top of page


1937

Landévennec,
la commune la plus isolée
du département
par Charles Léger

 

 

Source : La Dépêche de Brest 16 octobre 1937

 

Comme une frileuse blottie au creux d'un grand lit dont elle accapare la couverture, la petite ville surgie au fond de notre rade s'est recouverte du manteau des grands arbres pendu aux sommets voisins.

 

Abritée des vents froids, hors d'atteinte des vents violents, sa flore s'est merveilleusement développée.

Arbres et arbustes des régions méridionales croissent là en pleine terre avec une extraordinaire vigueur.

Jusque sur la grève les vergers s'avancent, offrant la chair savoureuse de leurs fruits innombrables et divers.

 

Pareille situation à l'extrémité d'une pointe s'avançant aux embouchures de l'Aulne et de la rivière du Faou, au milieu d'un panorama des plus grandioses, n'avait pas manqué d'attirer l'attention dès les premiers âges.

Les ruines de la célèbre abbaye, fondée  par Saint-Guénolé, vers l’an 400 en témoignent encore.

Cet établissement, l'un des plus antiques de toute la province, nous eût encore présenté de superbes édifices s'il n'avait malheureusement été détruit pendant la Terreur.

 

Les matériaux eux-mêmes n'échappèrent pas aux destructeurs, qui transportèrent à Brest partie de ceux qui provenaient de l'église et de la maison abbatiale.

C'est ainsi qu'on découvrit en 1860, dans une maison du quartier Fautras, où elle était placée au seuil, une pierre de taille gravée en intaille reproduisant l'image d'un abbé vêtu d'une chape à l'antique, tenant une crosse.

Cette pierre est aujourd'hui déposée près de la porte d'entrée de la bibliothèque municipale.

 

Une très riche collection de manuscrits, soigneusement conservée dans l'abbaye, fut également détruite et employée, dit-on, à la confection de cartouches.

 

La petite ville, qui semble emprunter l'étymologie de son nom à la perfection de sa situation climatérique, Landévennec étant issu de « land-teven », lieu exposé au soleil, d'après le dictionnaire de dom Lepelletier, religieux de l'abbaye, est donc d'une antiquité incontestable.

Pourquoi n'a-t-elle pas pris plus d'extension ?

 

Parce que sa situation géographique ne le permettait pas.

 

En effet, Landévennec est complètement isolée de toutes les voies de communication ayant quelque importance.

 

Au nord : la rade ;

à l'est : le fond d'une large baie que prolonge la rivière du Faou ;

au sud : le vaste et profond fossé constitué par l'estuaire de l'Aulne ;

à l'ouest : le bras de terre qui la rattache à la partie la plus déserte de la presqu'île de Crozon.

 

Et dans ce magnifique isolement que seuls quelques touristes peuvent apprécier, ni le commerce, ni l'industrie n'ont pu trouver les éléments indispensables à leur développement.

 

Ainsi, tandis que partout alentour de nouvelles villes se créaient en des sites bien moins pittoresques, sous des climats bien moins cléments, que partout elles s'agrandissaient, bénéficiaient de routes plus larges, de voies ferrées, de lignes maritimes, Landévennec semblait plus seule, plus à l'écart de ce mouvement dont l'intensité s'accroît sans cesse.

 

À l'abri de cette fièvre qui anime inlassablement l'existence des citadins, les habitants de cette heureuse contrée pourraient jouir avec plénitude des douceurs que leur prodigue la nature, n'était la nécessité d'entretenir des relations avec les pays voisins.

Et c'est alors que leur apparaissent les grands désavantages de l'isolement.

 

Il y a environ 50 ans, quand, avec le vapeur Marianne, on créa le service Brest-Châteaulin, une escale était prévue à Landévennec.

On vit sur cette même ligne le Saint-Michel, le Rapide, le Hoche et l'on connut avant-guerre jusqu'à trois départs par semaine à Landévennec.

Mais le fret n'était pas très abondant et le nombre des voyageurs souvent par trop restreint.

On tenta cependant de créer un service Brest-Landévennec-Le Faou, mais ce fut sans succès.

Enfin, l'exploitation de la ligne de Châteaulin fut elle-même abandonnée.

 

Cette fois deux seuls moyens s'offraient aux habitants pour venir à Brest :

Rejoindre Le Fret à pied, soit 24 kilomètres pour prendre le vapeur, ou traverser la rivière en canot pour parcourir 10 ou 15 kilomètres afin d'atteindre la gare de Daoulas ou celle de Quimerch.

