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1933

Les colombiers seigneuriaux
du Finistère

 

 

Source : La Dépêche de Brest 19 janvier 1933

 

Tout le monde connaît ces tours rondes si basses, coiffées d'un toit de pierres profilé en gradins, qui se dressent au proche voisinage des anciens châteaux ou des vieilles demeures nobles devenues habitations paysannes.

Ce sont des colombiers bâtis pour servir de refuge à ces nuées de pigeons que possédaient autrefois les seigneurs, et dont l'entretien constituait l'un de leurs privilèges les plus chers.

 

Quand on pénètre dans ces tours, par une porte généralement étroite et surbaissée, on remarque que les parois intérieures sont garnies de niches ou boulins aménagés dans la maçonnerie et destinés à la ponte.

Un orifice rond au centre du toit permettait aux volatiles d'entrer ou de sortir à volonté.

Presque toujours, le chapeau chinois en charpente et ardoises qui protégeait cet orifice contre la pluie a disparu, ainsi que le mât central muni de potences auxquelles s'appuyaient les échelles fixes ou mobiles qui servaient à atteindre les niches les plus élevées.

 

Le droit de colombier à pied ou fuie, c’est à dire d'un édifice de maçonnerie fondé sur le sol, était une prérogative exclusivement seigneuriale.

 Les maisons roturières, appartenant à des bourgeois ou à des paysans, n'avaient droit qu'à des volières, faites ordinairement en bois, élevées sur pilotis ou bâties sur solives, sans contact direct avec le sol.

Cependant quand un partable, un non-noble, devenait par voie d'acquêt ou d'héritage, propriétaire d'un manoir à colombier, il conservait ce droit, qui restait attaché à la terre et non à la qualité du possesseur.

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Le Colombier de Rocervo

[Plaque de verascope]

Lampaul - Ploudalmézeau : 3 août 1924

 

En Bretagne, l'usage exigeait, pour qu'un gentilhomme pût bâtir colombier, qu'il possédât au moins 300 journaux (environ 150 hectares) en domaine et en métairies.

On considérait, en effet, que cette contenance était, tout juste suffisante à la nourriture des pigeons sans qu'ils allassent dévaster les propriétés environnantes, car, comme le dit aussi naïvement que judicieusement le texte de la Très Ancienne Coutume :

« Les voisins (du seigneur) qui ne tiennent ren de li n'ont que faire de li pourvoir ses coulombs ».

 

Au moyen-âge, l'élevage du pigeon constituait une exploitation très productive.

Les gens étaient friands de sa chair.

Sur les tables féodales et même royales, on en faisait une fantastique consommation.

Au XIIIe siècle, 700 pigeons au moins paraissaient chaque jour aux repas du roi et de la reine de France.

Rabelais, dans son Pantagruel, cite le pigeonneau, qui s'accommodait de mille façons, au nombre des mets dont la saveur flattait davantage le palais de ses contemporains.

D'autre part, le sang du pigeon était un remède très apprécié pour les yeux malades, et la colombine, passait pour l'un des meilleurs engrais connus.

À la campagne, les hôtes emplumés de la fuie offraient, en cas de visite inattendue, une ressource culinaire précieuse.

Lorsque des convives de bel appétit lui survenaient, à l'improviste, le petit hobereau les festoyait toujours, au dire du poète Rapin :

 

« D'un cochon, d'un chapon, d'une oye,

Et des pigeons du colombier ».

 

Dans certaines provinces, les seigneurs, afin d'accroître les appréciables profils qu'ils en tiraient, multipliaient leurs troupes de pigeons en leur construisant de véritables cités.

L'Encyclopédie mentionne certain colombier, voisin de Châteauvilain, en Champagne, qui pouvait recevoir près de 12.000 pigeons.

Le type courant du colombier comportait environ 2.000 boulins, et de la volière 500.

Les fuies de Basse-Bretagne sont ordinairement de moindre contenance, 7 à 800 boulins au plus.

La forme cylindrique qu'on leur donnait avait le double, avantage d'une distribution intérieure très favorable, et d'une grande difficulté d'accès aux ennemis des oiseaux domestiques :

fouines, martres, belettes et autres bêtes grimpantes.

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La note décorative est assez rare et sommaire :

Un écusson sculpté au-dessus de la porte, un ou deux cordons de pierres de taille dans la maçonnerie ;

parfois une corniche soutenue par des corbelets ou modillons rappelant les mâchicoulis, comme au château de Kerjean, en Saint-Vougay ;

au Rusquec. en Loqueffret ; à Kergoz, en Clohars-Fouesnant.

