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1923

La gare de Brest menace ruine
par
Charles Léger

 

 

Source : La Dépêche de Brest 17 février 1923

 

Lorsque le 27 avril 1865, en présence du ministre impérial, des corps élus de la ville et du département, de tout le clergé venu en grande pompe, on inaugura la gare de Brest en même temps qu'on baptisa les deux premières locomotives qu'on y voyait, les Brestois ainsi que tous les habitants des environs, accourus en foule, emportèrent de la cérémonie un souvenir « inoubliable » disent les journaux de l'époque.

 

C'est qu'aussi elle avait de l'allure notre gare sous le flottement des innombrables drapeaux qui la décoraient, faisant valoir les coloris vifs de ses briques et de ses poutrelles entrecroisées parmi les banderoles et les guirlandes dont on l’avait ornée à profusion.

 

Elle était vaste pour les yeux de nos concitoyens qui ne s'ouvraient pas encore pour les choses monumentales ou colossales nécessitées par l'intensité fantastique de mouvement qu'on ne devait connaître que bien plus tard.

 

Elle répondait alors largement aux besoins de l'époque.

 

Mais quand les diligences durent être définitivement remisées ;

lorsque les facilités nouvelles eurent développé le goût et l'habitude du voyage ;

quand après le transport des voyageurs celui des marchandises devint normal ;

lorsqu'enfin l'usage du chemin de fer fut entré dans les mœurs courantes, il fallut faire face à ces besoins nouveaux et dans le cadre strictement limité par la hauteur du boulevard Gambetta et dépression du Merle-Blanc, exécuter de nouveaux ouvrages.

 

Aux deux locomotives du premier jour d’autres, en nombre considérable, vinrent s'ajouter.

Et il leur fallut un dépôt spacieux avec ateliers de réparations.

 

Bien plus puissantes, elles manifestaient un monstrueux appétit qui, pour être satisfait, réclamait d'énormes quantités de charbon.

On dut créer des parcs vers le même emplacement.

 

Le nombre des trains s'accroissait sans cesse et celui des wagons prit des proportions qu'on ne soupçonnait guère aux jours d'inauguration.

Il leur fallut de longues et multiples voies de garage.

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Le trafic s'intensifiait extraordinairement.

On dut créer une gare des marchandises avec des quais de débarquement, des entrepôts, des magasins, des halls.

 

Bientôt les services de l'administration, pas plus que ceux de l'exécution, contraints de suivre le même développement, ne trouvèrent place suffisante dans les locaux qui leur étaient affectés.

On dut installer de nouveaux bureaux.

Les édifices principaux étant, trop exigus, on bâtit des baraquements de toutes formes, de toutes dimensions jusqu'au bord des voies, dans les endroits les plus reculés.

 

Et depuis longtemps déjà on doit faire appel à toute l’intelligence et au complet dévouement d'un personnel exercé pour que les services puissent s'effectuer sans dommage dans cette gare qu'on pourrait croire embouteillée à tout jamais tant est réduit l'espace laissé libre à la circulation.

À quelles interminables et difficultueuses manœuvres n'est-on pas contraint pour disposer des longues et nombreuses rames de wagons qui doivent se succéder dans cet étranglement des aiguillages !

 

On regretta bien vite d'avoir concédé du terrain aux chemins de fer départementaux pour leur permettre d'installer leur gare à proximité de celle de la grande ligne ;

mais on ne pouvait que le regretter.

 

On pensa pouvoir élargir la partie de la plaine réservée aux voies de garage en empiétant sur la colline du Merle Blanc.

Mais cela eût nécessité le comblement d'une dépression importante et la construction d'un énorme mur de soutènement, travaux qui, en dépit de leur importance, n'eussent pu répondre aux besoins que dans une mesure bien trop réduite.

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Ce qui apparaît aujourd'hui comme étant le moyen le plus pratique c'est le déplacement de certains édifices.

Qu'est-ce qui s'opposerait, en effet, au transfert du dépôt des machines au Rody ?

À n'envisager que cette seule modification, on se rend compte en raison de la place occupée par l'édifice, combien les manœuvres en gare seraient facilitées.

 

Mais si notre gare, dans son ensemble, manifeste de pareilles insuffisances l'édifice principal doit plus encore attirer l'attention de la compagnie.

 

On ne se souvient guère dans quelles conditions il fut construit ;

et cependant cela provoqua chez nous des polémiques bien ardentes.

 

Le terrain qui avait été cédé à la compagnie de l’Ouest pour la création de la gare appartenait à l'administration de la guerre.

Le génie militaire en pouvait seul avoir la libre disposition, car il entrait dans la première zone du système des fortifications.

Or, l'administration, dont on connaît, les exigences, ne permit pas qu'on construisît la gare en maçonnerie, on se servit donc simplement de bois et de briques.

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Cela, on le conçoit, n'allait pas sans inconvénients.

Le prévoyant, un de nos confrères de l'époque, « l’Armoricain », journal de Brest et du Finistère, dans son numéro du 7 mars 1865, parlant des fortifications, disait :

 

« Nous avons l'espoir fondé que bientôt notre ville verra tomber ces murailles qui l'étreignent si fâcheusement aujourd'hui, et que Sa Majesté daignera en ordonner la reconstruction en dehors de la nouvelle enceinte municipale.

Un motif de plus nous fait augurer davantage en faveur de cette opinion, c'est la position de la gare du chemin de fer dans la première zone militaire, situation qui, à un moment donné, pourrait occasionner de sérieux embarras. »

 

Hélas ! Les murailles qui étreignent Brest si fâcheusement sont encore debout ;

et l'on constate aujourd'hui les sérieux embarras qu'elles ont occasionnés.

En effet, si les remparts sont demeurés solidement dressés, il n'en va pas de même de la gare, qui cause par sa décrépitude les craintes les plus justifiées.

 

Depuis de nombreuses années déjà poutres, poutrelles et traverses sont complètement pourries.

On put le constater encore tout récemment alors qu'on dégageait la salle des pas-perdus des baraquements qui l'encombraient.

 

On s'en aperçoit chaque jour dans chacun des bureaux qui l'entourent, car la pluie y pénètre tout aussi bien par le plafond que par la façade.

 

Avec une constance digne d'admiration, on procède à de continuels replâtrages qui n'ont d'autre résultat que d'être dispendieux.

 

Chaque année, on ne dépense pas moins de cent mille francs en des réparations qui n'ont certainement pas pour effet d'interrompre la décomposition des pièces principales de l'édifice.

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Il y a un an, un entrepreneur étranger au pays avait été chargé de refaire le faîtage.

En mai, les vitres qui font fonction de toiture étaient enlevées.

Et l'on s'apercevait ensuite que les pièces de la charpente étant pourries, il devenait indispensable de les remplacer.

 

Depuis lors, on attend la venue du bois sain qu'on s'apprête à ajuster sur des bases sans résistance.

Depuis ce moment aussi la gare est dépourvue de couverture et les pluies continuent leur action destructive avec l'intensité que l'on conçoit.

 

En présence de cet état de choses, les personnages les mieux renseignés sur la question en sont venus à redouter un véritable effondrement.

C’est pourquoi nous croyons devoir attirer l'attention de la compagnie.

 

Au demeurant, n'y aurait-il pas avantage, même sans tenir compte de la nécessité d'une décision rapide, à reconstruire immédiatement une gare dont le prix de revient ne dépasserait guère le total des sommes exigées pour les réparations en quelques années seulement ?

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