1916
Règlement de la police des mœurs
à Quimper
Dispositions générales.
ART. 1er. — Toute fille ou femme se livrant habituellement ou d'une manière notoire à la prostitution est réputée fille publique, placée sous la surveillance de l'autorité et, en cette qualité, inscrite sur le registre spécial de la police des mœurs.
ART. 2. — Il est délivré à chaque fille publique un carnet ou fiche de contrôle qu'elle sera tenue de représenter à toute réquisition de la police.
Sur ce carnet ou fiche sont inscrits ses nom, prénoms, âge, résidence et signalement, ainsi que le résultat des visites sanitaires prévues à l'article 23.
ART. 3. — Les filles publiques sont classées :
a) En filles de maison close ;
b) En filles isolées.
Les premières sont celles qui demeurent dans les maisons dites de tolérance dont elles suivent la discipline, sous la dépendance des maîtresses de ces maisons.
Les secondes sont celles qui ont un domicile particulier, soit en garni, soit en appartement à terme et dont le mobilier est leur propriété.
Toulouse-Lautrec,
Couverture d’Elles,
1896
Les unes et les autres sont astreintes, aux obligations qui suivent :
A. — Des Maisons de prostitution.
ART. 4. — Aucune maison de prostitution, dite de tolérance, ne pourra s'établir qu'avec l'autorisation municipale et à la suite d'une enquête favorable sur les antécédents des postulants.
ART. 5. — Ces maisons ne pourront être accessibles aux clients que par deux issues au plus, toutes les deux s'ouvrant sur la voie publique.
Les fenêtres devront être garnies :
1° à l'intérieur, de rideaux épais toujours tenus fermés à moins que les vitres ne soient dépolies ;
2° à l'extérieur, de volets ou persiennes.
Lorsque les fenêtres sont ouvertes pour le renouvellement de l'air ou qu'il est fait usage de lumière à l'intérieur, les volets ou persiennes doivent être fermés.
Les chambres des pensionnaires de maisons closes devront être propres, saines et confortables.
Chaque femme devra avoir la sienne, et défense est faite aux femmes de se réunir dans une chambre de l'une d'elles ou toute autre pièce de l'établissement pour y accomplir des actes de débauche.
Défense est conséquemment faite aux tenanciers de tolérer qu'un client ne monte en chambre avec plusieurs femmes, qu'une femme n'y reçoive en même temps plusieurs hommes ou que des hommes et des femmes se réunissent ensemble, dans une seule chambre, pour y accomplir leur débauche.
ART. 6. — Les filles majeures, seules, pourront être admises dans les maisons de tolérance et seulement après les formalités prescrites à l'article 5.
Henri de Toulouse-Lautrec
Au salon de la rue des Moulins,
1894
ART. 7. — Il est enjoint à la tenancière de la maison :
1° De ne recevoir chez elle aucune fille sans l'avoir préalablement accompagnée au Commissariat de police où, sur l'examen de ses pièces d'identité, il sera immédiatement procédé à son inscription au contrôle des mœurs et sans qu'un certificat médical délivré par le médecin de l'Administration municipale ne l'ail reconnue saine ;
2° De ne laisser sortir en ville aucune de ses pensionnaires sans autorisation de la police qui examinera, au préalable, la légitimité des motifs invoqués.
Dans tous les cas, la fille autorisée à sortir sera toujours accompagnée soit par la tenancière, soit par la sous-maîtresse ;
3° D'ouvrir, à toute réquisition de jour, ou de nuit la maison aux représentants de la force publique ;
4° De n'employer au service domestique de la maison d'autre personnel que des femmes majeures qui, elles-mêmes, ne devront avoir aucun contact avec les pensionnaires ;
5° De ne recevoir dans aucune partie de l'établissement des jeunes gens de moins de 21 ans, des femmes ou des filles étrangères à la maison quand même celles-ci seraient-elles accompagnées de leurs amants ; de ne tenir restaurant ; de ne servir toute boisson alcoolique à leurs pensionnaires, autres que vin, bière, cidre ou sirops et, aux clients, des liqueurs ou spiritueux de haut degré ;
6° De faire jouer ou de laisser jouer à aucun jeu de cartes ou d'argent, sous peine des poursuites prévues à l'article 410 du Code pénal ;
7° De recevoir ou de conserver des militaires après l'heure de la retraite.
