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1934

Les beautés
des réformes judiciaires récentes

par Charles Léger

 

 

Source : La Dépêche de Brest 14 juin 1934

 

Indépendamment des- prisons établies pour peines, dit l'article 603 du code d'instruction criminelle,

« il y aura près de chaque tribunal ou section de tribunal, au moins une maison d'arrêt pour y retenir les prévenus... »

 

Et, en effet, il en existait une dans chaque chef-lieu d'arrondissement du Finistère, puisqu'en l'occurrence nous n'entendons pas dépasser le cadre de ce département.

 

Ces maisons d'arrêt sont propriétés départementales.

Or, trois d'entre elles ont été supprimées :

celle de Quimperlé vers 1927, celle de Châteaulin en juillet 1933, celle de Morlaix dans le présent mois.

 

— Pourquoi désormais conserver ces immeubles, demandait M. le préfet au cours de la dernière session du conseil général, puisqu'ils n'ont plus aucune utilité pour le département et peuvent devenir prochainement les sources de dépenses inutiles ?

 

Et l'assemblée décidait de donner délégation à la commission départementale pour procéder à la vente par adjudication.

 

Évidemment, pourrait-on penser, ces suppressions de prisons sont un signe des temps et témoignent de l'amélioration morale du genre humain.

Hélas ! cela n'apparaît pas plus à la lecture des journaux qu'à la consultation des rôles des divers parquets.

 

Ces suppressions, affirme-t-on, ont été commandées par un souci d'économie.

Il fallait restreindre les dépenses de l'État.

Et on a jugé bon de faire porter la restriction sur le budget de la Justice qui est précisément le plus réduit d'entre tous.

Mais encore de quelle façon !

 

Cela commençait en 1926 par les premiers décrets-lois qui ordonnaient la suppression des tribunaux de Morlaix, Châteaulin et Quimperlé.

Le premier de ces arrondissements était rattaché à Brest et les deux autres à Quimper.

Évidemment les maisons d'arrêt de ces trois villes disparaissaient par voie de conséquence.

 

Cette mesure lésait les intérêts qui dépendent des tribunaux.

De plus, les témoins des affaires instruites ou jugées par les deux seuls centres du département se plaignaient amèrement de la longueur des parcours qui leur étaient imposés et du temps ainsi perdu.

 

Cependant, nombreux étaient les partisans des grands tribunaux, où se pouvait mieux répartir l'activité des juges et des parquets et où pouvaient se mieux faire sentir les effets de l'émulation.

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Nous avions, à cette époque, eu la curiosité de visiter le palais de justice de Morlaix, bel édifice situé en bordure de l'allée ombragée du Poan-Ben.

Après le départ des magistrats, des camions étaient venus pour emporter vers Brest les liasses innombrables des archives.

Dans le monument désert, le pas retentissait sur les dalles des couloirs, comme sur les dalles de granit, du grand escalier conduisant à la salle des audiences.

 

Qu'allait-on faire de cet édifice ?

Y transférer les services de la poste et du télégraphe que ne pouvait plus contenir le trop vieil immeuble où ils s'entassaient, ou encore les services de l'administration municipale !

La question était posée et soumise à l'examen des autorités compétentes.

 

Quant à la prison de Créach-Joly, vide également de tout occupant, des Morlaisiens, victimes de la crise du logement qui sévissait alors dans toute sa rigueur, en réclamaient la location comme maison d'habitation.

Flanqué de deux tours, l'antique édifice n'était certes pas d'aspect réjouissant, mais après tout les murs y étaient solides et parfaitement entretenus.

Dans la cour des femmes, un lavoir, où se déversent les eaux d'une belle fontaine creusée en plein roc, était, certes, un appréciable avantage.

 

Par un simple hasard, aidé il est vrai par les ordinaires lenteurs administratives, aucune décision ne fut prise quant à l'utilisation des deux bâtiments.

Et c'était bien ainsi car, précisément en 1930, on rétablissait les tribunaux de Morlaix et de Châteaulin, tandis qu'à Quimperlé on ne nommait qu’un président et un juge.

Ici, chaque fois que le tribunal tenait audience, il fallait faire appel au concours d’un juge et d’un substitut de Quimper.

 

Bien entendu, il fallut recommencer Ie transfert des archives dans ces tribunaux rétablis.

 

Après une pareille expérience, probablement onéreuse, on eut pu croire qu'on n'était pas à la veille de la renouveler.

 

Pourtant, en avril dernier, un nouveau décret-loi venait encore tout bouleverser.

 

À Quimperlé on ne laisse plus qu'un juge résident.

Par suite, chaque audience entraîne la venue de Quimper de deux juges et d'un substitut.

 

Afin de compléter cette valse des magistrats — soit dit sans irrévérence, — on change les classes des tribunaux.

C'est ainsi que Châteaulin, rétabli de 2e classe en 1930, est rétrogradé à la 3e ;

Morlaix est redevenu de 2e classe.

Quimper, qui était de 2e classe passe à la 1ère car Quimperlé lui est rattaché.

Quant à Brest qui, depuis, longtemps, était de première et qui doit régler deux fois plus d'affaires que le précédent tribunal, il est réduit à la 2e classe.

 

De ce fait les magistrats dont le classement hiérarchique doit correspondre à celui du tribunal, sont, pour la plupart, contraints d'envisager leur déplacement.

 

Enfin, comme nous l'avons dit, plus de prison à Quimperlé, Châteaulin ni Morlaix.

Les prévenus doivent être conduits à la prison de Quimper ou à celle de Brest.

 

Qu'une affaire d'importance comme celle qu'on connut à Morlaix il n'y a pas si longtemps et qui exigea des mois et des mois d'instruction se représente, et il faudra chaque jour faire voyager le prévenu avec deux gendarmes entre la maison d'arrêt du Bouguen et le palais de justice du Poan-Ben.

 

En matière de flagrant délit, quand un inculpé fait l'objet d'un mandat de dépôt du procureur, mainlevée ne peut être donnée que par le tribunal devant lequel l'intéressé doit être immédiatement conduit.

Qu'il ait, par exemple, été arrêté à Morlaix un samedi, on le transférera à la maison d'arrêt de Brest.

Le lendemain, pas d'audience.

Et un nouveau transfert de l'inculpé, toujours flanqué de deux gendarmes, ne pourra s'opérer au plus tôt que le surlendemain.

Mais à ce moment la détention n'est-elle pas devenue arbitraire ?

 

Évidemment tous ces voyages de magistrats, de gendarmes et de prévenus sont de nature à redonner un peu plus d'activité à nos chemins de fer, mais peut-on vraiment considérer cela comme une économie !

Et ne doit-on pas persister à penser qu'il y avait mieux à faire que ce chambardement ?

 

Vraisemblablement si, car déjà on annonce pour la fin de l'année l'étude d'une nouvelle réforme judiciaire.

Pourvu surtout qu'elle soit cette fois sérieusement étudiée !

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