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1926

Les nobles à Quimper
au 18e siècle

par François Ménez

 

 

Source : La Dépêche de Brest 22 décembre 1926

 

Les châteaux de l'Odet connurent jadis une époque de vie élégante et même fastueuse.

Ce fut vers la fin du dix-huitième siècle, où Quimper, à la faveur de la réforme de Maupeou, faillit voir s'étendre jusqu'aux confins du Pays Malouin et du Penthièvre la juridiction de son présidial, et prit plus que jamais figure de petite capitale.

 

Sans doute la misère était-elle profonde dans les campagnes, où le peuple gémissait sous le régime inhumain des congéements et des quévaises.

Mais Quimper, exempt de soucis, presque complètement affranchi de fouages, jouissait en paix d'un âge d'or.

 

Une « société » s'y était formée, insouciante et sceptique, joyeuse et raffinée, qui en faisait comme une petite image de Versailles.

Quimper était devenu, surtout depuis un siècle, le refuge d'une grande partie de la noblesse rurale, que la crainte des séditions paysannes avait portée à déserter ses terres.

Elle avait élu domicile en la Terre-au-Duc ou dans les quartiers grimpants du Pichéry, de la Ville-Close, en ces hôtels de pierre grisonne, aux pignons carapacés d'ardoises, aux étages encorbellés « ornés de quelque peinturage. »

 

Assez pauvre noblesse, en vérité, qu'on ne voyait point à Versailles et dont le roi ne se préoccupait guère.

À l'exception de quelques familles bien assises, comme les Carné, les Plœuc, les Saint-Luc, qui ne résidaient en Cornouaille que par intermittences, elle menait une existence fort humble et parfois besogneuse.

 

Presque tous les gentilshommes quimpérois passaient leur jeunesse dans l'armée.

D'un naturel généralement timide, ayant moins d'à-propos et de faconde que les cadets du Midi, ils se haussaient rarement au-dessus des grades subalternes.

Passé la quarantaine, ils s'en revenaient vivre, dans leurs hôtels ou sur leurs terres, avec une pension médiocre et la croix de Saint-Louis.

 

Vivant « noblement », c'est-à-dire à ne rien faire, pour éviter les dérogeances, la dureté des temps les conduisait à reviser leurs terriers et à exiger plus âprement leurs redevances, ce qui leur aliénait la sympathie paysanne et préparait, pour des temps proches, l'explosion longtemps contenue des colères.

Certains, tel M. de Pompery, ex-garde du corps, redoraient leur blason en épousant des bourgeoises bien rentées.

Lors de son second mariage, M. de Pompery devait cinq mille livres.

Sa femme dut rembourser ces dettes criardes et payer en outre les douze cents francs du marc d'or, le voyage de noces et les habits d'uniforme.

Beaucoup de nobles quimpérois étaient logés à la même enseigne.

Ils étaient les victimes des Shylock de la ville basse et une légende sans indulgence rapporte que la rue des Gentilshommes s'appelait de ce nom parce que, parallèle à la rue Keréon, elle était le détour habituel des nobles criblés de dettes, qui n'osaient braver les quolibets d'urne bourgeoisie médisante.

 

Mais, toute gueuse qu'elle fût, cette petite noblesse savait vivre.

Elle avait de vieilles traditions d'élégance qui, malgré son dénuement, maintenaient son prestige.

Elle représentait l'ancien régime à son déclin, dans ce qu'il eut de plus primesautier et de plus charmant.

Avec de médiocres ressources, elle donnait le ton en cette ville perdue de Basse-Bretagne, où la vie ne coûtait guère.

 

Anne-Marie Audouyn, dame de Pompery, a laissé de la vie quimpéroise à cette époque un tableau curieux et fidèle, dans ses lettres enjouées, débordant de malice et de fantaisie, qu’elle écrivit à Bernardin de Saint-Pierre et à son cousin, le chevalier de Kergus.

Elle avait épousé, au sortir du couvent de Kerlot, le chevalier de Pompery, qui la séduisit autant par le prestige de son nom aristocratique et sa belle taille, que par la grâce d'un esprit bien orné.

