1921
Le feu détruit l'usine Larivière
au port de commerce
Source : La Dépêche de Brest 27 décembre 1921
Au-delà de Kermor, aujourd'hui disparu pour livrer passage à de multiples voies ferrées, vers le bassin et les terre-pleins connus des vieux Brestois sous la dénomination de chantiers Tritschler, de nombreux bâtiments d’usines se sont élevés.
Depuis la guerre particulièrement, l'endroit s'est radicalement transformé.
Outre les dépôts considérables d'alcools, d'essences et huiles minérales, ce sont les usines des Produits chimiques de l'Ouest, des Produits chimiques Dior, des cartons bitumés et blocs de mâchefer Larivière et Cie d'Angers.
Ces bâtiments, qui garnissent les deux côtés de la route menant du Gaz à Saint-Marc, entièrement construits en bois pour la plupart s'alignent tout près l'un de l'autre depuis la grève jusqu'au pied de la montagne du Guelmeur.
Aussi l'on comprend que la plus vive émotion s'empare de tous les habitants des environs lorsqu'un incendie se déclare en ce lieu.
En effet, ces énormes récipients emplis de liquides susceptibles de provoquer les plus violentes explosions, de déterminer des brûlures autrement graves que celles du feu, d'emplir l'air d'émanations irritantes ou toxiques, constituent aux yeux de la plupart des menaces d'autant plus impressionnantes qu'elles demeurent mystérieuses.
Voilà pourquoi, hier soir, tandis que dans les rues de notre ville se répercutaient les échos des clairons d'alarme, nombreux étaient ceux qui, route du Gaz, hésitaient à s'approcher de l’endroit où le sinistre qui venait d'éclater causait des ravages importants.
Le feu
Il était cinq heures environ lorsque l'accident se produisit.
Le travail battait son plein dans les divers bâtiments de l'usine Larivière et Cie d'Angers, qui avait été fondée par M. Péron.
On y fabriqua tout d'abord des boulets de charbon, puis on transforma le matériel pour entreprendre la fabrication des cartons bitumés et blocs de mâchefer.
La trentaine d'ouvriers qu'occupe l'usine activait le travail, car depuis une quinzaine on livrait aux régions libérées de très grosses quantités de cartons bitumés.
Chaque jour, on en expédiait par wagons entiers.
Dans cette atmosphère surchauffée autour des trois cuves contenant du goudron porté à plus de cent degrés, les ouvriers s'employaient à plonger des feuilles de carton lorsque brusquement, sans cause apparente, l'une d'elles s enflamma.
En un instant, tout l'atelier était embrasé.
Le personnel ne pouvait évidemment pas, en présence d'une pareille soudaineté et d'une semblable violence du fléau, songer à lutter sans moyen d'action.
Il dut lâcher pied pour faire appel au concours des pompiers.
Cependant, l'alarme donnée téléphoniquement, les ouvriers s'employaient courageusement à sortir des magasins les matières inflammables.
Bon nombre de barriques de goudron et de brai furent ainsi sauvetées.
Mais, de l'atelier, le feu gagna bien vite le bâtiment le plus élevé :
Celui des cartons, et bientôt d'énormes flammes se dressaient vers le ciel, où leurs lueurs sinistres se reflétaient très haut dans les gouttelettes du brouillard.
Les secours
Robuste, rapide, la pompe de la marine avait bientôt gagné l'usine enflammée et tout aussitôt se mettait en batterie, suivant les ordres de M. Colliou, officier des équipages, commandant la compagnie des pompiers de la marine.
Elle était suivie de la moto-pompe de la Chambre de commerce qui, en la circonstance, recevait le baptême du feu.
Cette moto-pompe, placée sous un hangar à l'éperon du 2° bassin, avait subi, dimanche, sous la direction du commandant Port, inspecteur départemental, des essais concluants.
Sous la direction de M. Boudier, ingénieur de la Chambre de commerce, elle était rapidement installée à pied-d’œuvre et entrait en action.
Plus tard arrivaient tour à tour les pompes à bras de Saint-Marc, des différents quartiers de la ville de Brest, du 3e d'infanterie coloniale et du 19° de ligne, qui prenaient place autour des bâtiments menacés.
Accouru au premier appel, M. le vice-amiral Schwerer, commandant en chef, préfet maritime, présidait aux mesures prises.
On remarquait également la présence sur les lieux de MM. le contre-amiral Grout, major général ;
Madec, maire de Saint-Marc ;
Corre, vice-président, et P. Piriou, membre de la Chambre de commerce ;
le commandant Fort, inspecteur départemental des sapeurs-pompiers ;
le lieutenant Petton, des pompiers de Brest, etc.
Dans les casernes, l'alerte avait été donnée à 5 h. 15, et bientôt les piquets d'incendie du 19e de ligne et des tirailleurs malgaches arrivaient devant l'usine, où un service d'ordre était établi avec le concours de la gendarmerie maritime et de la gendarmerie départementale.
Les dégâts
Ainsi attaqué de toutes parts avec des lances à jets puissants comme celles des pompes de la marine et de la Chambre de commerce, le fléau ne tardait pas à diminuer d'intensité.
Cependant les matières inflammables déposées à profusion dans les divers bâtiments ne pouvaient que laisser fort peu d'espoir aux sauveteurs.
En moins d'une heure, tout l'atelier, comme le principal magasin aux cartons, avaient été complètement détruits.
Mais les pompiers attaquaient avec une telle activité qu'ils obtenaient des résultats inespérés.
Par bonheur, le vent inclinait les flammes et entraînait les étincelles vers la mer.
Source : La Dépêche de Brest 28 décembre 1921
Toute la nuit et toute la journée d'hier, on s'est efforcé de noyer les décombres, où par instants, de nouveaux foyers s'allumaient brusquement.
C'est ainsi que parmi les boulets de charbon réunis eu tas, le feu manifestait encore hier après-midi une certaine activité.
On fabriquait, en effet, dans cette usine, outre le carton bitumé et les agglomérés, des boulets de charbon.
La presse employée à cet usage a été mise hors de service, ainsi que la machinerie de l'usine.
La moto-pompe de la Chambre de commerce est demeurée sur les lieux avec son personnel et les sapeurs-pompiers de Brest, dont M. Boiseau, sous-lieutenant, avait pris le commandement jusqu'à la fin de l'après-midi.
L'usine de carton bitumé est complètement détruite, de même que le magasin principal.
Grâce aux savantes dispositions prises par MM. l'officier des équipages Colliou, commandant la compagnie des marins-pompiers, et le commandant Fort, inspecteur départemental des sapeurs-pompiers, le feu n'a pu se communiquer ni au dépôt de brai et goudron, ni au bâtiment des agglomérés, où se trouvaient de nombreux fûts de pétrole.
Ces résultats sont d'autant plus heureux que l'usine des produits chimiques Dior eût été sérieusement menacée si la manœuvre n'avait pas réussi.
M. Le Comte, directeur de l'usine Larivière, se propose de réinstaller rapidement un atelier de fortune, qui lui permettra de reprendre sa fabrication au plus tôt.
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Source : La Dépêche de Brest 4 janvier 1922