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1907

Une belle-mère peu banale
ou
les déboires d'un malheureux gendre

 

 

La Dépêche de Brest 18 novembre 1907

 

On a l'habitude de médire des belles-mères.

Or, comme la langue d'Esope, la belle-mère est à la fois ce qu'il y a de meilleur au monde et ce qu'il y a de plus mauvais.

Ça dépend comme l'on tombe ;

mais il faut avouer que Marcel F..., employé de commerce, a été plutôt mal servi.

 

Ayant épousé, voici bientôt deux ans, une gentille modiste, dont il s'était éperdument épris, sa fiancée lui avait signifié, avant le mariage, qu'elle ne consentirait à convoler qu'à la condition expresse que son mari prendrait avec lui, au domicile conjugal, sa mère, qui se trouvait veuve.

 

Complètement emballé, F... passa, le cœur léger, sous ces nouvelles fourches caudines, et accepta tout ce que l'on voulut.

 

Le soir des noces, il donnait bénévolement asile à sa belle-mère qui, gardienne vigilante et farouche, se dressa un lit juste à côté de la chambre des jeunes gens !

 

Dès ce jour, le malheureux gendre ne connut plus de repos.

Installée en maîtresse chez sa fille, l'acariâtre femme commandait, décidait, tranchait sur tout, et le maître du logis en était réduit au rôle de parent pauvre.

 

À peine consolé par les sourires de sa femme, F... supportait, sans se plaindre, cette existence d'enfer, s'habillait au goût de sa belle-mère, mangeant aux heures qui convenaient à celle-ci et réglant son existence selon un cérémonial arrêté sévèrement par cette nouvelle directrice du protocole conjugal.

 

Tant que sa femme se montra pour lui gentille et aimante, F... ne se plaignit pas,

 

Mais quand il commença à s'apercevoir que sa belle-mère le critiquait en secret et abusait de sa victoire en montant contre lui la tête de sa compagne, le mari se facha tout rouge et trouva que les choses avaient assez duré.

 

Il résolut donc de mettre la mégère à la porte.

 

Quand il fit part de son projet à sa femme, celle-ci lui signifia tout net qu'elle n'admettrait jamais cette façon de faire, et que si sa mère adorée quittait le toit conjugal, elle la suivrait dans son exil.

 

Une fois de plus, F... courba, la tête.

De ce jour, l'audace de la belle-mère ne connut plus de bornes.

 

Après avoir cherché tout ce qui pourrait déplaire à son gendre, après lui avoir fait manger des plats salés, parce qu'il aimait le sucre, et des viandes saignantes, parce qu'il ne pouvait les souffrir que cuites, elle se mit dans la tête de l'empêcher de fumer, sous prétexte que la fumée avait sur la santé de sa fille une déplorable influence.

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Du coup, c'en était trop :

F... leva l'étendard de la révolte.

Non seulement il commença à fumer avec rage, mais il prit même l'habitude de fumer le matin et le soir au lit, jusqu'à une heure avancée.

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La belle-mère lutta avec une farouche énergie.

Mais comme elle se heurtait à la volonté bien arrêtée de son gendre, elle prit, il y a trois mois environ, la résolution de mettre la justice dans l'affaire et de faire intervenir le commissaire de police.

 

Elle se présente donc au commissariat de M. Riou et lui dit à brûle-pourpoint :

 

« Mon gendre a la détestable habitude de fumer au lit.

Ma fille ne peut supporter l'odeur du tabac ;

je suis certaine qu'un de ces jours mon gendre mettra le feu aux rideaux du lit.

« Ni les prières ni les menaces n'ont pu vaincre son obstination.

Je viens vous demander d'intervenir ! »

 

M. Riou lui fit comprendre que son action ne s'étendait pas aussi loin.

 

Dépitée et furieuse, la demanderesse se retira en jurant qu'elle allait s'adresser aux tribunaux.

 

Elle n'alla pas si loin!

 

Quinze jours plus tard, malgré les récriminations de la belle-mère, le jeune ménage, qui habitait le quartier de l'Harteloire, transporta ses pénates non loin de la place Sanquer.

 

Samedi soir, vers neuf heures, F..., content de son triomphe, narguait son ennemie en fumant un demi-londrès, lorsqu'elle fit irruption dans la chambre, armée d'un tisonnier, et se mit à frapper son gendre sur la tête avec férocité.

 

À moitié étourdi et couvert de sang, F... put cependant appeler à l'aide.

Les voisins, parmi lesquels un agent, accoururent et empêchèrent la furie de continuer à frapper.

 

F..., malgré les pleurs et les supplications de sa femme, a mis, cette fois, définitivement, sa belle-mère à la porte.

 

Cette scène de ménage avait révolutionné tous les locataires de l'immeuble habité par les époux F...

et, hier, on en causait encore dans tout le quartier.

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