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1937

Un cadavre dans les douves
à Brest

 

 

Source : La Dépêche de Brest 21 novembre 1937

 

Les agents cyclistes de police-secours étaient prévenus, hier matin, vers 7 h., que le cadavre d'un homme venait d'être découvert dans la douve, côté gauche, de l'avancée de la porte Saint-Louis, en direction de la place de la Liberté.

 

Le brigadier Blaise, le sous-brigadier Kerneis et les gardiens de la paix Gourvennec et Tocquer s'y rendirent aussitôt, bientôt suivis par M. Sturtzer, commissaire de police du 1er arrondissement, et le docteur Mével.

 

Les constatations

 

Le cadavre déjà rigide et froid se trouvait couché la face contre terre dans une position oblique, les pieds touchant le mur de la douve.

Le visage ensanglanté présentait sur le côté gauche du cou une plaie longue de huit à neuf centimètres, partant du dessous de l'oreille jusqu'à la pomme d'Adam, et paraissant avoir été faite par un instrument tranchant.

Le défunt était vêtu d'un veston foncé, d'un pantalon gris et coiffé d'une casquette à carreaux marron.

On ne releva ni dans la douve ni sur la berne aucune trace de lutte.

 

Dans les poches, on trouva des pièces d'identité au nom de Jean Bléas, âgé de 33 ans, originaire de Lanarvily, en Plabennec, demeurant à Cran, en Gouesnou et travaillant à l'entreprise S. O. N. E. R. U., chargée de la construction du nouvel hôpital.

Le malheureux était marié et père de trois jeunes enfants de 2, 3 et 4 ans.

 

On trouva également un couteau de poche, un porte-monnaie contenant une plaque pour bicyclette et une somme de 289 fr. 10, renfermée dans une enveloppe à en-tête de la société chez laquelle Bléas était employé.

 

Le pantalon de la victime étant baissé, il était permis de supposer que Bléas, occupé à satisfaire un besoin naturel sur le terre-plein, au-dessus de la douve, s'en était trop rapproché, avait glissé et, perdant l'équilibre, était tombé dans le vide d'une hauteur d'environ 3 m. 80.

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Sur un tesson de verre

 

Poursuivant ses investigations autour du cadavre, le commissaire enquêteur ramassa à cinquante centimètres de la tête un gros morceau de verre d'un centimètre d'épaisseur et d'une douzaine de centimètres de longueur, paraissant provenir d'une toiture vitrée.

Des traces de sang existaient sur l'arête centrale du tesson.

Cela permettrait de penser que Bléas tombant sur le morceau de verre tranchant, s'était fait au cou la blessure qui avait occasionné sa mort.

 

Le docteur Mével, après avoir longuement examiné le cadavre, conclut à une mort accidentelle, qu'il attribua au sectionnement des veines jugulaires, qui avait provoqué une importante hémorragie.

 

Tandis qu'un fourgon des pompes funèbres allait transporter le corps à la morgue de l'hospice civil, la jeune femme de Jean Bléas était mise au courant de la terrible nouvelle par les soins de M. le maire de Gouesnou, qu'avait prévenu M. Sturtzer.

 

L'emploi du temps de la victime

 

M. Sturtzer chercha quel avait été l'emploi du temps de l'ouvrier ferrailleur au cours des quelques heures qui précédèrent sa mort.

 

Jean Bléas avait touché, à 16 h. 45, le montant de sa quinzaine, soit 457 fr.

En quittant son travail il s'était rendu au restaurant « Au réveil matin », situé 6, rue de la Vierge, pour régler sa pension qui était de 44 fr. 25 et pour y dîner.

 

— Bléas, a déclaré la commerçante, venait depuis quelque temps déjeuner chez moi à midi.

Pour la première fois, il avait dîné hier soir et avait joué aux dominos avec des camarades.

Il ne me parut pas en état d'ébriété quand il partit à 22 h. 30.

