toute la presse bretonne, et même les journaux de Paris, déclarent que le polygone de la marine — d'où l'on jouit d'un panorama sans égal — est « le plus magnifique hippodrome du monde ».
« Les journées des 8 et 9 juillet, 1865 marqueront dans les annales de la cité brestoise, par la fondation des courses que le brillant succès de leur inauguration classe, d'une manière définitive, au nombre des premières de France. »
Une grande fête de nuit sur le Champ-de-Bataille clôtura, le dimanche soir, ces deux fameuses journées.
Quatre mille lanternes vénitiennes éclairaient la place, dont l'entrée coûtait 0 fr. 25.
Les mille chaises réservées, à un franc, étaient occupées, et le dixième de la recette fut prélevé au bénéfice des pauvres de la ville.
Après le concert, les feux de bengale et les fusées romaines, on tira le feu d'artifice ;
puis la foule enthousiasmée salua de ses bravos la pièce allégorique :
Deux chevaux ailés séparés par un bandeau, sur lequel était écrit en lettres de feu, le nom de Gladiateur, l'illustre vainqueur, en 1865, du derby d'Epsom et, du Grand Prix de Paris, qui, en moins de cinq mois, avait gagné à son heureux propriétaire, le comte de Lagrange, plus de 500.000 francs.
Les premières courses de Brest remportèrent bien, on le voit, le plus éclatant succès.
Et cependant, dès ce temps-là, combien doutaient que le résultat répondît à la hardiesse de l'entreprise !
La Société des courses accepta le défi en faisant appel à tous les dévouements, à toutes les sympathies, et elle triompha, car municipalité, population, autorités, gouvernement, tous se firent un devoir de s'associer à la création d'une œuvre que l'opinion publique élevait au rang des institutions utiles.
Gladiateur , 1865
Artist: Alfred Barye (French, 1839–1882)