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1923

Les portes de Brest
par Charles Léger

 

 

La Dépêche de Brest 24 avril 1923

 

On prépare la démolition de la porte du Moulin à Poudre

 

La porte du Moulin-à-Poudre ne sera bientôt plus.

Déjà elle s'est dégarnie de tous les fils et câbles électriques qu'elle supportait.

De nouveaux supports ont, été scellés au-delà des limites de la nouvelle ouverture, pour recevoir les fils télégraphiques, téléphoniques, les câbles de la compagnie d'électricité et des constructions navales.

 

En ce qui concerne les tramways, rien de semblable ne peut être fait quant à présent et des mesures spéciales devront être prises durant le mois que doit durer l’interruption de la circulation à cet endroit.

À cet effet, M. le préfet du Finistère prendra incessamment un arrêté.

 

Les relations avec Kérinou s'effectueront dès lors par cette route qui longe le fort des Fédérés et dont le lamentable état provoque de si nombreuses et de si justes plaintes.

 

Mais pour démolir une porte de cette solidité, il sera indispensable de faire parler la poudre.

Le pic, en effet ne pourrait vaincre la résistance du mortier qu'on employa lors de l'édification et plusieurs charges explosant sous la voûte pourront seules déterminer l'ébranlement nécessaire.

 

Puisqu'à son tour cette porte avec son pont-levis va tomber, il nous paraît intéressant de rappeler succinctement l’histoire des portes de notre ville.

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Les deux premières portes

 

Enfermées dans les hautes murailles des fortifications que Vauban avait fait élever en 1683, Brest et Recouvrance ne disposèrent pendant plus d'un siècle que de deux portes :

celle de Landerneau et, celle- du Conquet.

 

« La circulation, expose notre excellent confrère Ollivier Lodel dans son étude si documentée sur notre ville, était difficile, souvent, dangereuse pour les piétons, sous la porte de Landerneau, seule communication avec la grande route et les campagnes environnantes.

 

« À la crête de l'avancée, les voitures s'arrêtaient en longues files, pour la visite des marchandises par les commis des douanes et de l'octroi et pour le paiement du « droit de passe aux chevaux et voitures ».

 

« Toute entrée était interdite aux voitures et l'approvisionnement, devait être fait par mer quand les ponts-levis ou les pavés étaient en réparations. »

 

On comprend qu'en pareilles conditions la municipalité, se soit maintes fois fait l'écho des protestations de ses administrés, dont le nombre augmentait sans cesse, et ait réclamé des améliorations au point de vue des communications avec l'extérieur.

 

C'est, ainsi qu'en 1807, elle écrivait au général d'Aboville, gouverneur des ville et château de Brest :

 

« Général sénateur,

 

« Lorsque le célèbre, Vauban traça d'une main si habile les fortifications de Brest, il eût également conçu l'établissement des deux portes, l'une d'entrée, et l'autre de sortie, s'il avait pu prévoir l'agrandissement inouï et rapide de cette ville, de son port et de sa population. .

 

« Mais Brest n'offrait alors qu'une petite enceinte dénuée d'édifices et comptant, à peine deux à trois mille âmes, tandis qu'il y existe maintenant plus de 15.000 habitants, sans comprendre le grand nombre de corps en garnison, de troupes passagères, de marins et ouvriers du port.

 

« Aujourd'hui, les arrivages ont reçu un tel accroissement que la porte actuelle est à chaque instant obstruée et expose tout le monde à des dangers et accidents continuels.

Ils se, multiplient au point que, malgré les plus grandes précautions, on y voit journellement plusieurs victimes :

là, ce sont des femmes enceintes, des enfants blessés ; là, ce sont des voituriers mutilés et des chariots brisés.

 

« Quel spectacle déchirant et plus digne de considération ! »

 

Et la municipalité demandait l'ouverture d'une seconde porte contiguë à celle de Landerneau.

Elle n'obtint, satisfaction que treize ans plus tard.

Enfin, le 25 août 1821, on inaugurait la porte Saint-Louis.

 

Mais encore se servait-on chaque soir des ponts-levis, supprimant totalement la circulation toute la nuit durant.

Ce n'est qu'en 1833 qu'on ouvrit un guichet, aux deux portes du Conquet et de Landerneau pour permettre le passage, des piétons ayant, subi l'examen des gardes et des sentinelles.