On le vit monter la rue de la Vierge, « sa bicyclette à la main », et on pensa qu'il rentrait chez lui, à Gouesnou.

 

À partir de ce moment on perd toute trace de l'ouvrier.

Où est-il allé ensuite?

Avait-il fait par la suite d'autres dépenses dans quelque cabaret de la ville avant de revenir vers la place de la Liberté ?

C'est ce que les policiers cherchent à découvrir.

 

Toujours est-il qu'après avoir réglé sa pension, sur les 457 francs qu'il avait reçus pour sa paye, Bléas ne fut trouvé en possession que de 289 francs.

Il lui manquait donc un peu plus de 100 fr.

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Qu'est devenue la bicyclette ?

 

Nous avons dit que l'ouvrier avait sa bicyclette en quittant le « Réveil matin ».

Or, la machine n'a pu encore être retrouvée.

A-t-elle été laissée dans un débit ou fut-elle volée ?

Encore un point important à éclaircir.

 

L'autopsie

 

Mis au courant de cette mort à la fin de la matinée, M. Hébert, substitut de M. le procureur de la République, commit M. le docteur Teurnier pour procéder à l'autopsie du cadavre de Jean Bléas.

 

Les constatations du médecin légiste furent nettes et précises.

L'ouvrier ferrailleur, d'après lui, aurait été tué.

 

M. le docteur Teurnier soutient, en effet, que le morceau de verre découvert près du cadavre et portant des taches de sang, n'avait pu occasionner la profonde plaie que portait Bléas au cou et que la blessure semblait plutôt avoir été faite à l'aide d'un couteau.

 

Au parquet

 

À la fin de l'après-midi, le médecin-légiste alla rendre compte à M. Donnard, procureur de la République, des résultats de l'autopsie.

 

En présence des déclarations formulées par le praticien, qui concluait nettement à un crime, M. Donnard chargea M. Crenn, juge d'instruction, d'ouvrir une information et le parquet se transportera aujourd'hui sur les lieux où le cadavre de l'infortuné Bléas a été trouvé.

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Source : La Dépêche de Brest 22 novembre 1937

 

Nous avons donné hier les résultats de l'enquête faite par M. Sturtzer, commissaire de police du 1er arrondissement, à la suite de la découverte du cadavre de Jean Bléas, 33 ans, marié et père de trois enfants de 2, 3 et 4 ans, trouvé dans les douves de l'avancée de la porte Saint-Louis, derrière le parc à autos n° 2.

 

Employé à l'entreprise chargée de la construction du nouvel hôpital, Jean Bléas avait touché à 16 h. 45, sa paie, soit une somme de 450 francs.

Il s'était rendu 6, rue de la Vierge, au restaurant du « Réveille-Matin », où il prenait pension à déjeuner, y avait exceptionnellement dîné, avait payé ce qu'il devait, soit 44 fr. 50 et, à 22 h. 50, après avoir fait des parties de dominos avec des camarades, il était parti pour rentrer chez lui, à Cran, en Gouesnou, supposait-on.

Mme Le Roux, tenancière du « Réveille-Matin », avait dit qu'il n'avait pas l'air, à ce moment, d'être en état d'ébriété ; elle devait, par la suite, revenir sur sa première déclaration et dire qu'il avait bu, mais n'était pas trop ivre.

 

Ainsi que nous le disions hier, il avait quitté le restaurant, sa bicyclette à la main, et avait pris soin d'en allumer la lanterne avant de sortir.

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L'enquête

 

M. Sturtzer, commissaire de police, en procédant à l'enquête, avait découvert à proximité du cadavre une plaque de verre, épaisse d'un centimètre, tachée de sang.

Des traces marquaient l'emplacement où Bléas, pour satisfaire un besoin naturel, s'était placé.

