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1923

Le plan d'aménagement du futur Brest
par Charles Léger

 

 

La Dépêche de Brest 27 mai 1923

 

La porte du Moulin-à-Poudre n'est plus !

Les deux voûtes parallèles qui la constituaient ont en effet, disparu depuis deux jours.

 

Ce ne fut pas une mince besogne, car les pierres, dont elles étaient faites s'assemblant avec un mortier particulièrement résistant, représentaient de sérieux blocs de granit.

On dut, pour en venir à bout, avoir recours à la poudre.

 

Dans chacune des pierres formant clef de voûte, on avait disposé une mine, dont l'éclatement simultané provoqua la rupture.

 

L'opération se fit mercredi, à 9 heures du matin.

Vingt minutes plus tard, le service des tramways reprenait là à ciel ouvert.

 

Dans une dizaine de jours, la large brèche qui doit être faite dans la haute muraille sera sans doute achevée.

Il ne restera plus, dès lors, qu’à constituer des trottoirs, empierrer et cylindrer la voie.

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Ainsi, en attendant mieux, la ligne de nos fortifications aura, une fois de plus, été rompue.

Ce n'est là, certes, qu'une bien petite partie des grands travaux projetés, mais elle n'est pas la moins intéressante, car les communications avec les communes voisines s'en trouveront améliorées.

 

Quand donc ces grands travaux qui doivent transformer si complètement notre cité seront-lis entrepris ?

C'est là une question qui nous est fréquemment posée ;

mais les moyens réclamés pour leur réalisation sont tels qu'il est bien difficile actuellement d'émettre même une simple prévision.

 

Cependant, d'ores et déjà, il est indispensable de tenir compte des projets établis.

Un regrettable exemple vient de le démontrer ces jours derniers.

 

Plusieurs maisons d'habitation devant être édifiées aux abords des fortifications, les premiers travaux avaient été entrepris et les fouilles étaient déjà faites quand on s'aperçut que la nouvelle voie qu'on allait ainsi tracer n'avait pas la largeur voulue et que sa direction ne répondait pas au plan d'ensemble établi.

On vient donc d'interrompre le travail pour prendre de nouvelles dispositions.

 

Il ne faut pas oublier, en effet, que « l'accroissement constant, des agglomérations, disait une circulaire du ministère de l'Intérieur datée du 5 mars 1920, la nécessité d'assurer aux populations urbaines des logements sains et aérés et de mettre à la disposition des habitants de grands espaces libres pour le développement des sports et des jeux, le souci très légitime des municipalités de donner aux divers aspects d'une ville un caractère esthétique, pittoresque ou monumental, le besoin de créer de larges voies de communication pour permettre de satisfaire aux exigences d'une circulation toujours plus grande et plus rapide, ont amené le Parlement à voter la loi du 14 mars 1919 sur les plans d'aménagement, d'embellissement et d'extension des villes ».

 

L'établissement de ces plans, dont le but est ainsi défini, est obligatoire, en vertu de l'article premier de cette loi, pour :

 

1° Toutes les villes de 10.000 habitants et au-dessus ;

2° Toutes les agglomérations totalement ou partiellement détruites ;

3° Les agglomérations présentant un caractère pittoresque, artistique ou historique ;

4° Les villes de moins de 10.000 habitants et de plus de 5.000, dont la population a augmenté de plus de 10 % dans l'intervalle de deux recensements quinquennaux consécutifs ;

5° Les stations de villégiatures, dont la population augmente de 50 % à certaines époques de l'année.

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Former un plan de cette nature, dont les conséquences sont d'une importance de tout premier ordre pour une ville, est chose par particulièrement délicate.

Aussi le ministère de l'Intérieur attirait-il l'attention des municipalités sur les difficultés d'application de la loi nouvelle.

 

Prodiguant les conseils, le ministère indiquait qu'il importait avant tout de prendre avis de toutes les compétences sans en négliger aucune ;

chambres de commerce, groupements industriels, archéologiques ou artistiques régionaux, des œuvres sociales, etc.