Toulouse-Lautrec,
La toilette, celle qui se peigne,
1891
ART. 8. — Les tenanciers seront responsables des désordres que causerait leur personnel tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'établissement.
Ils sont tenus d'avertir immédiatement la police des désordres qui se commettraient chez eux par le fait des personnes étrangères et sont également responsables des infractions qu'ils auraient pu empêcher.
ART. 9. — Les enfants mineurs, de l'un et de l'autre sexe, des tenanciers ou de leurs pensionnaires ne pourront habiter avec leurs parents.
ART. 10. — Chaque maîtresse de maison pourra avoir une surveillante ou sous-maîtresse.
Celle-ci ne devra avoir aucun commerce avec les clients.
Elle ne sera conséquemment pas tenue aux visites sanitaires régulières.
Toutefois, elle ne pourra être admise dans l'établissement qu'après inscription sur le registre de police et une visite médicale constatant qu'elle n'est atteinte de maladie syphilitique ou contagieuse.
ART. 11. — Il est défendu aux tenancières de retenir contre leur gré les filles qui désirent quitter l'établissement ; mais elles doivent les accompagner au Commissariat et leur fournir, pour leur départ, une tenue propre et décente.
ART. 12. — Toute fille de maison de tolérance trouvée errante sur la voie publique sera immédiatement arrêtée et déposée par mesure de salubrité à la geôle municipale jusqu'à ce qu'il ait été statué sur son cas.
ART. 13. —Les frais de visite sanitaire sont à la charge des tenanciers de maison.
Ces visites sont faites régulièrement tous les 10 jours à l'établissement, par le médecin de l'Administration municipale ou chaque fois que, dans l'intervalle, des plaintes formelles auront été portées sur l'état de santé d'une pensionnaire.
ART. 14. — Ampliation des dispositions qui précèdent sera notifiée aux tenanciers des maisons tolérées.
ART. 15.- — Jusqu'à nouvel ordre une seule maison a été jugée suffisante pour la ville de Quimper.
Elle est sise au n° 2 de la rue Pen-ar-Stang et son transfert ne pourra s'effectuer sans autorisation préalable de l'autorité municipale.
Toulouse-Lautrec,
« Femme en corset »,
Étude préparatoire pour Elles,
1896
B. — Des Filles soumises isolées.
ART. 16. — Sont inscrites d'office au contrôle de la police des mœurs :
Les filles ou femmes se livrant à des provocations sur la voie publique et celles qui reçoivent habituellement des hommes dans leur demeure.
Ces inscriptions sont prononcées par le Maire sur la proposition du Commissaire de police.
ART. 17. — Les filles publiques vivant en chambre ne peuvent, sous aucun prétexte, demeurer à moins de 100 mètres des établissements d'instruction, édifices du culte, casernes et édifices des divers services des administrations publiques.
Leur habitation étant réputée lieu de débauche, elles sont, conséquemment, soumises aux visites domiciliaires de jour et de nuit et tenues d'ouvrir leur porte à toute réquisition de la police.
Elles ne peuvent résider plusieurs, soit dans la même chambre, soit sous le même toit, ni se réunir les unes chez les autres sous quelque prétexte que ce soit.
Elles doivent s'abstenir, dans l'intérieur de leurs habitations, de tout bruit ou tapage troublant la tranquillité des voisins, de se tenir à leur fenêtre en tenue légère et, en général, de tout geste et acte contraires à la bienséance de nature à être aperçus du dehors.
Il leur est interdit de se présenter dans les hôtels, cafés, restaurants, cabarets et débits de boissons, de parcourir la ville en voiture découverte, seules ou accompagnées, pas plus qu'en fiacre, à moins que les stores n'en soient baissés complètement, de façon qu'elles et ceux qui les accompagnent ne puissent être aperçus des passants.
Au cas où des chants ou des propos immoraux, des appels ou des interpellations se feraient entendre de la voiture, le cocher, le véhicule et ceux qu'il transporte seraient conduits au dépôt de la Mairie et mis à la disposition du Commissaire de police.
