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1938

Lesneven
Les bâtiments de la Retraite
sont la proie des flammes

 

 

Source : La Dépêche de Brest 24 décembre 1938

 

Le tocsin fait vibrer le vieux clocher de l'église de Lesneven.

Chaudement blotti sous les couvertures, on s'éveille plein d'émoi.

Ce sont maintenant les notes précipitées du clairon des pompiers qui éclatent au coin de la rue.

 

On s'est levé en hâte pour voir à travers les vitres le ciel bas et noir s'empourprer des lueurs de l'incendie.

Les vibrations de l'airain emplissent l'air sans relâche tandis qu'un peu plus loin le cuivre claironne l'appel du sinistre.

 

— Le feu à la Retraite !

 

Les rues s'emplissent bientôt d'ombres qui fébrilement se hâtent vers le lieu indiqué.

 

La Retraite est un établissement religieux que tous connaissent à Lesneven.

Bordant la rue de la Marne par une façade que prolongent deux hautes murailles, il comporte, à quarante mètres en arrière, un long bâtiment de deux étages flanqué de deux longues ailes encadrant un jardin.

 

Celle de droite abrite une chapelle et la sacristie.

Celle de gauche, la cuisine, les logements des religieuses de la Retraite du Sacré-Cœur ainsi que des réfectoires.

 

Dans le bâtiment central, ainsi que dans la partie des ailes, sont disposés deux dortoirs de chacun cent lits et cent chambres meublées.

 

M. Abguillerm, aumônier, est logé dans le bâtiment qui surplombe la rue de la Marne.

 

L'établissement reçoit des élèves venant suivre des cours professionnels ou prendre des leçons de musique, donne des séances récréatives enfantines et surtout abrite de très nombreux fidèles venus des quatre coins de la région pour suivre une retraite religieuse.

 

Jeudi, des jeunes filles qui y avaient suivi des cours d'enseignement ménager avaient quitté la maison et l'on attendait le 4 janvier la venue d'un groupe important de fidèles.

 

L'alarme

 

Vendredi matin, vers 1 h. 15, le quartier-maître fusilier Le Pare, 24 ans, embarqué sur l'Océan, à Toulon, actuellement en permission chez ses parents sabotiers, à Lesneven, se réveillait brusquement.

De vives lueurs éclairaient sa chambre.

 

Il se précipita à la fenêtre et s'aperçut qu'en face, au premier étage de l'aile droite de la Retraite, des flammes jaillissaient.

En hâte il courut en aviser l'aumônier.

 

Tout le monde était profondément endormi dans l'établissement.

Comme le feu menaçait directement la chapelle, M. Abguillerm voulut aller sauver le Saint-Sacrement ainsi que les vases sacrés.

Mais il dut battre en retraite devant les flammes et la fumée.

 

Accompagné du quartier-maître, il s'en fut à l'aile opposée réveiller les treize religieuses ainsi que les deux domestiques.

En hâte tous se vêtirent pour descendre dans la cour.

 

Ici comme on constatait qu'une des religieuses, septuagénaire chargée de l'économat faisait défaut, le quartier-maître Le Pare reprit l'escalier et au deuxième étage trouva l'infortunée sans connaissance.

Il la prit sur ses épaules et vint la confier à ses compagnes.

 

Le feu gagnait rapidement.

L'alarme était donnée en ville.

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Les secours

 

De tous côtés l'on accourait.

Les sapeurs de Lesneven, conduits par leur chef, M. Ed. Le Roux, arrivaient bientôt avec leur moto-pompe qu'ils mettaient en batterie.

 

Le personnel de la maison Colliou, négociant en vins, amenait également une pompe, mais comme celle-ci devait être mue électriquement et que l'on avait pris soin de couper le courant dans l'établissement, son utilisation devenait difficile.

 

Tout de suite étaient accourus MM. le docteur Duterque, maire de Lesneven ;

Airiau, adjoint ;

tous les membres du conseil municipal ;

F. Le Corre, conseiller général ;

Calvez, curé de la paroisse et ses vicaires ;

Poche, ingénieur du service vicinal ;

toutes les autorités de la ville.

 

La population se dévouait sans compter, faisant la chaîne depuis la place Le Flô pour alimenter la pompe.

 

Mais dans les vieux bâtiments de la Retraite le feu courait avec rapidité.

À travers les fenêtres on le voyait gagner irrésistiblement les meubles, les cloisons de planches, les planchers, la toiture.