 

Puis, il rappelait qu'il fallait, « être raisonnable dans l'étude et le tracé du plan d'extension, d'aménagement et d'embellissement ;

raisonnable, parce que les budgets de la France appauvrie ne se prêtent pas à des fantaisies coûteuses ; raisonnable, parce qu'il faut tenir compte de ce qui existe ;

raisonnable, enfin, parce ce que les chemins de fer jadis, l'automobilisme aujourd'hui, l'aéronautique demain, peuvent mettre en morceaux une conception trop rigide, trop absolue ».

 

Il ajoutait encore qu’il fallait se rappeler que la direction, l’utilisation, le caractère, la largeur des voies sont fonctions les unes des autres.

 

Élargir ou créer des voies de grand trafic avec des pentes minimales, des angles ouverts, des rayons de giration amples, des visées suffisantes facilitées par de larges pans coupés.

Améliorer plutôt que bouleverser, ainsi que de ne pas détruire d’individualité de la ville, son aspect pittoresque et décoratif.

Il n’est pas nécessaire de favoriser les grandes vitesses dans les centres populeux et il est inutile d’élargir systématiquement les rues où il passe personne.

Les obligations de l'hygiène doivent s'attaquer bien plus énergiquement aux cours obscures qu'aux rues étroites.

 

« Ménager les anciens tracés ;

penser aux dépenses et se rappeler qu'une voie nouvelle souhaitable, mais que son coût empêche de réaliser jamais, est moins intéressante qu'une rue améliorée :

que, à cause des pentes, le meilleur chemin d'un point à un autre n'est pas toujours la ligne droite, que l'alignement rectiligne gâte souvent l'aspect d'une voie ancienne sans profit appréciable. »

 

Semblables indications étaient particulièrement précieuses pour Brest, qui, du fait du déclassement des fortifications, allait pouvoir trouver la possibilité de se transformer complètement.

Les antiques ouvrages de défense occupent, en effet, le centre réel de la cité, et en isolent les deux parties par une énorme bande de terrain, capable de permettre la réalisation des projets les plus vastes.

 

Ainsi, ce qui constitue depuis si longtemps l’obstacle au développement de la ville va se muer en circonstance heureuse, permettant précisément ce même développement avec toute l'ampleur désirable.

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Grâce aux fortifications, en effet, il ne sera point besoin de procéder à d'onéreuses expropriations pour donner à Brest l'allure de grande cité à laquelle elle doit prétendre.

Grâce aux fortifications également, tout le terrain nécessaire à l'exécution d'un pareil projet sera mis à la disposition de la ville dans les conditions les plus avantageuses.

 

Afin précisément de préserver ce terrain de la hausse qui n'aurait pas manqué de se produire dans des proportions considérables du fait de la création, en ce lieu, du quartier central, et, sans nul doute, le plus agréable à la loi de déclassement, le Parlement a décidé de laisser subsister toutes les servitudes militaires.

 

En effet, seuls les terrains des fortifications proprement, dits ne sont plus grevés de la servitude non aedificandi, mais sont réservés pour être utilisés suivant le programme d'ensemble.

 

Donc, sur les terrains de première zone, impossibilité absolue de construire selon son gré.

 

Sur ceux de deuxième zone, il est indispensable de porter son attention sur les bases du projet, arrêté par la ville, avant d'entreprendre quelque édification que ce soit.

 

Notons, en outre, que seule l'enceinte de Brest a été déclassée et rayée du tableau des places de guerre par la loi du 10 janvier 1921, et que cette loi n'a porté aucune atteinte aux forts qui entourent le principal ouvrage.

 

C'est ainsi qu'il est interdit de construire, dans une zone de 250 mètres partant de la crête du chemin couvert, à l'entour du fort de Pen-ar-Créac'h au Petit-Paris, bien que les travaux d'établissement de cet ouvrage, seulement ébauchés en 1870, n'aient jamais été poursuivis ;

à l'entour du fort du Guelmeur, commencé en 1867 et jamais terminé ;

des forts Montbarrey, Keranroux, Guestel-Bras et Penfeld.

 

Comme on le voit, il importe, et c'est seulement ce que nous voulions établir aujourd'hui, de se renseigner de façon précise avant d'entreprendre une construction quelle qu'elle soit en ce début de période de complète transformation.

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