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1921

Catastrophe dans une carrière
de Saint-Hernin

 

 

Source : La Dépêche de Brest 17 avril 1921

 

Source : La Dépêche de Brest 19 avril 1921

 

Nous avons annoncé, samedi, qu'un très grave accident s'était produit à la carrière de Kermanac’h, exploitée par MM. Com, maire de Saint-Hernin, et Bernard, propriétaire à Coray.

 

Voici les détails que nous avons recueillis sur cette catastrophe, qui a fait huit victimes :

 

La carrière d'ardoises en question est située à flanc de coteau, entre les villages de Kermanac'h et de Rumoal, à 600 mètres environ de la route nationale de Carhaix à Gourin.

 

C'est samedi matin, à 8 h. 50, dix minutes environ avant l'heure du petit déjeuner, que l'éboulement s'est produit.

Six hommes, qui travaillaient dans un puits d'une profondeur de 30 à 35 mètres, furent ensevelis vivants ; deux autres, blessés, parvinrent à se sauver.

 

L'un de ces derniers donna l'alarme.

La population accourut de tous côtés.

On entendait nettement, à ce moment, les cris d'appel de l'une des victimes.

Les conduites d'eau avaient malheureusement été crevées et, en très peu de temps, la carrière fut complètement inondée.

 

Les sauveteurs firent l'impossible pour arriver jusqu'aux malheureux carriers ;

mais les moyens de secours étaient très rudimentaires et, à la nuit tombante, en se rendit compte qu'il serait impossible d'arriver jusqu'à eux avant plusieurs heures.

Vivaient-ils encore ?

C'était peu probable, car on n'entendait plus aucun appel et l'inondation progressait sans cesse.

 

Stimulés par M. le sous-préfet de Châteaulin qui se tenait sur les lieux avec le juge de paix et les gendarmes, les travailleurs redoublèrent d'efforts, mais ne purent arriver à dégager leurs camarades.

 

Les travaux de sauvetage continuent, en présence des familles des disparus, que l'on a grand peine à tenir à distance.

Des scènes déchirantes se produisent à tout moment.

 

Toutes les carrières voisines ont envoyé un matériel spécial, à l'aide duquel on espère arriver assez promptement jusqu'à orifice du puits.

 

Quatre des carriers ensevelis habitaient le pays :

MM. Le Corre, Simen, Corvillec et Madec ;

on n'est pas encore exactement fixé sur l'identité des deux autres disparus.

 

Cette catastrophe a causé dans toute la région une très vive émotion et, de tous côtés, l’on accourt pour seconder les travailleurs da la première heure.

 

Notons que, depuis plusieurs années, on n'avait pas eu à déplorer semblable catastrophe dans les carrières d'ardoises si nombreuses dans la région de Carhaix à Gourin.

 

Source : La Dépêche de Brest 20 avril 1921

 

Bien au-delà de l'Arrée, aux confins du département dans la vallée de l'Hyère, dont les versants verdoyants sont maculés des entassements noirs et polis des ardoisières, règne la plus douloureuse émotion.

Toute la population d’alentour connut et assista en partie, il y a trois jours à peine, au drame le plus poignant qu’il soit possible de concevoir.

 

Nos lecteurs savent depuis le premier jour quels en furent les principaux faits, mais nous avons cependant tenu à nous rendre sur les lieux pour apprendre de la bouche même de ceux qui en furent les témoins et faillirent aussi en être les victimes, les circonstances dans lesquelles il se produisit.

 

Entre les villages de Kermanac’h et de Rumoal, à 600 mètres environ de la route nationale de Carbaix à Gourin, s'ouvre en cratère, au milieu des champs, le mamelon qui représente la carrière d'ardoises exploitée par MM. Com, maire de Saint-Hernin, et Bernard, propriétaire à Coray.

 

Depuis plusieurs générations, les carriers s’attaquent au même filon par deux puits distants l'un de l'autre de 150 mètres environ.

Tout autour des orifices, de curieuses huttes en ardoises s'agglomèrent comme un village de la préhistoire.

C'est là qu'après l'extraction les fendeurs débitent les blocs en minces lamelles toutes prêtes à être employées.

 

Surplombant le puits, de simples troncs d'arbres à peine équarris se dressent en portiques au milieu duquel glisse, sur une poulie, le fil d'acier servant à amener les blocs extraits au niveau du sol.

