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1893

Le marchand de tripes

Silhouettes Brestoises

 

 

La Dépêche de Brest 30 octobre 1893

 

— Qui veut des tripes ? Voilà le marchand !

 

Voici venir, en effet, le marchand de tripes.

Grave et digne comme le roi des rois de la Belle Hélène, il s'avance à pas comptés.

Un tablier blanc immaculé drape son torse.

Sur sa petite voiture grise comme sur un autel, fument les deux récipients où bout son odorante marchandise, qu'un âne, aussi fier que celui qui portait les reliques, traîne majestueusement.

 

Saluez !

Vous avez devant vous maître Moreau, Alcide, s'il vous plaît, le créateur d'une nouvelle petite industrie de la rue.

 

Les fourneaux de maître Moreau sont installés au Pilier-Rouge.

C'est là qu'il apprête avec un soin méticuleux les succulentes tripes qu'il débite à travers la ville.

Chaque matin, il descend des hauteurs de l'Annexion, et au son de sa superbe trompette nickelée, qui a peut-être le tort de rappeler les cornes nasillardes des jeunes vélocipédards, les ménagères accourent en foule se faire servir.

​

 

On ne naît pas marchand de tripes.

On le devient plus souvent.

Comment maître Moreau l'est-il devenu ?

C'est une histoire qui vaut la peine d'être contée.

 

Avant d'être dans les tripes, Alcide Moreau était — au bon sens du mot — dans la limonade.

Il exerçait la profession de distillateur à Kerjean-Vras.

Il faut croire que c'est un métier ingrat, car le brave Moreau ne tarda pas « à avoir des malheurs ».

La régie n'est pas tendre.

Elle lui chercha noise pour quelques malheureux, manquants et, finalement, lui tira la forte somme de 1,500 francs environ.

 

Avant de liquider ses alambics, Moreau qui ne s'appelle pas Alcide pour rien, essaya de lutter.

Jugeant qu'il valait mieux s'adresser au bon Dieu qu'à ses saints, il écrivit à M. Rouvier, ministre des finances, puis à la femme du ministre.

On lui promit de s'occuper de lui, mais ses réclamations n'étaient-elles pas fondées ?

​

 

Toujours est-il que, comme sœur Anne, il ne vit rien venir.

Moreau en prit bravement son parti.

Il se fit marchand de tripes, mais il garda une forte dent contre l’ancien ministre.

Il chercha la vengeance et il la trouva.

Il baptisa son âne du nom de Rouvier.

Ce n’est peut-être pas très méchant, mais ça lui fait tant de plaisir !

 

Et voilà pourquoi le brave Moreau parcourt les rues, vendant des tripes qui rendent des points à celles de Caen et aguichant ainsi son jeune roussin :

« Hue, Rouvier ! Va donc, ministre ! »

 

— Allons, qui veut des tripes ?

Voilà le marchand !

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