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1893

L'incendie de la scierie Omnès
à Brest

 

 

Source : La Dépêche de Brest 2 juin 1893

 

Un incendie a détruit hier complètement la scierie mécanique de MM. Omnès, située rue Inkermann, entre une maison à trois étages appartenant à M. Floch (Théophile), marchand boucher à Brest, et l'ancienne fonderie de M. Bastit.

De cette scierie, qui n'avait pas moins de 50 mètres de longueur sur la rue et 30 à 35 mètres en profondeur et était construite toute en planches, il ne reste que les machines et la grande cheminée en briques rouges.

Les pertes, rien que pour les bois qui se trouvaient dans les magasins, s'élèvent à plus de 50,000 francs.

 

Depuis plus de trois semaines, la scierie ne fonctionnait pas ;

on faisait de grandes réparations à la chaudière et aux machines.

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Débuts de l'incendie. — Les secours

 

Hier, vers 3 h. 1/2 de l'après-midi, quatre ouvriers mécaniciens et six menuisiers étaient seuls occupés dans la scierie.

À quatre heures, quand M. Omnès vint visiter ses ouvriers, il ne remarqua rien d'anormal.

Mais à cinq heures, on apercevait des flammes qui s'échappaient d'un tas de planches.

 

Les ouvriers, après s'être rendu compte de la gravité du feu, firent prévenir immédiatement le poste de police de Saint-Martin et les pompiers de la ville.

On courait également chez M. Le Gras, capitaine des pompiers, qui habite rue de Paris, non loin de la rue Inkermann.

Celui-ci accourut aussitôt et prit immédiatement la direction des secours.

Mais déjà le feu avait pris d'énormes proportions.

 

Quand arriva la pompe de Saint-Martin, conduite par de jeunes lycéens, au pas de course, une grande partie de la scierie s'était déjà effondrée.

De leur côté, MM. Deshayes, négociants, envoyaient la pompe de leur maison avec une équipe d'ouvriers.

 

Pendant que le feu gagne toujours, le capitaine Le Gras fait former la chaine et attaquer sérieusement l'incendie.

 

À six heures moins un quart, la compagnie de Brest et ses officiers arrive, avec la pompe du théâtre et une autre pompe de Saint-Martin.

Se succèdent ensuite : à six heures, le détachement d'infanterie de marine caserné à l'abattoir, avec la pompe de l'abattoir, pendant que, par la route de Paris, le piquet d'incendie du 2e de marine amène trois pompes ; puis un détachement du 19e et un autre du 6e de marine avec la pompe du régiment, et en même temps, une centaine de pompiers de la marine, sous le commandement de M. Messager, chef pompier, avec la pompe à vapeur de l'arsenal.

Amorcée sur la citerne de M. Branellec, cette dernière sert à alimenter une partie des autres pompes, que l'on installe de la façon suivante :

derrière la scierie, dans un champ, la pompe du 2e,  la pompe du théâtre et une pompe de Saint-Martin, manœuvrées par plusieurs pompiers et soldats ;

dans la cour de M. Floch, devant les écuries déjà envahies par les flammes, deux autres pompes ;

sur la route, de chaque côté de l'usine, deux pompes, et dans la cour de la fonderie de M. Bastit, une pompe du 2e et une de Saint-Martin.

La pompe de MM. Deshayes est devant la maison Floch.

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Un immense brasier. — La maison Floch

 

À six heures, quand nous arrivons sur les lieux, la toiture s'est effondrée, et le feu a dévoré complètement les palissades de la scierie.

Tous les bois qui étaient là accumulés forment un immense brasier, dont les flammes s'élèvent à plusieurs mètres et, sous le vent, tournoient, pour se rabattre sur la rue, où il est à peu près impossible de se risquer.

 

La chaleur est telle que, de l'autre côté de la rue, dans le champ qui fait face à la scierie, on ne peut se tenir qu'avec peine, au milieu de cette atmosphère brûlante.

De la scierie, le feu se communique bientôt à la toiture des écuries de la maison Floch, et en peu de temps cette toiture est en flammes.

On s'empresse alors de faire sortir les animaux, que l'on conduit à l'abattoir.