Il paraissait donc plausible, le pantalon de Bléas étant baissé, de supposer que s'étant placé trop près du bord de la douve, il eut, étant donné son équilibre instable, fait un faux mouvement et, en tombant sur le morceau de verre, il était permis de croire qu'il s'était tranché les veines jugulaires sur son arête coupante.

 

Ce fut la thèse admise par le docteur Mével qui fit les premières constatations.

Le corps fut transporté à la morgue.

M. le docteur Teurnier, médecin légiste, en pratiqua l'autopsie prescrite par le parquet dans l'après-midi de samedi.

 

Ses conclusions furent formelles.

D'après lui, la blessure n'avait pu être faite par le morceau de verre, mais lui semblait provenir d'un coup de couteau.

Le parquet prit alors la décision d’ouvrir une information.

M. Donnard, procureur de la République, en chargea M. Crenn, juge d'instruction, et il fut décidé qu'une descente de parquet aurait lieu hier matin.

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Comment fut retrouvée la bicyclette

 

M. Guillet, chef de la sûreté, avait chargé ses inspecteurs de retrouver :

1° la bicyclette de Bléas qui avait disparue ;

2° de reconstituer, si possible, l'emploi de son temps depuis le moment — 22 h. 50 — où il avait quitté le restaurant de la rue de la Vierge, jusqu’à celui, qu'on supposait être 4 heures au matin, où il avait dû tomber dans les douves.

 

Leurs recherches devaient être, en partie, couronnées de succès.

La bicyclette était retrouvée au 7, rue Kerfautras, dans la cour de l'ancien couvent des Carmélites

 

Daniel Malgorn, 48 ans, l'y avait amenée.

On le conduisit, samedi à 23 h., devant M. Courcoux, commissaire de police, qui lui fit subir un long interrogatoire qui se prolongea jusqu'à une heure hier matin.

 

Malgorn, qui est l'ami d'une servante du « Réveille-Matin », prétendit qu'il avait retrouvé Bléas rue de la Vierge, peu de temps après son départ du restaurant.

 

Ivre, Bléas avait fait une chute et ne pouvait pas se relever.

Un passant l'avait remis debout.

Malgorn était arrivé, à ce moment, et les deux hommes, tenant, chacun d'un côté, la bicyclette par le guidon, s'étaient dirigés du côté de la rue Kerfautras.

 

 

Malgorn n'était pas beaucoup plus solide sur ses jambes que Bléas.

Ce dernier l'avait quitté, il ne sait comment.

Lui avait continué son chemin avec la bicyclette et était rentré chez lui sans plus s'inquiéter de son compagnon.

 

Les agents de la sûreté sont parvenus à retrouver le passant qui avait aidé Bléas à se relever.

Un honorable fonctionnaire, M. B..., qui a demandé à ce que son nom ne soit pas mêlé à cette affaire.

Il a confirmé qu'il avait remis Bléas entre les mains de Malgorn.

 

Malgorn prétend, sans pouvoir l'affirmer, qu'il a dû rentrer chez lui avant minuit.

 

D'autre part, vers une heure du matin, un groupe d'ouvriers qui avaient consommé au « Réveille-Matin », près de Bléas, frappaient à la devanture du restaurant, mais Mme Le Roux, couchée, refusa de leur ouvrir.

 

On suppose que Bléas faisait partie de ce groupe, ce qui donnerait son emploi du temps jusqu'à une heure du matin.

Qu'a-t-il fait ensuite ?

On l'ignore encore.

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Samedi vers 22 h. 30, après avoir poursuivi leurs recherches vers le quartier Saint-Martin, les agents de la sûreté descendaient la rue Jean-Jaurès, quand ils questionnèrent un « clochard ».

Le sous-brigadier Floch ne pouvait faire plus heureuse rencontre.

 

L'individu en question lui déclara, en effet, que dans la nuit de vendredi à samedi, il avait aperçu un nommé Malgorn, qu'il connaissait, entrer chez lui, tenant une bicyclette à la main.