ART. 18. — À partir du coucher du soleil, il est interdit aux filles soumises de se montrer sur les promenades publiques, de stationner ou circuler sur les trottoirs, d'y former des groupes, d'interpeller les passants, de les attirer ou les appeler par des signes ou de tout autre manière.
Il leur est également interdit de stationner ou de se tenir dans les entrées de couloirs ou corridors, lors même qu'ils donneraient accès à leur domicile, dans le but de racoler leur clientèle.
Toulouse-Lautrec,
Rousse ou Toilette
ART. 19. — Défense est faite à ces femmes ou filles de se présenter devant les casernes et corps de garde ou de s'y introduire, d'accoster les militaires, de se promener en leur compagnie et de recevoir ou de conserver chez elles ces derniers après l'heure de la retraite.
ART. 20. — Le Mont Frugy leur est interdit à toute heure de jour ou de nuit, ainsi que le stationnement aux abords de la gare.
ART. 21. — Au Théâtre, elles ne pourront prendre place que dans les parties de la salle qui leur seront assignées par le Commissaire de police, à peine d'être expulsées sans préjudice des poursuites encourues pour le fait de leur contravention.
ART. 22. — Interdiction formelle est faite aux femmes et filles soumises de recevoir chez elles des mineurs de l'un et de l'autre sexe.
ART. 23. — Chaque femme ou fille publique devra être visitée les mercredi de chaque semaine par le médecin de l'Administration municipale.
Ces visites auront lieu dans une salle de l'Hospice civil spécialement affectée à ce service. La fiche ou le livret dont elle sera détentrice en indiquera la date et le résultat.
Toute femme ou fille reconnue malade demeurera à la disposition de l'Administration et sera conservée dans l'Hôpital jusqu'à sa guérison.
Les femmes ou filles soumises qui ne se seront pas présentées à la visite sanitaire, lors même qu'elles ne seraient pas malades, seront arrêtées et déposées à la prison municipale, en attendant leur conduite devant le médecin-visiteur.
Il en sera de même de celles qui, bien qu'encore non inscrites sur les contrôles de la police des mœurs, seront surprises en flagrant délit de racolage ou seront convaincues de prostitution.
Toulouse-Lautrec,
Femme qui tire son bas,
1894
ART. 24. — Toute personne qui logera en garni une fille publique devra s'assurer, au préalable, que celle-ci a satisfait à l'obligation prescrite à l'article suivant.
ART. 25. — Les filles publiques isolées qui changeront de logement devront, le jour même, en faire la déclaration à la police en indiquant leur nouvelle demeure.
ART. 26. — Il est interdit aux débitants, restaurateurs, limonadiers, hôteliers, etc., de recevoir et de loger dans la maison occupée par eux des filles publiques ou notoirement réputées telles.
Sont également interdites les maisons de prostitution clandestine dites « maisons de passes » et procès-verbal sera dressé contre les tenanciers responsables de ces établissements.
ART. 27. — Toute femme ou fille publique qui demandera sa radiation du registre de la prostitution devra justifier de moyens d'existence honorables et établir qu'elle a cessé de se livrer à la débauche.
La radiation en sera alors opérée par le Maire, sur la proposition du Commissaire de police.
ART. 28. — Il sera donné connaissance, lors de la notification de leur inscription au contrôle de la police des mœurs, aux femmes et filles publiques, des dispositions du présent règlement les concernant et dont un exemplaire leur sera remis contre versement de la somme de 0 fr. 50 c
Toulouse-Lautrec,
Elles, lithographie « Seule » ou « Lassitude »,
1896
C. — Sanctions.
ART. 29. — Les contraventions au présent arrêté seront punies des peines de simple police.
La peine d'emprisonnement sera prononcée en cas de récidive dans l'année, sans préjudice, pour les tenanciers de maisons closes, du retrait de l'autorisation concédée qui, le cas échéant, pourra être prononcé.
ART. 30. — M. le Commissaire de police et les Agents placés sous ses ordres sont chargés de l'exécution du présent.
Fait en Mairie, à Quimper, le 31 janvier 1916.