 

Mais les profondeurs atteintes sont telles que d'importantes infiltrations se produisent, nécessitant l'action continuelle de pompes d'assèchement.

 

Il y a six mois, d'importantes lézardes apparaissaient sur les parois de l'un des puits.

Comme elles faisaient redouter un éboulement, on plaça quelques mines dans le fond, dont l'explosion détermina le comblement.

 

Cependant, dans l'autre mine, profonde de quarante mètres et affectant la forme d'un tronc de cône, dont la partie étroite constitue l'orifice, on poursuivait l'élargissement de la base qui atteignait déjà quatorze mètres de diamètre environ.

Aucun indice n'était apparu et rien, croyait-on, ne pouvait laisser supposer qu'un aussi tragique accident put se produire.

 

Samedi matin, comme de coutume, les mineurs avaient repris leur travail.

Seize d'entre eux se trouvaient au fond du puits.

 

Comme il le faisait chaque jour, le contremaître Pierre Le Cam visitait les appareils.

C'est ainsi que pour resserrer les boulons des tuyaux de la pompe d'épuisement, il avait gravi les degrés d'une échelle que l'ouvrier Yves Gourland maintenait au sol.

 

Brusquement, vers 8 h. 1/4, la nuit se fit dans la mine.

Un bloc énorme de plus de 2.000 kilos venait de se détacher de l'une des parois à mi-hauteur.

 

— Garez-vous ! cria quelqu'un.

 

Avec un bruit sourd, la masse s'écrasa au fond, projetant des éclats en tous sens.

 

Ce fut l'affolement.

Des cris de douleur emplissaient le puits.

Six des travailleurs avaient disparu.

 

M. Le Cam, qui s'était suspendu aux tuyaux qu'il vérifiait, avait été blessé aux mains et aux jambes.

Sa présence d'esprit lui avait sauvé la vie.

Il se laissa glisser près de ses compagnons et entreprit immédiatement, avec leur concours, do dégager ceux qui avaient été ensevelis.

 

Des appels de secours décuplaient leurs efforts et tous, blessés ou contusionnés peu ou prou, s'activaient dans cette tâche de sauveteurs.

 

Enfin, ils parvinrent à dégager la tête de Yves Gourland, puis son buste.

Mais, dominant un amoncellement de pierraille, un bloc de plus de 300 kilos lui écrasait la partie inférieure du corps.

 

M. Gourland, n'avait pas pour cela perdu connaissance et si la douleur, lui arrachait des plaintes, il avait cependant encore assez d'énergie pour encourager ses amis.

 

Ceux-ci, cependant, unissaient leurs efforts, mais inutilement ;

le bloc demeurait inébranlable.

 

Autour de M. Gourland, pas une plainte, pas un cri.

Les cinq autres victimes, qu’on ne parvenait pas davantage à dégager, devaient avoir été littéralement broyées.

 

Tout à coup, M. Gourland eut un sursaut d'horreur :

« L'eau ! L'eau monte !».

 

Et, en effet, tout le fond de la mine en était déjà recouvert.

 

On se précipita vers la pompe d'épuisement ;

mais les tuyaux en étaient crevés et elle était devenue inutilisable.

 

— Sauvez-moi ! Sauvez-moi ! suppliait l'infortunée victime.

 

Et rageant, s'arc-boutant à toutes les aspérités, détendant leurs muscles désespérément, se déchirant les mains aux saillies de la pierre, ses amis concentraient leurs forces en d'incessantes tentatives.

 

Hélas! Tout cela demeurait en vain.

 

À présent, l'eau atteignait les chevilles !

 

On eut un espoir !

À l'aide du câble qui servait à monter les ardoises extraites, n’allait-on pas pouvoir déplacer le bloc ?

On s’empressa, on l’enchaîna, on poussa, on tira sans obtenir plus de résultat.

 

Cette fois les sauveteurs se décourageaient.

L'eau, pourtant, montait toujours et l’effroyable situation leur apparaissait d'autant que les supplications de M. Gourland se faisaient plus émouvantes.

 

Ils n'abandonnaient pas encore l’entreprise, bien qu'ils n'eussent plus foi en son succès ;

ils voulaient tout tenter pour leur ami, ne fût-ce que pour entretenir en lui jusqu’au dernier moment, l'espoir en la délivrance.

 

Et pourtant l'un d'eux devait soulever la tête au-dessus de l’eau.

L’horrible fin apparaissait à tous inéluctable.