Le Finistère ne possède pas de colombiers d'une construction insolite comme la fuie hexagonale de la Gravelle, en Evran ;

celle du Vaujoyeux, en Planguenoual, dont quatre tourelles cantonnent la tour principale, et celles du château de Rezé, près Nantes, coiffées de vastes dômes d'ardoises en écaille.

 

Encore moins pouvons-nous montrer de ces « pigeonniers » carrés ou polygonaux, montés sur piliers et sur arcades, tels qu'on en voit dans le Midi, et dont la revue L'Art populaire en France a reproduit en 1930 de très intéressants spécimens.

Au pays de langue d'oc, la cylindrique est beaucoup moins usuelle que chez nous, bien qu'on la rencontre parfois, près de Montauban, associée à des Calottes de briques amorties en lanterne.

J'ai cru devoir reproduire, en l'opposant à un modèle typique de l'architecture bretonne, le charmant colombier de Castelnau d'Estrefonds (Haute-Garonne), si original sous son comble pointu, avec sa corniche saillante, ses bandeaux de pierre ou de carreaux en céramique, les encadrements Renaissance de ses ouvertures et sa petite tourelle accolée.

Il faut convenir, nous sommes loin d'avoir rien ici d'aussi curieux.

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Ordinairement, nos vieux colombiers sont assis à 100 ou 200 mètres de l'habitation, au milieu d'un verger ou d'un champ qui portent le nom traditionnel de Liorz-ar-c’houldry,  Parc-ar-c'houldry.

Ainsi en est-il à Kérohant, en Garlan ;

à Kéraflou en Plouégat-Guerrand ;

à Châteaumen, en Taulé ;

au Cosquérou en Mespaul ;

à Pratanraz en Penhars.

On en rencontre dans l’enclos même de la cour ou du jardin comme au Mesquiault, en Plougasnou ;

à Lesplouénan en Plouénan ;

à Kérazan, en Larret, et à l’abbaye du Relec, en Plounéour-Ménez.

Souvent aussi le colombier a pris position sur l’enceinte fortifiée et il y joue un double rôle.

Plus exactement, c’est la tourelle de défense, bâtie à l’angle d’une courtine ou flanquant un portail extérieur, qu’on a utilisée comme refuge à pigeons.

 

À Lanoverte et Kernoter, en Plouézoch ;

au Cosquer en Plougasnou, on la trouve percée de meurtrières à hauteur d’appui, et garnie de boulins dans sa partie supérieure.

Il en existe de curieux types en Guicquelleau, en Le Folgoat ;

à Keroualze, en Guilers ;

à la Forêt, en Kerfeunteun, et à Kervenargant, en Meilars.

D’autres fois, on a campé le colombier à cheval sur le porche d’entrée de la cour seigneuriale.

De cette position éminente, il commande fièrement la campagne aux alentours, affecte une belliqueuse allure de donjon, et annonce de loin aux voyageurs l'existence d'une maison noble.

 

À Kermerrien, en Trézélidé, il y a un joli modèle de ce genre.

Au manoir de Kergoz, en Guilvinec, situé près du rivage, la tour-colombier du portail semble avoir été édifiée en vue d'impressionner les écumeurs de mer, et elle complète l’apparence de maison-forte que ce modeste logis doit à ses remparts garnis de mâchicoulis postiches.

Le colombier de Lesmadec, en Peumerit, repose sur une croisée d'ogives.

D'autres colombiers dominant le portail, qui se voyaient à Mescanton, en Plouzévérié, et à Penanguer, en Penhare, sont démolis depuis longtemps, ainsi que ceux de Kergoaret, en Saint-Vougay, et de Trédern, en Plougoulm.

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L'une des plus belles fuies du Nord-Finistère est celle de Pennelé, en Saint-Martin-des-Champs, campée sur la pente d'une prairie, avec ses robustes murailles soigneusement appareillées, ses cordons de pierres de granit et sa porte blasonnée où le sautoir issant d'une mer des Le Bihan de Pennelé s'allie au sanglier passant des Tréouret.

On trouve aussi l'écusson des Pastour :

un lion accompagné de 7 billettes, sur la porte du colombier de Kericuff, en Plougasnou, avec une inscription rappelant que François Pastour, seigneur du lieu, l'avait fait bâtir en 1716.

Plus ancien est celui de Keruzaouen, en Plourin-Ploudalmézeau, bâti vers 1525 par Claude Pilguen, dont le lion héraldique et le nom apparaissent au-dessus de sa porte.