 

Les pompiers montent sur la toiture des écuries et, à coups de hache, y font une large tranchée. Ils arrêtent ainsi les progrès du feu.

 

Mais déjà le feu a gagné la toiture de la maison Floch, et les locataires, affolés, jettent leurs meubles par les fenêtres.

Plusieurs pompiers, des soldats d'infanterie de marine, MM. Le Chevalier de Préville, Le Jeune, lieutenants des pompiers de la ville, Troussey, entrepreneur, montent aux mansardes de la maison et démolissent la toiture, pendant que d'en bas les pompes l'inondent.

 

Pour alimenter les pompes installées devant la fonderie Bastit et devant la maison Floch, deux longues chaînes avaient été formées, l'une dans la direction du Pilier-Rouge, l'autre dans la direction du Douric.

Parmi les travailleurs, tous pleins d'ardeur, on remarquait un certain nombre d'élèves du lycée, dont le zèle jusqu'à la fin de l'incendie ne s'est pas démenti.

 

À 7 h. 1/2, le feu diminue ;

les soldats retirent du feu une grande quantité de planches carbonisées et qu'on transporte dans les champs voisins.

 

À huit heures, le feu ayant sensiblement diminué d'intensité, on rapproche les troupes du foyer de l'incendie.

Des soldats du 19e et du 6e, munis de pelles et de crocs, travaillent à déblayer les endroits où le feu est à peu près éteint, pendant que la pompe à vapeur de l'arsenal jette des torrents d'eau sur les points où les flammes se montrent encore.

 

À 8 h. 1/2 enfin, on est maître du feu.

Il ne reste dans les bâtiments incendiés, au milieu des bois calcinés, que les machines, absolument perdues.

Au plus fort de l'incendie, la chaudière de l‘usine était tellement rouge qu'on craignit un instant une explosion.

 

À 8 h. 45, toutes les flammes sont éteintes ;

une forte fumée seulement se dégage des débris.

Les clairons sonnent le ralliement et les troupes se massent dans les champs environnants.

Les pompiers de la ville et de la marine travaillent toujours, inondant les décombres fumants ou les déblayant.

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À neuf heures, les troupes regagnent leurs casernes.

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Le service d'ordre

 

Le service d'ordre était assuré par un grand nombre d'agents, sous les ordres de MM. Renault, commissaire central, et Martin, commissaire de police de Lambézellec.

Un détachement de gendarmes de la marine, sous les ordres du maréchal des logis Serres, et la gendarmerie départementale, sous les ordres du maréchal des logis chef Damour, étaient également sur les lieux.

 

À 8 h. 122, un gendarme, envoyé par l'amiral de la Jaille, venait demander si d'autres secours étaient nécessaires.

Quarante marins, commandés par un premier maître, se trouvaient déjà, depuis deux heures environ, sur le théâtre de l'incendie.

 

Parmi les personnes présentes, on remarquait M. de Lajarte, lieutenant de vaisseau, aide de camp du préfet maritime, envoyé par l'amiral de la Jaille ;

l'amiral de Courthille, major général ;

Bouisson, substitut du procureur de la République ;

Berger, adjoint au maire de Brest ;

les colonels Frayssineau et Pelletier, du 19e de ligne et du 2e de marine ;

Hautin, ancien maire de Lambézellec ;

Guennoc, architecte de la ville ;

Guyader et Géhin, conseillers, municipaux ;

Millour, secrétaire en chef de la mairie ;

Pérusse, Troussey et un grand nombre de fontainiers.

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La cause de l'incendie. — Les pertes

 

Comment s'est déclaré ce terrible incendie ?

C'est ce que l'on ne sait pas clairement.

Deux versions sont données.

D'après l'une, un boulon rougi au feu serait tombé dans des copeaux et les aurait enflammés ;

suivant l'autre version, ce serait une bougie servent à éclairer des ouvriers occupés à la réparation de la chaudière, qui, renversée dans un tas de copeaux, aurait déterminé l'incendie.

 

Quant aux pertes, nous avons dit que, rien que pour la quantité de bois accumulée dans la scierie, elles s'élevaient à 50,000 francs.