 

On fit appel aux pompiers de Brest qui vers 3 heures, précédés de l'ambulance automobile, arrivaient sous le commandement du capitaine Chanquelin avec leur auto-pompe.

 

Mais déjà le fléau menaçait de tout détruire.

Un passage couvert reliant le bâtiment en flammes à celui qui longe la rue de la Marne menaçait de prendre feu et de le communiquer à ce dernier.

Afin d'assurer l'isolement, on résolut d'abattre une partie du passage.

 

M. Loiselet, architecte, s'y employait avec le concours de dévoués citoyens.

À coups de hache on coupait les cloisons de planches que l'on finissait d'arracher à l'aide de cordes.

 

Ce faisant une corde se rompit et l'extrémité vint frapper à l'œil M. Abily, marchand de cycles.

La blessure cependant n'apparait fort heureusement pas très grave.

 

Un séminariste, qui fait actuellement son service militaire et jouit d'une permission, avait lui aussi, dès son arrivée sur les lieux, tenté de sauver le Saint-Sacrement mais c'était impossible.

 

Une partie de la toiture s'était abattue et les flammes s'élevaient très haut dans le ciel.

De très loin on s'était rendu compte du sinistre.

Des camionnettes chargées d'hommes arrivaient de Plouider, du Folgoët, du Pont du Châtel, etc.

Mais ces sauveteurs volontaires ne pouvaient guère plus que ceux qui se dépensaient déjà sans compter, songer à intervenir avec grande efficacité.

 

Dans la cour, dans les jardins, la chaleur devenait intolérable.

 

Le capitaine Meinier, de la gendarmerie départementale, était, dès les premiers moments, venu rejoindre la brigade de Lesneven qui, sous les ordres de son chef M. Le Chenadec, s'employait utilement.

L'officier avait fait appel à six gendarmes de Landerneau, quatre de Brest, trois de Lannilis et au concours du garde champêtre Calonnec pour compléter un service d'ordre que l'afflux de la foule rendait de plus en plus nécessaire.

 

Les religieuses avaient dû se réfugier dans une maison voisine, chez Mme Roudaut, et pouvaient suivre avec émotion les progrès du fléau.

 

À présent, la toiture continuant de s'effondrer, des myriades de flammèches et d'étincelles jaillissaient du brasier.

Poussées par un vent violent, elles s'abattaient sur le quartier du Villaren, comprenant une cinquantaine de maisons, situées derrière la Retraite.

 

Il y avait là, tout près des immeubles, des tas de paille si bien menacés que trois d'entre eux commençaient à s'enflammer.

Fort heureusement on avait préparé des seaux d'eau et l'on se rendit rapidement maître de ces nouveaux foyers.

Puis on se hâta de bâcher la paille tout en continuant la surveillance.

 

Les dégâts

 

Malgré les efforts des pompiers et de leurs collaborateurs, le feu avait anéanti, l'aile droite et la chapelle, s'était rapidement étendu au bâtiment principal, puis à l'aile gauche qu'il consumait aussi entièrement.

 

Il trouvait un aliment facile dans les boiseries, les meubles de toutes sortes, les centaines de lits, les tables, bancs, chaises.

 

Dans la sacristie comme dans la chapelle, tous les ornements du culte, les vases sacrés sont demeurés dans la fournaise.

 

Dans la réserve, 300 couverts et 2.500 draps entre autres ont été consumés.

Les dégâts sont estimés à un million et demi pour les objets mobiliers et deux millions pour les bâtiments.

 

Aujourd'hui il ne reste plus des trois vastes bâtiments que des murs noircis entre lesquels s'entassent les fers de la literie, des briques, des poutres qui achèvent de se consumer.

 

Dans la chapelle plus rien que les tableaux de plâtre demeurés fixés aux murs calcinés et représentant le chemin de croix.

 

Les causes

 

On se perd en conjectures sur les causes de ce sinistre.

Des déclarations des premiers témoins, il résulte que le feu s'est manifesté d'abord dans une chambre inoccupée du premier étage au coin de l'aile droite et du bâtiment central.

 

Or, affirme-t-on, depuis neuf ans on n'avait allumé aucun feu dans cette pièce.

 

Une seule hypothèse subsiste présentement :

Celle d'un court-circuit car l'établissement était éclairé électriquement.

 

Quoi qu'il en soit, les courageux efforts des sauveteurs sont demeurés impuissants devant le fléau tant la rapidité de son développement fut grande.

Leur intervention cependant eut un effet de protection car sans elle il n'est pas douteux que le bâtiment qui longe la rue de la Marne eût, lui aussi, été la proie des flammes.

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