1928
On détruit les dunes
de Moguériec et Kerfissien
par Charles Léger
Source : La Dépêche de Brest 17 juin 1928
Un port menacé, des habitations en péril.
Il faut, par des mesures sévères, protéger les riverains contre leurs propres agissements.
La dune extrême de Moguériec s'avance parallèlement à la côte, protégeant en partie l'unique endroit où les mouillages des barques sont établis et, plus complètement, une cale que les usagers entretiennent ainsi qu'une anse d'hivernage.
Dans cette anse, aux bords élevés, agrémentés d'arbustes, on n'accède guère qu'aux grandes marées.
Aussi quand une barque s'est échouée là, doit-elle y demeurer de longs jours.
Des maisons la bordent, en toute sécurité pourrait-on croire si l'on ne savait qu'à quelques mètres un travail de destruction s'opère depuis des années.
La mer ici n'est pas la seule dévastatrice.
Des fermes environnantes et même d'autres communes, on vient régulièrement porter atteinte à la résistance de l'abri naturel.
Le sable de la dune protectrice a suscité des convoitises.
À pleine charretées on l'enlève pour recouvrir des chemins et des sentiers, des aires et des cours.
Pourquoi creuser en ce lieu alors que l'immense pourtour de la baie offre des ressources inépuisables ?
Par habitude, dit-on, et cependant bien des interventions se sont produites.
Ce furent d'abord les intéressés :
Pêcheurs et habitants des maisons du port.
Ils protestèrent puis voulurent s'opposer à ces enlèvements.
Peine perdue, les cultivateurs ne semblaient pas se rendre compte de la gravité des conséquences de leurs agissements.
Des discussions violentes s'élevèrent, on sema du verre cassé aux abords de la dune :
Ce fut en vain.
Le maire de Sibiril, lui-même, harangua ses administrés du haut de la pierre de l'église, à l'issue des offices, mais ne fut pas plus heureux.
La dune, largement éventrée, ne présente plus, du côté du large, qu'une mince cloison que la moindre tempête aura tôt fait d'abattre.
Déjà, il y a trois ans, lors du raz-de-marée, la mer avait franchi l'obstacle.
Aujourd'hui, la dune est arasée en son milieu jusqu'au niveau du flot.
Savoir avec quelle facilité la vague emporte le sable ainsi dénudé, c'est comprendre l'imminence du danger.
— Ne fera-t-on rien, nous disaient les pêcheurs, pour empêcher notre port de disparaître ?
Or, voici qu'au contraire, leurs voisins immédiats s'appliquent à tout faire pour hâter cotte disparition.
Que la mer pénètre un seul jour dans l'énorme excavation et c'en sera bientôt fait de la sécurité relative du port ; les barques malmenées et les maisons directement prises à rebours, inondées.
Aussi, M. Bervas, maire, nous a fait connaître sa résolution d'intervenir énergiquement.
Très prochainement il va prendre un arrêté pour interdire sévèrement l'enlèvement du sable en ce lieu.
Déjà lors du raz-de-marée, la mer emporta une voie charretière qui desservait des terrains appartenant au bureau, de bienfaisance.
Il n'est plus possible à présent d'y conduire les attelages et la commune se voit dans l'obligation d'acquérir une autre bande de terrain pour assurer un nouveau passage.
Enfin il convient de protéger, ce port où de nouveaux immeubles vont se construire et où l'on a décidé de prolonger le chemin vicinal jusqu'à la cale.
Mais il n'est malheureusement pas qu'à Moguériec que des imprudences capables de provoquer une véritable catastrophe soient à déplorer.
Dans la commune voisine, en Cléder, il en va de même.
À Kerfissien, la dune forme un impressionnant talus au sommet de la plage.
Sur une grande longueur elle protège de la mer une immense prairie en contrebas, agrémentée d'une petite rivière.
Autrefois, cette rivière, coupant la dune, livrait passage au flot par son embouchure.
Et tout l'arrière-pays, que domine le clocher de Plouescat, formait un vaste marais impraticable et insalubre.
Vers 1840, des particuliers ayant obtenu la concession du lieu, détournèrent le cours de la rivière au moyen de digues et lui ménagèrent une nouvelle issue en chicane au milieu et sous des rochers voisins.
En même temps ils fermaient l'ancienne embouchure où les sables s'accumulaient bientôt.
Le marais s'assécha rapidement et se mua en excellentes prairies en bordure desquelles s'édifièrent des fermes.
À présent, des troupeaux nombreux y paissent en toute liberté.
Ce pays, jadis malsain et désert, se développe actuellement avec rapidité.
De nombreuses maisons, des villas, s'y construisent.
Or, voici qu'ici encore on attaque la dune.
Depuis des années les enlèvements de sable se sont faits si importants qu'on aura bientôt, en livrant passage au flot, détruit l'œuvre si parfaitement réalisée.,
Des interventions, nous dit-on, se sont produites et on eut la stupéfaction de constater qu'elles avaient à s'exercer parfois contre les principaux intéressés eux-mêmes, contre certains de ceux qui ne doivent d'habiter en ces lieux qu'à l'existence des digues et de la dune I
Singulière, inconséquence !
En tout cas, il importe que, par des mesures extrêmement sévères, on mette un terme à des faits qui n'ont que trop duré.