Si l'on ajoute la perte qui résulte de la destruction des machines et du bâtiment, on arrive à un total fort élevé.

Et c'est une perte complète, la scierie n'étant pas assurée.

Il y a deux mois, la compagnie à laquelle MM Omnès avaient assuré leur immeuble avaient refusé de renouveler la police, à son échéance.

 

Une partie de la toiture de la fonderie Bastit a été également endommagée par les flammes.

 

Quant à la maison Floch, elle était assurée à la compagnie le Soleil pour une somme importante.

Le rez-de-chaussée servait à M. Floch de magasin à fourrage et de dépôt de harnais.

Au premier étage habitait un ouvrier du port, M. Kervern (Louis), marié et père de deux enfants ;

il est assuré pour 7,000 fr. à la Commerciale.

Deux autres ouvriers au port, les frères Kervella, dont les familles habitent Plougastel, occupaient une chambre au 3e étage.

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Quelques accidents

 

Quelques accidents se sont produits pendant l'incendie.

Un sieur Person, journalier, renversé dans un fossé par le chariot d'une pompe, a eu la jambe cassée.

M le docteur Guyader, qui se trouvait là, lui a donné les premiers soins nécessaires et après l'avoir installé sur un véhicule, lui a remis un billet pour être admis d'urgence à l'hospice.

 

Un gardien de bureau de la préfecture maritime, nommé Potin, qui était monté sur les écuries en feu, derrière la maison Floch, est tombé d'une hauteur de trois mètres et s'est blessé assez légèrement à la main gauche.

M. Potin, qui se plaignait de douleurs aux reins, a été examiné par M. Néis, médecin principal de la marine, puis reconduit à son domicile.

 

Pendant tout le temps qu'a duré l'incendie, une foule considérable a stationné dans la rue Inkermann et dans les champs voisins de la scierie.

Un champ de blé situé derrière la maison Floch a été très endommagé par la foule.

 

Deux pompes et un certain nombre de pompiers sont restés en permanence sur les lieux pendant toute la nuit.

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Source : La Dépêche de Brest 3 juin 1893

 

Pour parer à toute reprise du feu, les pompiers sont restés l'avant dernière nuit en permanence sur le théâtre de l'incendie.

Le sergent fourrier Coquel, dix-sept sapeurs et deux pompes n'ont pas quitté la scierie Omnès.

 

Cette surveillance n'était pas inutile.

À deux heures du matin, des flammes s'échappaient de la toiture de la fonderie Bastit.

Les pompiers se sont aussitôt élancés sur la toiture et ce recommencement d'incendie a été maîtrisé.

 

Les pompiers n'étaient pas seuls à veiller.

Une équipe d'ouvriers de M. Omnès, dirigée par M. Le Saout, travaillait au déblaiement de la scierie, dont, comme nous le disions hier, il ne reste que la cheminée et les machines.

 

L'aspect général est lamentable.

L'emplacement de la scierie est encombré de tas de débris carbonisés qui hier, à onze heures, fumaient encore.

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Les accidents

 

Nous devrions dire plutôt l'accident, car un seul accident grave s'est produit.

 

Person (Jean-Marie), qui a eu la jambe droite brisée par un charriot de pompe, est âgé de 25 ans.

Il est sorti du 2e de marine, où il a fait cinq ans de services, le 28 décembre 1892.

Ses parents, chez lesquels il habite, tiennent un petit débit rue Saint-Marc, 49.

Lundi, le pauvre garçon devait commencer à travailler chez MM. Deshayes.

 

À la première nouvelle de l'incendie, Person accourut.

Il participa à l'organisation des premiers secours, puis il aida à sauver les meubles des locataires de M. Floch.

C'est pendant ce sauvetage que l'accident s'est produit.

 

Person déménageait un panneau de lit-clos, lorsqu'une pompe, traînée par des soldats du 6e de marine, le renversa.

Une des roues lui passa sur la jambe droite, qui fat brisée à la hauteur du genou.

 

Les premiers soins ont été donnés à Person par M. le docteur Guyader, qui se trouvait sur les lieux.

Le blessé fut ensuite étendu sur une voiture à bras, entouré d'oreillers et de couvertures, et transporté à son domicile.

