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1921

Les régates Brestoises en 1847
par
Ollivier Lodel

 

 

La Dépêche de Brest 9 juillet 1921

 

Les régates de Brest sont annoncées.

Sait-on qu'elles revêtaient, autrefois, une grande solennité, et furent pendant bien des années, la plus importante des fêtes de notre ville ?

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Les premières régates eurent lieu le 30 juillet 1847, dès la constitution de la société, que présidait le capitaine de vaisseau Le Grandais, et coïncidèrent avec les fêtes nationales de juillet — célébrées à l'occasion de l'anniversaire des journées des 27, 28 et 29 juillet 1830.

 

En ce temps-là, le 27 juillet était un jour de deuil.

 

Le bâtiment commandant la rade tirait un coup de canon toutes les cinq minutes, de huit, heures à midi.

 

Les édifices publics et les maisons particulières étaient décorés du pavillon national voilé d'un crêpe.

 

De dix heures à midi, les glas sonnaient, aux églises Saint-Louis et Saint-Sauveur pendant le service funèbre, célébré à la mémoire des citoyens qui succombèrent dans les grandes Journées de Juillet.

 

D'abondantes aumônes étaient faites aux indigents.

 

Et le 29 était un jour de réjouissances publiques.

 

À huit heures du matin, à midi et au coucher du soleil, les batteries de terre et de mer et les bâtiments sur rade lançaient leurs salves de vingt et un coups de canon.

Les cloches des églises sonnaient à toutes volées.

 

Un pont de bateau était établi du quai Tourville au quai Jean Bart, ce qui permettait aux « Yannicks » de venir en foule à la revue des troupes passée à midi, sur le cours Dajot par le préfet maritime.

 

De deux heures à quatre heures, il y avait des divertissements sur la place du Château.

 

De quatre à huit heures, les musiques et fanfares du 23e de ligne et de la marine exécutaient des symphonies sur le Champ-de-Bataille, taudis que la foule assistait à des pantomimes et aux exercices des acrobates.

 

On dansait à Recouvrance, au bas de la rue Neuve, de cinq heures à onze heures.

 

Les édifices étaient illuminés et des « pots à feu » étaient placés dans les allées du Champ-de-Bataille et sur le terrain des jardins de la Préfecture maritime.

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Un feu d'artifice, place de la Liberté, tiré par les soins de la direction d'artillerie de marine, terminait la journée, et les chroniqueurs nous rapportent qu'en cette année 1847, les pièces d'artifice furent particulièrement réussies,

« notamment une chasse de serpent qui a produit, sur l'immense, quantité de spectateurs, une vive impression, et le bouquet représentant la façade d'un temple portant au fronton ces mots :

« Vive Louis-Philippe ! », surmontés d'une pensée dont les couleurs étaient réussies avec une vérité frappante. »

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Le lendemain 30 juillet, eurent lieu les régates, impatiemment attendues par les populations de Brest et des environs, curieuses d'assister au spectacle nouveau qu'allait offrir notre belle rade.

 

Toutes les voitures des villes voisines avaient été retenues depuis longtemps.

Toutes les couturières et modistes avaient travaillé, jour et nuit, à la confection des toilettes resplendissantes de nos Brestoises.

Ouvriers de l'arsenal et pêcheurs avaient calfaté et repeint les nombreuses embarcations qui devaient prendre part aux joutes.

 

Jamais fête n'avait suscité à Brest autant d'enthousiasme, et elle eut un tel succès que tous les journaux de l'époque affirmèrent que cette journée du 30 juillet 1847 « occupera une place remarquable dans les annales brestoises ».

 

À dix heures, l'évêque de Quimper entouré du clergé de Brest et de Recouvrance, vient bénir, des hauteurs du cours Dajot, les bateaux et la mer, et les régates se déroulèrent de onze heures à quatre heures de l'après-midi, à quelques mètres des remparts qui étaient alors baignés par les flots.

 

Une foule énorme garnissait tous les points de la côte d'où l'on pouvait apercevoir la rade.

Les murs du Château, le cours Dajot, le chemin, les jardins et les chantiers de Porstrein formaient un admirable et pittoresque amphithéâtre.

 

Plus de deux mille personnes avaient pris place sur les gradins élevés au bas du cours, sur le terre-plein, dont l'accès coûtait deux francs.

 

En haut, sur le rempart, des tribunes étaient réservées aux autorités, parmi lesquelles on remarquait le préfet du Finistère.

Les dames, en très grand nombre, avalent fait assaut d'élégance et de beauté.

 

Derrière le ponton du jury, mouillé à cent mètres de la digue de Porstrein, c'était toute une forêt de mâts :

l'alignement sur neuf rangées parallèles, de près de 300 mètres, des bateaux concurrents. .

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Et après les joutes, s'organisa un long cortège des vainqueurs, des membres du comité et des sociétaires qui, musique et bannières en tête, portant les noms de nos marins illustres, gravirent le chemin de Porstrein pour arriver au cours Dajot.

Ils escortaient un joli petit bateau enrubanné et doré, dans lequel deux mousses avaient pris place et que portaient seize apprentis-marins.

 

Le cortège remonta le cours au milieu d'une haie de soldats et des acclamations de la foule et s'arrêta devant, la statue de Neptune.

Là, le président Le Grandais distribua les récompenses et, dans une chaleureuse allocution, il glorifia l'esprit maritime, les ressources qu'il offre à la France, puis il termina son discours au cri de :

« Vive le prince de Joinville, patron des régates de Brest ! »

 

Le lendemain, il y avait grand bal de bienfaisance au théâtre.

Toute l'élite de la société brestoise s'y trouvait réunie, et le trésorier du comité, M. Pitty, encaissait la forte somme pour les pauvres de la ville.

 

Pendant plusieurs jours, les journaux brestois ne tarirent pas d'éloges à l'égard des fondateurs de la Société des régates de Brest et de leur première fête nautique.

 

« Nos régates, disaient-ils, de l'aveu des personnes qui ont vu celles des autres ports, ont pris un rang déjà fort élevé.

Nous avons deux fois plus de bateaux que n'en eut jamais Le Havre.

 

« La plage plate du Havre ne saurait, d'ailleurs, se comparer, pour l'effet pittoresque, à notre cours Dajot couvert de gradins, aux divers étages de chemins, de jardins, de rochers, de la grève elle-même, le tout resplendissant d'une multitude enthousiasmée devant un tel spectacle de la rade. »

 

« Les régates de Brest comptent parmi les plus belles de l'Europe », affirmera un chroniqueur deux ans plus tard, en 1849.

Les temps ont changé.

Les joutes nautiques n'intéressent plus guère que les initiés depuis l'avènement de la bicyclette, de l'automobile et de la boxe.

 

Le vieux Porstrein, depuis la création du port de commerce, ne connaît plus son petit chemin qui dominait la rade.

La mer ne vient plus déferler sur les remparts du cours Dajot.

Il n'y a plus de gradins et de tribunes sur les terre-pleins du cours et les régates se déroulent maintenant au large.

Mais les « yachtmen » brestois de 1847 ont formé souche et, depuis soixante-quatorze ans, la Société des régates de Brest tient toujours haut et ferme son guidon blanc croisé de bleu, tacheté des hermines de Bretagne.

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