1887
Une erreur du télégraphe
La Dépêche de Brest 27 juillet 1887
Un drame intime vient de se passer dans une ville de l'ouest, drame dont la responsabilité remonte à la légèreté impardonnable d'un employé du télégraphe.
Nous passerions sur l'incident — tragique cette fois — si des faits analogues ne s'étaient assez souvent produits.
On nous en a fréquemment signalé.
Quel que soit l'intérêt que nous portions à la classe laborieuse des télégraphistes des deux sexes, il faut cette fois appeler sur eux l'attention administrative.
C'est une chose terrible que « le nez en l'air » dans une opération aussi minutieuse que la transmission télégraphique par l'appareil Morse.
Il est si simple de regarder, devant soi son appareil !
Voici le fait en quelques mots :
Un journaliste de Saint-Malo, M. Albert B..., reçoit l'autre jour un télégramme laconique de Morlaix, ainsi conçu :
« Votre beau-frère est décédé. »
Son beau-frère étant officier, la sécheresse du télégramme et le mot administratif « décédé » ne lui laissent aucun doute.
Son beau-frère est mort.
Pour comble de malheur, c'est sa femme, à la veille d'accoucher qui ouvre le télégramme et qui tombe aussitôt dans une crise terrible.
Elle accouche ; l'enfant meurt, et la mère reste trois jours entre la vie et la mort à la suite de cette secousse.
Or, le beau-frère n'était pas du tout décédé.
Il était « décoré », ce qui n'est pas la même chose et c'est ce que disait la dépêche partie le même jour de Morlaix :
« Votre beau-frère est décoré. »
Mais ce qui faisait :
décoré à Morlaix, au départ du télégramme, faisait : décédé à Saint-Malo à l'arrivée.
À qui la faute ?
À quel employé s'en prendre de cette erreur lugubre dans la transmission ?
Est-ce à l'employé de X... ?
Est-ce à l'employé de Y...?
Nous ne voulons pas le savoir.
Le malheureux aura bien assez de la colère de M. Coulon, qui, nous l'espérons, se montrera vengeresse en cette circonstance.
Nous n'avons qu'à nous louer, à la Dépêche, de la complaisance, de l'amabilité de MM. les employés du télégraphe, et nous sommes heureux d'avoir l'occasion de le dire ;
mais que de fois, à nous aussi, un télégramme est arrivé avec des mots tronqués, nous obligeant à des miracles d'interprétation pour retrouver le sens, exact de l'information !
Bien souvent, il faut le reconnaître, le texte des dépêches remises au télégraphe n'est pas calligraphié, loin de là, et l'on s'explique que des erreurs de transmission se produisent ;
mais pourquoi ne pas exiger du dépositaire de tout télégramme une copie absolument nette ?
Il ne serait pas difficile ensuit de savoir exactement d'où proviennent les nombreuses erreurs que les habitués des dépêches télégraphiques s'accordent, malgré eux, à rencontrer.
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La Dépêche de Brest 6 août 1887