Une miniature nous la représente à cet âge, rieuse et vraiment séduisante, se présentant de trois-quarts, dans une robe à paniers, son fichu de laine croisé en triangle sur sa poitrine, ses deux mains blanches et fines appuyées, suivant le goût du temps, sur l'ivoire d’un clavecin.

 

Elle avait un cœur large et chaud, aimant à la fois, et d'un amour égal, son mari, son cousin de Kergus et, semble-t-il bien, Bernardin de Saint-Pierre.

Par ses lettres écrites de Quimper, de Penhars ou de sa ferme-manoir du Réguer, Anne de Pompery nous décrit donc, au jour le jour, la vie d'une société très gaie, où chacun l'appelait du prénom familier de Nénette.

 

Elle tenait un salon où fréquentaient bourgeois et gentilshommes, et qui comptait, parmi ses familiers les plus assidus :

M. de Roquefeuil, l'ingénieur Détaille, les chevaliers Dejean, de Clairfontaine et de La Lance, officiers des régiments de Rouergue et de Beauce, bons musiciens, galants cavaliers, qui étaient, durant leur séjour dans la ville, une grande ressource pour la société polie et pour les dames romanesques.

On y rencontrait encore un médiocre poète, Olivier de Keratry, hypocondre et fatal, romantique avant la lettre, qui traînait en tous lieux, en dépit de sa mine prospère et d'un furieux appétit, un insurmontable dégoût de vivre ; une Italienne évaporée, Mme Colonna, égarée on ne sait par suite de quels avatars sous les brumes armoricaines et qui profitait de l'éloignement de son mari, en garnison en Corse, pour initier à l'italien divers officiers du régiment de Beauce.

 

Y fréquentaient encore, mais avec moins d'assiduité :

les dames de Keranguével et de Penfuntenio, MM. de Silguy et de Keriner, graves conseillers du Présidial, quelques abbesses de Kerlot, le révérend père Venance, qui excellait dans les petits vers et les bouts rimés ;

parfois aussi Mme Renée Madec, begum exilée, femme du nabab des Indes, qui, peu faite aux usages d'Europe, arrachait sans civilité les roses et les lys de Penhars.

 

Tout ce monde caquetait, dissertait, jouait au tric-trac, au whist, à la triomphe, se livrait à des assauts d'esprit, échangeait des ariettes et des romances, se divertissait merveilleusement.

Mme de Pompery qui, plus que quiconque, avait le diable au corps, composait de petites mélodies sur des impromptus du chevalier de La Lance, improvisait des madrigaux, des accompagnements de « sabotières », raffolait de Schubert et de Clémenti, jouait d'ailleurs à ravir du piano-forte, de la harpe et de la guitare.

 

La lecture partageait avec la musique la faveur de ce petit monde frivole.

On n'y pratiquait guère les philosophes, d'un commerce trop sévère.

Anne de Pompery, tout le temps de sa jeunesse, semble-t-il, ignora Julie et Saint-Preux, dont la passion ardente l'eût secouée toute.

Mais elle dévorait, avec une dilection égale, les auteurs innocents et aimables :

Berquin, Parny, Mme de Genlis, Bernardin de Saint-Pierre, dont elle couvrait de larmes les pages brûlantes.

 

Comme Marie-Antoinette à Trianon, elle résida quelques mois d'été en sa « chaumière » de Penhars, et nous a laissé de cette solitude au milieu des bois des notations exquises.

Mais il n’y avait, pour s’y rendre, que d'horribles chemins ; aussi décida-t-elle, de réintégrer son logis quimpérois.

« J'ai donné deux  ou trois larmes, nous confie-t-elle, à ce pauvre Penhars.

Notre allée est encore si jolie par les couleurs variées des dernières feuilles. »

Elle aime à s'y rendre, encore, aux éclaircies d'automne.

 

Elle adore les « parties de crêpes » que M. Bonteiller donne au printemps à la campagne.

Le dimanche, elle fait des parties de bateau sur la rivière, elle se rend aux « aires neuves » ou aux pardons de Loc-Maria, de la Mère de Dieu, de la Tréminoue, où elle aime voir s’ébattre le bon populaire.

 

La Révolution survint dans cette bergerie comme une tornade dans un champ de roses...

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