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1923

Parlons un peu de la femme
par
Louis Coudurier

 

 

Source : La Dépêche de Brest 6 mars 1923

 

À la veille du débat qui va s'engager à la Chambre des députés sur la réforme électorale, la commission du suffrage universel, par la plume de M. Joseph Bathélémy, du Gers, vient de faire connaître ses conclusions relativement à la proposition de loi de M. Justin Godard et de plusieurs de ses collègues, concernant le suffrage des femmes.

 

La commission propose un article unique, dont voici le texte :

 

Les lois et dispositions réglementaires relatives à l'électeur et à l'éligibilité,

s'appliquent aux femmes âgées de plus de vingt-cinq ans.

 

C'est court, c'est net, c'est clair.

La loi une fois votée, toutes les femmes qui auront franchi le seuil de la première jeunesse seront placées sur un pied d'égalité absolue avec les hommes.

 

La lecture du très remarquable rapport de M. Joseph Barthélémy renseigne complètement sur l'état de la question — d'une question qu'il serait inconvenant de traiter par la plaisanterie, par la blague facile.

Ce document est bourré de renseignements, les uns d'ordre statistique, les autres d'ordre de moralité, bien propres à détruire les préjugés et à mettre en lumière des arguments péremptoirement favorables à la thèse de l'auteur du projet de loi.

Joseph Barthélémy

 

Nul n'a oublié, sans doute, que le 20 mai 1919, à la majorité de 329 voix contre 95, la Chambre approuvait cette thèse et accordait aux femmes, dans les mêmes conditions qu'aux hommes, l'électorat et l'éligibilité.

Il fallut un second vote — celui du 7 octobre 1919 — pour inviter le Sénat à inscrire, dans le plus bref délai, à son ordre du jour, la discussion de la proposition de loi votée par la Chambre ;

mais la Haute Assemblée attendit le mois de novembre 1922 pour attaquer le débat.

Après quelques jours de controverses, le 21 novembre 1922, le Sénat repoussait par 156 voix contre 134 de passer à la discussion des articles.

 

Donc, les sénateurs refusaient purement et simplement aux femmes l'entrée dans ce que M. Joseph Barthélémy appelle « la cité politique ».

 

Le projet avait dormi trois, ans dans les cartons du Sénat ;

il n'en était sorti que pour y retourner et y dormir de nouveau.

Le sommeil est le plaisir des vieillards.

 

Considérant, dit le rapporteur de commission du suffrage universel,

« que la femme est un être humain et raisonnable »,

il y avait, dans « le geste sénatorial, une violence évidente faite à la justice et à la raison ».

Joseph Barthélémy

1942

 

En effet, la femme, tout comme l’homme, a des intérêts économiques.

Elle paie l'impôt.

L'évolution économique l’a arrachée, qu'on le veuille ou non au foyer, et « bien des antiféministes bourgeois, remarque M. Joseph Bathélémy, en étudiant notre problème, n’ont devant les yeux que les 300.000 femmes du monde retirées dans la molle douceur foyer confortable ».

 

Or, les statistiques nous montrent, en face de cette armée d’oisives privilégiées, l’immense cohorte de celles qui travaillent :

12 millions d’ouvriers, 7 millions d’ouvrières.

Sans compter les femmes qui ont résolument pris la direction d’entreprises commerciales, industrielles, agricoles ;

qui sont entrées dans la médecine, au barreau où, de plus en plus, elles disputent à l’homme la maitrise et le monopole.

 

On connait les objections :

1° Les femmes ne désirent pas le vote ;

2° La femme serait inférieure ;

3° La femme serait extrémiste, réactionnaire ou communiste ;

4° La femme ne fait pas le service militaire ;

5° La femme est faite pour le foyer ;

6° La politique désunirait les familles.

 

Aucune de ces objections ne tient devant l’expérience déjà acquise.

M. Joseph Barthélémy les détruit une à une avec une extrême aisance.

La femme ne fait pas de service militaire, mais n’est-elle pas « la grande fournisseuse de ce que l’abominable langue allemande appelle le matériel humain » ?

 

Le vote désorganiserait la famille ?

Ceux qui expriment ces craintes et tracent ce tableau méconnaissent d’abord la tolérance réciproque qui existe dans les familles.

Combien on pourrait citer d’excellents ménages de farouches anticléricaux avec des femmes pieuses ?

Barthélémy Joseph

 

Aux États-Unis d’Amérique, où les femmes ont le droit de vote, on a remarqué que, dans les États où ce droit n’existait pas encore, comme l’Indiana et la Californie, les divorces étaient beaucoup plus nombreux que dans ceux où l’égalité des sexes était depuis longtemps admise.

 

Sur tout le territoire de l'Union, les femmes prennent part maintenant à l'élection des grandes autorités fédérales.

Aux élections de novembre 1900, plus de 20 millions d'électrices se sont présentées aux urnes.

Donc, la femme est jalouse de ce droit qu'on lui conteste en France, sous le vain prétexte qu'elle ne le désire pas !

 

Mais, sans quitter notre vieille Europe, notons que le droit de vote a été accordé,

aux femmes dans les États suivants :

Norvège, Danemark, Suède, Luxembourg, Hollande, Tchécoslovaquie, Prusse, Finlande, Esthonie, Lettonie, Lithuanie, Autriche, Hongrie.

N'oublions pas l'Angleterre où, depuis 1918, les femmes âgées de 30 ans ont acquis les mêmes droits politiques que les hommes.

Par deux fois déjà, elles ont voté et l'Angleterre n'en a pas été bouleversée !

Quant à la Belgique, elle a, depuis le 4 mars 1920, doté les femmes du droit de vote pour les Conseils communaux.

Alexandre Bérard

 

Le gros argument qui a touché les sénateurs français a été celui que M. Alexandre Bérard a cru devoir brandir au-dessus des têtes vénérables qui l'entouraient :

« Allez-vous décider s'est-il écrié, que, d'un seul coup, les destinées du pays seront remises à ces 1.800.000 femmes (ce chiffre est la différence entre le nombre des femmes et celui des hommes), qui pourront ainsi anéantir le vote masculin ? »

 

À quoi, M. Joseph Barthélémy répond :

Il ne s'agit pas de statuer sur des intérêts spéciaux à chaque sexe, mais sur des intérêts communs, sur des intérêts français.

« Les femmes contribuant à faire les frais de la gestion des affaires publiques, doivent contribuer à la diriger.

Leurs votes sont des votes français. »

 

On le voit, la question est posée et bien posée.

La Chambre ne se déjugera pas.

Elle maintiendra ses décisions antérieures.

Quant au Sénat, il essaiera encore de résister.

Mais on ne résiste pas longtemps aux grands courants d'opinion et de progrès.

Le dernier barrage de l'antiféminisme sera emporté par un de ces courants irrésistibles.

 

Louis COUDURIER.

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