 

M. Gourland sentit venir la mort.

« En ! bien non, hurla-t-il, passez-moi le câble sous les bras et arrachez-moi comme vous pourrez.

Je ne veux pas mourir ainsi. »

 

L'infortuné !

Ce qu’il demandait-là, c’était l’écartèlement.

Personne ne voulut le supplicier ainsi.

 

Et sur sa pauvre face horrifiée roulaient des larmes.

 

Eux aussi, les rudes hommes qui l’entouraient pleuraient et s'efforçaient pourtant de lui cacher la formidable émotion qui les étreignait.

 

La voix d'Yves Gourland, effroyablement poignante, s'éleva encore en supplications désespérées, puis l'eau lui emplit la bouche, et quelques instants plus tard, ceux qui avaient tout tenté pour le soustraire à cette épouvantable fin, remontaient vers le sol atterrés, hébétés par l'affolante scène à laquelle ils venaient d'assister,.

 

Cruelle anxiété

 

Cependant, la triste nouvelle s'était rapidement répandue.

De tous côtés on accourait sur les lieux.

Les familles des carriers, vivement émues, étaient les premières accourues, et les gendarmes par humanité et par crainte d’accidents nouveaux avaient dû organiser un service d'ordre pour interdire, les abords du puits.

 

Tout le jour, la foule afflua et les scènes les plus poignantes se déroulaient.

Deux des disparus n'étaient pas encore connus.

 

Pleurant, suppliant, les femmes des carriers dont on n'avait pas encore de nouvelles réclamaient vainement les noms des victimes.

 

Pourtant, les travaux de sauvetage n'étaient pas abandonnés.

On s'efforçait de rétablir une pompe d'épuisement, et cela n'alla pas sans difficultés.

Enfin, on y parvint.

 

M. le sous-préfet de Châteaulin, ainsi que le juge de paix, avisés du douloureux accident s'étaient rendus à Kermanac'h.

 

Jusqu'au soir, on travailla avec d'autant plus d'ardeur que les carriers des environs étaient accourus au secours de leurs camarades.

 

Enfin, vers dix heures, il fut possible de descendre au fond du puits et, grâce au matériel apporté, on parvint à dégager lescorps des infortunées victimes.

 

Ce fut d'abord François Corvellec, 25 ans, demeurant à Coat-Kerveran, en Saint-Hernin ;

puis Yves Madec, 30 ans, de Saint-Hernin ;

Yves Le Corre, 57 ans, de Leing-Tudec, en Saint-Hernin ;

Yves Simon, 41 ans, de Kermanac'h, en Saint Hernin ;

Daniel Poher, 40 ans, de Kermanac’h

et Yves Gourland, 28 ans, de Trebruch, Saint-Hernin.

 

Tous étaient mariés et pères de famille.

Les deux premiers et le dernier avaient un enfant ;

M. Simon en avait trois ;

M. Le Corre, quatre.

 

Mme Poher, femme de la sixième victime, mettait au monde, aujourd'hui même, son quatrième enfant.

 

M. Pierre Le Cam, 40 ans, contremaître, demeurant au Croissant Bodavid, avait été blessé à la main et à la jambe ;

M. Valentin Le Foll, 40 ans, de Kerbellec, à la main et à l'épaule ;

et M. François Le Roux, 37 ans, de Kerbellec avait reçu des contusions multiples.

Cependant, aucun d'eux n'avait été sérieusement atteint.

 

Les obsèques

 

Dans la chapelle de Sainte-Anne, toute tendue de draps blancs, les six corps étaient exposés le soir même, de l'accident.

La veillée, fut faite, par les familles et de nombreux amis.

 

Les obsèques avaient lieu le lendemain, à quatre heures, dans l'église paroissiale de Saint-Hernin.

Les cercueils, déposés sur cinq voitures, disparaissaient sous les fleurs et couronnes offertes pour la plupart par les carriers des communes avoisinantes.

 

Près d'un millier de personnes suivaient le convoi, parmi lesquelles on remarquait. MM. Com, maire de Saint-Hernin ;

Henry, maire de Motreff ;

Le Vincent adjoint au maire de Carhaix ;

Nédellec, maire de Spézet, et toutes les notabilités de la région.

 

À l'église, avant l’absoute, M. Le Pape, curé de Carhaix, monta en chaire, et, en langue bretonne, salua la mémoire des victimes du travail et adressa aux familles les paroles de consolation que lui dictait sa foi.

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