Un écu mi-parti de Plœuc et de Kergorlay timbre le colombier du Tymeur, en Poullaouen.

J'ai reconnu autrefois le fretté des Guicaznou sur la porte du colombier de Lescréac'h, en Taulé, aujourd'hui abattu.

Mais généralement l‘écusson, quand il existe, a été martelé ou ne formait qu'une « table d'attente » où les armes figuraient seulement peintes, comme l'ont été celles des Sévigné, écartelé d'argent et de sable, sur le colombier de Lestrémeur, en Plomelin.

 

Les colombiers de Kerohant, en Garlan ;

de Keréguen et de Penamprat, en Guimaëc ;

de Kergoulonarn, en Mespaul ;

de Kerouzéré, en Sibiril ;

de Troérin, en Plouvorn;  

de Brézal, en Plounévenler, ont de vastes dimensions.

Souvent, tels celui de Kervéguen, en Guimaëc, et surtout celui de Tresséol, en Plonévez-Por-zay,

vrai roi des « pigeonniers » finistériens, ils sont faits avec des matériaux de choix, et offrent une si belle apparence qu'un plaisant a pu dire qu'en Bretagne les pigeons étaient souvent mieux logés que leurs maîtres.

Par une exception que je crois unique dans notre région, le château de Rosambo, en Lanvellec, possède deux colombiers, de taille inégale.

Celui de Lestrédiagat, en Treffiagat, est d'un type beaucoup plus élancé qu'à l'ordinaire.

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Le XVIe siècle, qui a vu construire tant de manoirs en Bretagne, a été aussi, par conséquence, une grande époque pour les bâtisseurs de colombiers.

J'ai trouvé, dans un compte de tutelle rendu en 1570 par Jeanne de Gouzillon, douairière de Lanuzouarn et dame de Kerjean, que le colombier de Lanuzouarn, en Plouénan, fut construit peu avant cette date, et qu'il coûta 300 livres.

Cet édifice subsiste encore, en bordure de la route de Morlaix à Saint-Pol, près de l'estuaire de la Penzé, et il survit à la ruine totale de la maison noble dont il dépendait.

À Trohéon, en Sibiril, le colombier est également le dernier souvenir d'un vieux manoir disparu.

À Guerdavid, en Lanné-anou, sa masse découronnée, mais toujours solide, surgit parmi les arbres, à côté d'une chapelle sans toiture et de la petite habitation qui a remplacé l'ancienne gentilhommière démolie.

 

Quand un noble voulait décorer son domaine d'un colombier, il devait en obtenir l'autorisation de l'autorité ducale ou royale, ainsi que du seigneur du fief.

Vers 1510, l'évêque de Léon, agissant comme possesseur du fief des Régaires de Gouesnou, permet au seigneur de Tromeur, en Bohars, de se bâtir une fuie.

Vers 1640, c'est du procureur du Roi de la cour de Lanmeur que le seigneur de Botdon, en cette paroisse, obtient pareil privilège.

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Un petit dossier conservé aux archives du manoir de Treuscoat, en Pleyber-Christ, nous renseigne sur la façon dont écuyer Alain de la Lande, sieur de Penanvern, près Saint-Jean-du-Doigt, s'y prit, en 1586, pour avoir licence de relever le « refuge à pigeons » qui avait précédemment existé sur sa terre.

 

Il s’adressa d'abord au seigneur du fief, suzerain de Bodister et Plougasnou, Messire Guy de Scépeaulx, comte de Chernilllé et baron de Mortagne, qui, par lettre du 21 avril 1586, lui accorda la permission sollicitée.

Il fit ensuite une démarche près des gentilshommes du voisinage :

Pierre de Kermabon, seigneur dudit lieu ;

autre Pierre de Kermabon, seigneur de Kerprigent, et François de Keraldanet, seigneur de l'Isle, et il en obtint des promesses écrites et signées de ne point le troubler dans l'exercice de son droit.

 

Puis il s'assura du consentement de Pierre Poulart de la Villeneuve, procureur du Roi de la juridiction de Lanmeur.

Enfin, il pria Charles de Kergariou, sénéchal ;

Jean Toulcoët, procureur fiscal, et Pierre de Kersulguen, greffier de la cour de Plougasnou, de vouloir bien « condescendre » à Pennanvern, où il leur montra l’emplacement qu'il avait choisi « au mitant d'un parc appelé Parc Nesaff, au-devant de la porte dudit lieu et manoir, éloigné de ladite porte d'environ ung traict d'arbalestre ».

