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1928

Chez les mal lotis de Carantec,
Station touristique
par Charles Léger

 

 

Source : La Dépêche de Brest 28 juillet 1928

 

La municipalité de Carantec, annoncions-nous l’an dernier vers cette époque, a décidé de créer un service d'eau.

 

Une source excellente, débitant 300 mètres cubes par jour, a été captée à Pont-ar-Bellec, près de la route de Henvic.

L'installation d'une station de pompage et d'une conduite permet de refouler l'eau 900 mètres plus loin, à une hauteur supérieure de 33 mètres.

Puis à l'élever encore de 13 mètres dans un réservoir de 150 mètres cubes.

 

Et nous ajoutions :

« La canalisation principale de distribution, qui doit atteindre la place de l'Église, est à présent en voie d'exécution.

Les ramifications prévues ne seront pas inférieures a trois kilomètres et demi.

Elles seront établies cette année même sur 1.500 mètres, puis l'œuvre entreprise s’achèvera au fur et à mesure des disponibilités financières.

 

Ainsi la population disposera de fontaines publiques, pourra compter sur le secours d'un service d'incendie et les hôtels, qui constituent la grande ressource du lieu, se trouveront abondamment pourvus.

 

« Le classement de Carantec comme station touristique est actuellement à l’étude.

Que le décret attendu soit promulgué et la municipalité, disposant de nouveaux moyens, pourra rapidement mener à bien le programme qu'elle s'est fixé. »

 

On était alors, on le voit par cet exposé d'une situation vieille d'un an, plein d'espoir, et tandis qu'à chaque saison les touristes affluaient, toujours plus nombreux, des immeubles nouveaux s'élevaient presque chaque mois tout autour de l'agglomération.

Pourquoi n'être pas confiant, puisque quand le bâtiment va...

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La Chaise du Curé est pour Carantec ce qu'est un diamant enchâssé dans une bague.

Tous connaissent aujourd'hui les splendeurs du panorama.

Aussi ne s'étonne-t-on point de voir surgir sur ce promontoire villas et hôtels.

 

Un tonneau métallique calé sur une charrette encombre le chemin.

Placide, le conducteur nous apprend qu'il remplit l'office de porteur d'eau.

Il livre ainsi une tonne à chaque voyage ; aux hôtels particulièrement.

 

Dans un de ces hôtels, qui domine de très haut l'île Callot et la baie de Saint-Pol-de-Léon, le propriétaire manœuvre une pompe à bras.

 

— Je dois ainsi, nous dit-il, faire monter l'eau, chaque jour, du réservoir qu'emplit le porteur, au sommet de mon établissement, soit à une vingtaine de mètres

 

— Mais pourquoi n'utilisez-vous pas le réservoir municipal ?

 

— Tout simplement parce que cela ne nous est pas permis.

Nous n'avons ici aucune canalisation.

Celle de la commune s'arrête à quelque cent mètres à peine, mais nous ne pouvons en obtenir le prolongement.

 

« En fait, les villas et les hôtels du promontoire de la Chaise du Curé n'ont pour ravitaillement que l'eau du ciel.

À cet effet, nous avons tous fait construire de grandes citernes ; mais quand le beau temps persiste, comme cet été, elles sont vite asséchées.

Il est évident que pour nous, hôteliers, en dépit de leurs dimensions, elles ne peuvent suffire.

 

« Nous possédons des salles de bain, mais i nous est impossible de les mettre à la disposition de notre clientèle qui, bien entendu, est mécontente.

 

« Notre situation est intolérable et cependant nous travaillons tous au développement de Carantec. »

​

 

Un autre hôtel est situé à quelques dizaines de mètres de la Chaise du Curé, d'où l'on domine avec l'île Gallot et ses écueils, ceux de l'entrée de la rade de Morlaix, l'île Louët et son phare, le château du Taureau, l'île Noire et sa tourelle.

 

Là aussi, depuis un mois, on refuse du monde.

— Ainsi qu'aux autres contribuables on nous permettait, nous dit le propriétaire, de prendre un abonnement au service des eaux pour 365 mètres cubes par an, moyennant un paiement dei 1 fr. 75 par mètre cube.

Or, tout récemment, on portait ce prix à 3 francs, uniquement pour les habitants de notre pointe.

Nous protestâmes, car nous devons verser, d'autre part, au porteur d'eau, 10 francs par mètre cube.

En réponse, la municipalité fit fermer la bouche de la canalisation.

Il nous fallait accepter ses exigences à tout prix, car sans eau, un hôtel ne peut fonctionner.

 

« Un autre fait est de nature à surprendre plus encore.

Carantec est aujourd'hui classé comme station touristique et, depuis le 1er juin, il nous est ordonné de percevoir une taxe de séjour de 0 fr. 58 par jour et par pérsonne.

Nous l'avons perçue ;

mais, en présence des faits actuels, nous refusons de verser les fonds au contrôleur municipal et nous les porterons à Morlaix à la Caisse des dépôts et consignations, jusqu'à ce que les travaux indispensables aient été effectués. »

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Le long des routes nouvelles qui desservent les habitations et les hôtels de la Pointe, des poteaux avec isolateurs destinés à supporter une ligne électrique ont été placés.

L'électrification de ce quartier était un considérable progrès dont tous se réjouissaient.

Aussi, chacun s'était empressé de faire installer chez soi fils et lampes.

 

Les travaux avaient été menés rondement et l'électricité devait briller ici le 14 juillet.

 

Le 13, un ordre municipal vint tout arrêter.

Et depuis cette date, les habitants, déçus, en sont réduits à contempler les supports inutilisés, les branchements interrompus et à s'éclairer avec les moyens de jadis.

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Or, à Carantec l'eau ne fait nullement défaut et l'on y dispose de toute l'énergie électrique désirable. Alors, d'où viennent ces difficultés ?

 

C'est qu'il s'agit, sur cette Pointe de la Chaise du Curé, d'un lotissement, et qu'ici encore lois, décrets, règlements, circulaires permettent, du moins pour un moment, toutes les fantaisies.

 

La commune, considérant ce lotissement uniquement comme propriété privée, n'entend pas faire les frais d'établissement de canalisations d'eau potable ou électrique.

En vain ceux des administrés intéressés soutiendront qu'ils supportent comme leurs concitoyens les dépenses générales de tous les services municipaux et, en particulier, de celui des eaux comme celui de l'électrification, la municipalité ne veut rien entendre.

 

Des lois régissent les formes d'un lotissement depuis quelques années ;

il en est plusieurs qui, dit-on, se complètent ; les lotisseurs sont soumis à des obligations, mais prennent soin d'établir un cahier des charges ;

la commune, à son tour, prend des délibérations ;

enfin, l'acquéreur qui, en tout autre lieu, eût pu se voir traiter à égalité avec ses concitoyens, se voit bientôt le prisonnier de tant de textes qu'il ne sait plus guère à quel saint se vouer.

 

En l'occurrence, il s'agit de la partie de Carantec qui a fait le renom de cette station touristique, ainsi que sa richesse.

En présence des résultats obtenus et en prévision de la réalisation, d'espoirs qu'on ne peut discuter, se peut-il que l’on boycotte ainsi l'avenir du pays ?

 

La question doit être résolue au plus tôt.

S'il n'est pas de moyen d'entente entre les parties, il importe que les autorités compétentes interviennent avec vigueur.

Les nombreuses plaintes qui leur ont été adressées les y engagent de façon pressante,

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