 

Porte du Conquet, on pratiquait un deuxième passage couvert en 1867, après s'être longtemps heurté à une opposition obstinée des administrations militaires.

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La porte Foy

 

Mais la ceinture de murailles qui étreignait toute la ville ne s'était encore ébréchée qu'aux mêmes lieux, sauf cependant, en ce qui concerne les escaliers du cours Dajot également, commencés en 1867, et l'on ne pouvait gagner l'extérieur que par les mêmes points.

Enfin, dans les derniers mois de 1871, le pic libérateur permettait d'accéder directement à la gare par la porte Foy.

Combien d'obstacles avait-il fallu renverser pour obtenir ce résultat !

 

C'est ainsi qu'au cours de la séance du conseil municipal du 1er septembre 1871, M, Penquer, maire, émettait les protestations suivantes :

 

« La fermeture de la nouvelle porte, construite pour conduire à la gare, se prolonge d'une façon tout à fait anormale.

Voilà puis de deux ans que le conseil municipal a voté les 120.000 francs demandés pour cet objet ;

voilà plus d'un an que la ville a achevé son versement.

À partir de ce moment, elle était en droit de croire que la porte allait être livrée.

On a peine à comprendre d'ailleurs qu'il faille dix-huit mois et plus pour faire un travail de si peu d'importance.

Pendant, plusieurs mois, on a laissé passer les piétons, alors qu'il n'y avait même que des ponts provisoires.

Aujourd'hui, que les ponts définitifs sont en place, qu’il ne reste pour ainsi dire, rien à faire, puisqu'il n’y a là que deux ou trois ouvriers, aujourd'hui que les voitures pourraient y passer, on interdit même le passage aux piétons. »

 

Des protestations de ce genre, on en trouve, tout au long de l'histoire brestoise lorsqu'il s'agit du développement de la Cité.

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La démolition des portes de Landerneau et Saint-Louis

 

Enfin, fait particulièrement important, au cours de la séance extraordinaire du conseil municipal du 2 mai 1888, M. Omnès, au nom de la commission des travaux, pouvait, dire :

 

« Nous avons enfin obtenu une amélioration à l'entrée et à la sortie de notre ville ; nous n'aurons plus à passer dans ce long boyau étroit réservé qui offre tant de dangers à la circulation, le passage entre la porte de Landerneau et la place de la Liberté !

 

« Amélioration, ai-je dit car ce n’est pas entièrement ce que nous désirons, ce que tout Brest réclame, que nous avons obtenu.

Ce n'est pas encore le renversement immédiat de cet affreux mur que l'on appelle rempart, qui s'étend sur la place des Portes, entre la porte de Landerneau et la porte Saint-Louis, et qui resserre la ville comme dans un étau. »

 

« Ce n’était pas, ajoutait plus loin le rapporteur, une petite affaire que d'obtenir du ministre de la Guerre la modification réclamée par la ville, car nous demandions, comme vous le savez, la démolition franche et nette de la partie de rempart comprise entre la porte Saint-Louis et la porte de Landerneau, sur la place des Portes. »

 

Le 21 juin 1888, on commençait à abattre les arbres entourant l'avancée de la porte de Landerneau.

 

Un plus tard, à la suite d'une conférence mixte, le ministre de l'a Guerre autorisait la démolition des portes Saint-Louis et de Landerneau, ainsi que la partie de rempart, comprise entre ces deux portes, moyennant, leur remplacement par une grille barrant la voie et recouverte sur une hauteur de deux mètres d'une tôle d'acier capable de résister aux balles.

 

Cette exigence de l'administration militaire se retrouva, le 24 mars 1909, lorsqu'on entama les voûtes des portes du Conquet, et le 6 juin 1911, lorsqu'après avoir longuement bataillé, on fit de même pour la porte Foy.

Il fallut donc obstruer en partie ces nouveaux passages par des grilles sans aucune utilité.

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Les squelettes historiques

 

Lors de la démolition de la porte Foy, alors qu'on procédait en même temps à l'élargissement de l'avenue Amiral Réveillère, les terrassiers qui ouvraient le glacis situé face à la ligne des chemins de fer départementaux eurent, la surprise de découvrir une quantité considérable d'ossements humains.

 

Ce fut d'ailleurs un étonnement général et pour expliquer le fait on émit les hypothèses les plus diverses.

 

Les squelettes étaient si nombreux qu'ils formaient une véritable couche.