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Fort de l'approbation des magistrats locaux, Alain de la Lande fit édifier son colombier, mais il parait que la construction n'était guère solide, car, moins d'un siècle plus tard, il fallut tout recommencer.

Écuyer François-de-Paule Jégou, seigneur de Penanvern, s'adressa à cet effet en 1667, à un certain « Maistre Jullien Poirier, se disant maistre masson, et faiseur de coullombiers ».

La nouvelle fuie, construite à 60 pas des ruines du premier sur des fondations de 4 pieds, le fut si maladroitement que, le 13 janvier 1668, il s'effondra en grande partie, entraînant la couverture d'ardoises, avec son boisage et sa plomberie, ce qui causa au propriétaire un préjudice de plus de 1 200 livres.

 

Il y eut descente d’experts et enquête par témoins, où les darbareurs (manoeuvres) qui avaient assisté ce maladroit de Poirier dans son ouvrage déposèrent que, lui ayant fait remarquer des anguilles (lézardes) en divers endroits de la bâtisse, il leur avait répondu insoucieusement que si le colombier venait à choir, il avait de quoi le relever à ses frais.

Il est probable que les juges le prirent au mot.

Le colombier de Penanvern n'existe plus et du manoir lui-même, il ne reste que les hauts piliers des deux portails encore blasonnés du chevron surmonté d'un croissant des Jégou de Boisalain,

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Lescalvar

Plouguin

 

Le droit de colombier, ainsi que celui de garenne, était considéré par les paysans comme vexatoire, et resta toujours très impopulaire.

La loi interdisait à l'homme des champs de tirer sur les pigeons qui pillaient ses récoltes, et de leur tendre des pièges.

On peut croire cependant qu'il ne s'en faisait pas faute, surtout lorsque l'absence du maître rendait la surveillance moins stricte.

En cette matière, comme en beaucoup d'autres sous l'ancien régime, les rigueurs du règlement n'avaient d'égales que la mollesse et la négligence avec lesquelles il était appliqué.

 

Je n'ai jamais remarqué, dans les fonds de procédures des juridictions seigneuriales, aucune poursuite exercée contre un villageois pour destruction de pigeons de colombier.

Pourtant, il faut croire à la réalité des dégâts, puisque les cahiers de doléances des paroisses bretonnes réclament presque tous l'abolition de ce droit féodal.

C'est un grand seigneur, Mgr de Lubersac, évêque de Chartres, qui se fit, le 4 août 1789, l'interprète des revendications paysannes en présentant les privilèges de colombier et de chasse comme un abus à supprimer ;

et en donnant l'exemple du renoncement.

Deux jours après, l'Assemblée Nationale abolissait purement et simplement

« le droit exclusif de fuie ou de colombier ».

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Depuis lors, ces vieux refuges à pigeons ne sont plus que des épaves archéologiques, des témoins d'un état de choses périmé, sinon oublié.

On les laisse crouler de vieillesse, ou bien on les jette bas afin de tirer parti de leurs matériaux.

Rien que dans la commune de Ploujean, j'ai connu trois colombiers aujourd'hui disparus, aux manoirs de Trofeunteniou, Penlan et la Boixière.

Ce dernier était curieux par son aspect archaïque et sa maçonnerie toute farcie de tuiles gallo-romaines.

L'imposant colombier de Kerenneur, en Plourin-Léon, a péri.

Au Coëllosquet, en Plounéour-Ménez ;

à Cor-roarc'h, en Combrit, il n'en reste qu'un tronçon émergeant des broussailles.

À Kerisquillien, en Kerlouan, on a démoli les trois éperons ou contreforts qui l'égayaient de façon pittoresque.

Quelques colombiers sont utilisés comme poulaillers (Kerouzéré, Trohéon), comme débarras ou dépôts d'instruments aratoires.

Il en est (le Cosquérou, Troërin) qui abritent encore un certain nombre de volatiles.

 

Au hasard des promenades, on aime à rencontrer leur tour trapue, argentée de lichens, verdie de mousses, encapuchonnée de végétation, promenant sa lente ombre solitaire sur les blés ou les avoines du Parc-ar-c'houldry, et signalant l'approche d'une ancienne noblanz le plus souvent tombée à l'état de ferme.

Certains d'entre eux ont leurs traditions.

Sous la Terreur, les prêtres insermentés de Kernouès avaient adopté le colombier de Kéraméal pour l'une de leurs cachettes, et celui du château de Trémazan n'a-t-il pas longtemps abrité un mystérieux ermite, venu végéter et mourir là ; on ne sait d'où ?

 

L. LE GUENNEC.

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