 

L'organisation des transports automobiles améliora quelque peu cette situation.

On peut à présent utiliser le car Brest-la Pointe du Raz, qui s'arrête au Poteau Vert, à 7 kilomètres de Landévennec, où ceux qui correspondent aux escales des vapeurs brestois, le vendredi soir à Lanvéoc, le lundi et le samedi soir au Fret.

Ce sont là cependant de bien pauvres moyens.

 

Comment concilier les intérêts des compagnies de navigation et ceux des habitants de Landévennec ?

Le trafic, en effet, ne paraît pouvoir être intensifié qu'en été.

 

À ce moment, le transport des nombreux touristes, qu'attirent les beautés de la région, permet d'envisager le rétablissement d'une ligne maritime.

Car on se presse alors sur la cale d'embarquement, cette cale dont l'insuffisance est maintes fois apparue.

 

Édifiée sur la grève de Port-Maria, elle constitue l'unique ouvrage du port de Landévennec.

Lorsqu'on construisit la première partie en 1868, elle ne dépassait guère 43 mètres.

Dix ans plus tard on dut la prolonger de 42 mètres.

Mais elle est située en travers de la vasière et n'a pas assez d'élévation pour permettre l'accostage d'un vapeur.

D'autre part, du côté ouest, elle s'encombre d'entassements de galets venus du sillon des Anglais.

 

Faut-il dire que maintes demandes d'amélioration ont été présentées par la municipalité ?

En mai 1914, le Conseil général adoptait le vœu suivant, présenté par M. A. Louppe :

 

« Le Conseil général, considérant qu'il est de toute urgence et de toute nécessité d'améliorer la cale de Landévennec, et cela dans l'intérêt général et dans l'intérêt des services que la marine a à assurer à Landévennec, émet le vœu que l'administration des ponts et chaussées procède le plus tôt possible à l'exécution des travaux indispensables pour assurer le service maritime au port de Landévennec. »

 

Le 1er août 1920, renouvelant un vœu déjà exprimé, le conseil municipal demandait le prolongement et l'exhaussement de la cale.

Un avant-projet fixait la dépense à 66.000 francs, comportant une subvention de 49.500 francs.

Il s'agissait de prolonger la cale de 50 mètres et de la rehausser de deux mètres environ.

 

La quote-part de la commune parut trop lourde et le conseil municipal déclara ne pouvoir supporter pareille dépense.

 

Le temps a passé ; la situation est demeurée la même.

Au cours des excursions organisées par les vapeurs brestois on éprouve toujours les mêmes difficultés d'accostage.

Et l'on se voit dans l'obligation de débarquer les passagers sur la vase.

Il est évident qu'en de pareilles conditions les voyages se font de plus en plus rares.

 

On a bien songé à établir une cale nouvelle à Penforn, vers la pointe de l'estuaire de l'Aulne, où la profondeur répond aux besoins des accostages, mais il faudrait pour l'utiliser construire une route à travers la propriété où se trouvent encloses les ruines de l'abbaye.

La municipalité, elle, semble vouloir reprendre le premier projet.

C'est ainsi qu'au cours de sa dernière session elle prenait la délibération suivante :

 

« Le maire expose au conseil la question de prolongement et l'exhaussement de la cale de Port-Maria.

 

« Cette cale est, en effet, trop basse et ne s'avance pas assez loin vers le chenal, si bien qu'aux plus petites marées les plus petites embarcations ne peuvent accoster et on ne peut y débarquer.

Les vapeurs brestois qui font des services de promenades étant dans l'obligation de profiter du flux et du reflux arrivent ici à demi-marée et ne peuvent même en ce moment accoster la cale pour débarquer les voyageurs.

 

« Il faudrait donc pour cela que la cale fût allongée et rehaussée.

 

« Le conseil, considérant l'utilité de ces travaux, vote en principe 5.000 fr., regrettant que le budget de la commune ne lui permette pas d'être aussi large qu'il le faudrait et sollicite du département et de l'État une subvention aussi large que possible, ces travaux devant entrainer une forte dépense. »

 

Il nous revient d'autre part que la Société des vapeurs brestois serait disposée à accorder pour ces travaux une subvention de 5.000 francs.

 

Souhaitons que les participations nécessaires soient consenties pour qu'enfin la commune la plus isolée du département puisse entrer en relations quotidiennes et suivies avec ses voisines.

bottom of page