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1934

Gens de maison, il y a 120 ans

par Stéphane Strowski

 

Stéphane Strowski,

né le 11 novembre 1870 à Mont-de-Marsan,

décédé le 11 juin 1954 à Plouescat,

 

Source : La Dépêche de Brest 12 juin 1934

 

Aux qualités qu'il fallait avoir pour être un bon domestique, dans les premières années du XIXe siècle, s'en adjoignait une essentielle : Se contenter de gages modiques.

 

Je trouve la nature et le montant de ces gages dans un vieux cahier de comptes, tenu par une propriétaire de la campagne, riche bourgeoise qui avait quitté Paris, puis Bordeaux, pour s'installer dans une petite commune rurale de l'Ouest.

Elle avait intitulé modestement son cahier, « Cahier pour les gages des domestiques à datter du 1er may 1809 ».

Elle faisait d'ailleurs resservir pour cet usage un ancien livre de blanchissage, commencé le 1er vendémiaire, an XIII, et demeuré inachevé.

 

Elle avait un nombreux personnel, car elle tenait à la division et à la spécialisation du travail parmi les gens de sa maison, et elle voulait être entièrement et minutieusement servie.

Il lui fallait une cuisinière, une femme de chambre, une gouvernante, une servante :

Voilà pour le personnel féminin ;

pour le personnel masculin :

Un valet de chambre qui servait sans doute aussi de cocher, un intendant qualifié d'homme d'affaires, un garçon, aux attributions assez vagues, un pasteur et un gardeur de vaches, sans parler du renfort que l'on prendra plus tard.

Notez que cette vieille dame n'a d'autre famille qu'un fils qui vit avec elle et qui n'est pas marié.

En somme, c'est la maison et le domaine que cette armée de domestiques sert ; plutôt que les patrons.

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L'entrée de chaque serviteur est inscrite au cahier, avec les conditions qu'il accepte ;

le tout est signé de la maîtresse de maison, une veuve Papin.

C'est par la cuisinière que s'ouvre le défilé :

« Aujourd'huy 9 juin 1809, est entrée chez moi en service, en qualité de cuisinière, Mlle Jeannette.

Et s'est engagée à me servir à raison de 90 livres par an et deux chemises ; ce que je lui ai promis, avec récompense des cadeaux, si j'étais contente de son service.

— Veuve Papin. »

 

Les 90 livres promises représentent environ 1.000 à 1.200 francs de notre monnaie actuelle.

Dans une grande ville, c'est à peine un trimestre de gages pour une bonne femme de chambre d'aujourd'hui.

Il y a eu du progrès dans l'intervalle.

 

Mlle Jeannette n'a présidé que sept mois aux destinées du laboratoire culinaire de Mme Papin.

Mlle Rose, qui lui succède, a des exigences un peu plus grandes :

100 livres pour commencer ; deux ans après, 120 livres.

La gouvernante, femme d'âge et d'autorité, doit se contenter d'un salaire de 90 livres.

Les simples servantes, filles pour gros ouvrages, n'obtiennent que 60 livres ;

on y ajoute, il y est vrai, les deux chemises annuelles, une paire de souliers et un jupon — le port du pantalon leur est interdit : ça ferait trop demoiselle — il est stipulé en outre qu'elles ne toucheront pas d'étrennes ;

ces effets d'habillement en tiennent lieu.

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La femme de chambre est d'un degré au-dessus des autres domestiques ;

c'est qu'elle approche de plus près la personne de sa maîtresse.

Mlle Marianne touche d'emblée 120 livres, en entrant dans la maison.

Celle qui lui succédera, Mlle Joséphine, ne recevra que 100 francs ;

mais elle se trouve dans une situation particulière.

Mme Papin lui a consenti une avance sur gages de plus d'un an, pour payer une dette antérieure.

Seulement, elle a exigé un nantissement :

Elle s'est fait remettre en garantie six couverts d'argent, six cuillers à café, une cuiller à ragoût pour la sûreté de sa créance.

On prend ses précautions, n'est-ce pas ?

 

Les hommes ne sont guère mieux traités que les femmes.

Le valet de chambre qui cumule ces fonctions avec celles de valet de labour et de cocher, est engagé à 120 francs, puis rétrogradé à 90, car il n'en fait pas pour plus cher.

Le pasteur est payé 50 écus ;

c’est une somme, et lui, c'est un personnage.

Par contre, le vacher est réglé en nature.

On l'habille :

Deux chemises, une veste de droguet, un pantalon d'étoffe ou de laine, un autre en toile d'étoupe, deux tabliers et des sabots, plus 12 francs, si l'on est bien content de lui.

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Enfin, au-dessus de l'escouade masculine, il y a l'intendant ;

le cahier ne dit rien sur ses attributions, mais il est qualifié monsieur et il est le seul dont on mentionne le nom de famille.

M. Grandeur, titulaire du poste, touche 400 livres.

Mais après Grandeur, c'est la décadence :

M. Auguste n'a plus droit qu'à 240 francs et à son seul prénom.

 

L'état récapitulatif de tous ces gages est assez coquet ;

il faudrait pouvoir y joindre le montant des sabots, chemises, souliers, etc., y ajouter le coût approximatif de la nourriture pour les huit à dix personnes formant la domesticité permanente.

Tout modique que soit le montant de ces gages et peu dispendieux le régime alimentaire des gens de la campagne, à cette époque, le total ne laisserait pas d'être impressionnant.

C'est un gros train de maison que menait, dans son village, cette vieille bourgeoise désabusée des villes.

Sa présence, sa vie large, son nombreux personnel domestique y prenaient une réelle importance économique et lui assignaient une manière de fonction sociale.

 

Stéphane STROWSKI.

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