Pendant plusieurs jours durant, on en enleva.

D'où provenaient-ils ?

 

Pour les uns, du cimetière qui entourait la Chapelle Saint-Sébastien, située, au XVIIe siècle, près de la guérite du gardien de square, au haut du glacis.

Les travaux en cours avaient d'ailleurs découvert, le macadam du vieux chemin de Saint-Sébastien, disparu avec le cimetière et la chapelle, en 1681, lors de la construction des fortifications.

 

Cependant, le grand nombre de crânes et de tibias que la pioche mettait à jour ne semblait pas être en rapport avec la très minime population qui, avant 1681, entourait la chapelle.

Et l'on se demanda si ces ossements n'étaient pas ceux des nombreux soldats qui trouvèrent la mort sous les murs de Brest au cours d'un des sièges qu'eut à subir notre ville au XIVe siècle ?

 

En 1342, disait-on notamment, de furieux combats se livrèrent au pied de la citadelle, dont une des faces s'étendait des environs de la porte Foy au bas de la rue de la Poterne.

Jean de Montfort, combattant Charles de Blois, vint mettre le siège devant Brest, qui était défendue par Garnier de Clisson.

Celui-ci n'était entouré que de trois cents hommes, mais tous courageux et déterminés : il les disposa sur les remparts et ils se battirent avec une grande bravoure.

 

Clisson ne se borna pas à repousser l'attaque.

Prenant l'offensive, il fit une sortie vigoureuse et mit un grand désordre parmi les assiégeants.

 

Montfort, ayant alors rassemblé des forces supérieures à celles de Clisson, l'obligea à se replier jusque, sous la porte principale de la place dont les défenseurs, croyant leur chef rentré, lâchèrent brusquement la herse, lui coupant ainsi la retraite.

 

Clisson, couvert de blessures, resta seul au milieu des ennemis, jusqu'à ce que les siens, «'apercevant de leur erreur, l'eussent fait rentrer dans le Château, où, la nuit, suivante, il mourut.

 

Les assiégés soutinrent encore un assaut qu'ils repoussèrent en faisant pleuvoir sur les assiégeants de la chaux vive, du sable rougi au feu, de l'huile bouillante, etc.

Mais ces derniers ayant, reçu des renforts, la garnison perdit tout espoir de salut et capitula, sous la condition d'avoir la vie sauve.

 

Ne pourrait-on supposer que les nombreuses victimes de ce combat, aient été enfouies dans une, fosse commune creusée au cimetière Saint-Sébastien ?

 

Cette seconde hypothèse était combattue par une troisième exposant que ces ossements avaient été transportés vers 1671 à Saint-Sébastien, après la désaffectation d'un autre cimetière de la ville.

 

Quoi qu'il en soit, les débris de squelettes, enlevés par tombereaux, furent « provisoirement » enfouis dans une vaste fosse creusée dans les douves, à proximité de la porte Foy.

Bien entendu, le provisoire dure encore et il ne faudrait pas s'étonner outre mesure si, plus tard, lorsqu'on les découvrira une fois de plus, de nouvelles polémiques s'engagent.

 

Devant quelles hypothèses nouvelles faudra-t-il encore s'incliner ?

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Supprimons les grilles

 

Il est très probable qu'on n'éprouvera pas la même perplexité lorsque tombera, ces jours-ci, la porte du Moulin-à-Poudre, dont l'édification ne remonte pas au-delà de 1777.

Cette porte, d'ailleurs, n'a d'autre histoire que celle qui s'attache directement, soit à sa construction, soit à sa démolition, et c'est avec un plaisir des plus complets qu'on la verra disparaître.

 

Cessera d'ailleurs le premier coup porté aux fortifications depuis leur déclassement ;

à ces fortifications qui se dressent encore devant les Brestois, rappelant aux plus anciens d'entre eux comment elles permettaient jadis leur emprisonnement du coucher au lever du soleil.

 

Mais si l'on élargit le passage du Moulin-à-Poudre, il nous paraît, également, indispensable — et ceci à moins de frais — de supprimer, avec les grilles, les trottoirs fantaisistes qui barrent sur presque toute leur largeur les entrées de la place des Portes, de l'avenue Réveillère et de la route du Conquet.

 

Puisqu'on paraît enfin décidé à nous libérer de ces sujétions inutiles, qu'on se hâte ; tout le monde y gagnera.

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