 

La rencontre de Malgorn, le commissionnaire

 

Daniel Malgorn, âgé de 40 ans, exerçant la profession de commissionnaire, n'était pas inconnu des policiers.

 

Accusant un penchant assez prononcé pour la dive bouteille, Malgorn, bon bougre, habite 7, rue Kerfautras, aux Carmélites, où le sous-brigadier Floch et l'agent Cariou le trouvèrent, dès qu'ils furent en possession du renseignement qui leur avait été donné.

 

Vers 23 heures, Malgorn reçut dans son unique pièce la visite des policiers qui aussitôt remarquèrent une bicyclette.

Ayant vérifié la plaque d'identité, le sous-brigadier Floch y releva le nom de Jean Bléas, demeurant à Cran, en Gouesnou.

 

Voici exactement les explications que fournit le commissionnaire qui ignorait tout de l'affaire.

 

Vers 21 heures, vendredi soir, alors que je sortais du débit situé à l'angle des rues de la Vierge et Coat-ar-Guéven, j'ai aperçu un homme qui venait de tomber de sa bicyclette.

Je me suis dirigé vers lui pour l'aider à se relever, il m'a dit à ce moment :

« Tiens, prends ma bicyclette, tu vas me conduire. »

 

Je l'ai prise et nous avons poursuivi notre chemin.

Le propriétaire de la machine, qui me paraissait un peu sous l'influence de la boisson, me suivait à quelques mètres.

 

En arrivant à la hauteur de la rue Danton, que j'allais emprunter pour gagner la rue Kerfautras et rentrer me coucher, je me suis retourné dans le but de prévenir mon compagnon que j'allais le quitter.

 

C'est alors que j'ai constaté qu'il n'était plus derrière moi.

Me trouvant moi-même un peu ivre, je n'ai prêté aucune attention à ce départ et j'ai continué ma route avec la bicyclette, en pensant bien qu'il serait venu le lendemain me la réclamer.

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Le parquet sur les lieux

 

Hier matin, à 9 heures, le parquet composé de MM. Donnart, procureur de la République ;

Crenn, juge d'instruction ;

Sturtzer, commissaire de police enquêteur et le docteur Teurnier, médecin légiste se rendit sur les lieux.

On remarquait également le brigadier Séité, du service de la sûreté et le sous-brigadier cycliste Kerneis.

 

Après avoir vérifié l'emplacement qu'occupait la victime au bord du terre-plein, avant de tomber dans le vide, les magistrats et policiers en contournant le parc à stationnement des autocars, dans la douve humide de la rosée de la nuit.

 

Le sous-brigadier Kerneis montre l'endroit exact où se trouvait le morceau de verre, par rapport à la tête du cadavre.

 

Les enquêteurs constatèrent que deux petites touffes de mousse avaient été arrachées, environ à mi-hauteur du mur qui mesure 3 m. 80 et que des éraflures étaient visibles sur le mur.

Elles prouvaient le frottement du corps dans sa chute.

 

La présence des enquêteurs dans la douve n'avait pas été sans rassembler de nombreux curieux.

 

Une contre-expertise a été ordonnée

 

Le médecin légiste maintenant énergiquement ses premières conclusions, M. Crenn, juge d'instruction, décida en fin de matinée, d'accord avec M. le procureur de la République, de procéder à une contre-expertise, afin de connaître les circonstances de la mort de l'ouvrier Jean Bléas.

 

M. le docteur Mignard, médecin-légiste assisté du docteur Pouliquen et Barbaro, a été chargé de cette contre-expertise qui aura lieu ce matin, à la morgue de l'hospice civil.

Elle permettra d'établir si la mort de Bléas a été accidentelle ou, chose improbable, si l'infortuné ouvrier ferrailleur a été victime d'un crime crapuleux.

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Source : La Dépêche de Brest 23 novembre 1937

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