 

Pendant l’avant-dernière nuit, Person qui a énergiquement refusé d'aller à l'hospice civil, a eu un délire assez fort.

Ce délire s'est dissipé hier matin, après un nouveau pansement du docteur Guyader.

 

La blessure du gardien de bureau Potin, tombé d’une hauteur de trois mètres, est des plus légères. M. Potin a pris hier son service, comme si rien n'était.

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Les pertes

 

Les pertes de M. Omnès s’élèvent à 120,000 fr. environ.

Pertes sèches, on le sait, car M. Omnès était en instance de réassurance.

 

La maison de M. Théophile Floch est assurée à la compagnie la Nationale.

Mais l'assurance n'est que de 8,000 fr et les dégâts paraissent, à première vue dépasser cette somme.

 

Le côté droit du rez-de-chaussée occupé par M. Floch, a beaucoup souffert.

Au premier étage, une chambre et un cabinet où logeait M. Kervern (Louis), ouvrier au port, est dans un état déplorable.

M. Kervern estime ses pertes à 600 francs.

Au 2e étage, une chambre était occupée par Mme Riallan, femme d'un quartier-maître, actuellement au Tonkin.

Son mobilier a été brisé et ses pertes s'élèveraient à 350 ou 400 francs.

Au 4e étage, deux lits, un coffre, quelques chaises et un banc composant le mobilier des frères Kervella ont été à peu près détruits, soit 150 à 200 francs à ajouter aux chiffres précèdent.

 

Le sinistre aura eu, on le voit, de  regrettables conséquences.

M. Omnès a fait son possible pour les atténuer.

Dès la première heure, il s'est empressé de mettre gracieusement à la disposition des locataires de la maison Floch, Mme Rialan, M. Kervern et les frères Kervella, des appartements dans une maison neuve de la même rue.

D'autre part, les outils de ses ouvriers ayant été brûlés, M. Omnès a pris à sa charge l'achat des nouveaux outils qui leur sont nécessaires.

 

Inutile d'insister sur le dévouement déployé par tous dans la lutte pour battre le fléau.

À côté des pompiers, des soldats et des marins, de nombreux civils ont fait largement leur devoir.

Citer des noms serait trop long et entraînerait forcément de regrettables omissions.

 

M. Lefeuvre, propriétaire de l'hôtel du Chapeau rouge, mérite cependant un« mention spéciale.

 

Monter les pompes à bras par la rue de Paris, n'était pas une petite affaire.

Dès que la première pompe du 2e de marine, traînée par des soldats, arriva sur la place de la Liberté, M. Lefeuvre mit un cheval à la disposition des marsouins, qui purent ainsi conduire leur pompe sans trop de fatigue.

M. Lefeuvre en fit autant pour la pompe à vapeur de la marine et pour la pompe du théâtre.

C'est un acte de solidarité dont on ne saurait trop le féliciter.

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Un précédent

 

L'incendie d'avant-hier avait eu un précédent.

Il y a environ cinq mois, un commencement d'incendie se déclarait dans la scierie Omnès.

Le feu put être rapidement maîtrisé et, après expertise, M. Omnès reçut une indemnité de 1,500 francs.

 

Comme on l'a vu, il n'en a malheureusement pas été de même avant-hier.

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Une lettre de remerciements

 

 Nous recevons de M. Omnès la lettre suivante :

 

« Brest, le 2 juin 1893. « Monsieur le rédacteur,

« Je vous serai reconnaissant de vouloir bien m'accorder l'hospitalité de vos colonnes pour remercier toutes les personnes courageuses qui nous ont prêté en si grand nombre leur dévoué concours dans le malheureux incendie d'hier.

Marine, guerre, pompiers, fontainiers et citoyens ont tous rivalisé d'ardeur, aussi leur adressons nous à tous nos sentiments de profonde gratitude, sans oublier la compagnie des eaux de Brest, qui, dès le début, a mis à notre disposition l'eau du réservoir du Petit-Paris.

« Veuillez agréer, etc.

« L. OMNÈS. »

 

 

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Source : La Dépêche de Brest 4 juin 1893

 

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