1928
L'histoire de Brest
par
Ollivier Lodel
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1748 - 1750
Source : la Dépêche de Brest 24 septembre 1928
La Communauté, nous l'avons vu, a recouvré le droit d'élire son maire et elle va présenter à l'assemblée générale du 2 décembre 1747, trois candidats « du côté de Brest ».
Protestation des habitants de Recouvrance, et fondée en droit.
Un arrêt du Conseil d'État du 25 février 1689 n'a-t-il pas décidé, en effet, que sur trois maires, on en élira deux parmi les habitants de Brest et le troisième parmi ceux de Recouvrance.
Cet arrêt vient d'être remis en vigueur en 1747.
Or, depuis 1733, par suite des vicissitudes continuelles éprouvées par l'Administration municipale, aucun candidat n'a été choisi parmi les habitants de Recouvrance.
L'assemblée des électeurs ne tint aucun compte de cette protestation et, par 45 voix sur 60 votants,
M. Pierre Betbédat fut élu maire de Brest.
C'était un Bordelais, négociant en vins, établi à Brest depuis 1720, procureur-syndic de la Communauté, propriétaire du manoir de Kerdivizien, en Plourin.
Il mourut à Brest le 4 octobre 1758, à l'âge de 62 ans.
M. Betbédat fut installé comme maire, le Ier janvier 1748, dans l'église Saint-Louis, où, sur la demande de M. Gourio, recteur de cette paroisse, le duc de Penthièvre avait consenti que se fît la cérémonie d'usage, jusqu'alors pratiquée dans l'église des Sept-Saints.
Avant d'entrer dans l'église, il s'agenouilla au pied d'un prie-Dieu, en face de la porte principale.
La main sur le livre des Évangiles, il prêta le serment de garder et conserver les droits et intérêts de l'Église, ainsi que de la religion catholique, apostolique et romaine.
À la sortie du cortège, il s'arrêta à l'endroit où l'on avait placé, au niveau du pavé, « une pierre expressément percée d'un rond au milieu, et mit le talon dans le rond, censé le centre de la ville ».
Là, il prêta serment, devant le sénéchal, « de se bien et fidèlement comporter dans les fonctions de maire, de conserver les droits du Roi, les privilèges et prérogatives de la ville, les ordonnances de police, comme aussi de protéger les pauvres, les veuves et les orphelins. »
Quelques mois après l'installation de M. Betbédat, la Bretagne fut comprise, par l'arrêt du Conseil d'État du 9 avril 1748, pour une somme de 600.000 livres, dans le remboursement à faire au sieur Leclercq, qui avait acheté les offices municipaux.
La part afférente à la ville de Brest fut de 2.400 livres par an.
Elle était établie pour six ans, mais elle subsista jusqu'à la Révolution.
Tous les offices furent acquis an nom de M. Antoine Raby, négociant, et le corps municipal fut ainsi constitué, après les élections du 19 juin 1748 :
Échevins : MM. Guillaume Labbé, notaire, et Bernard Le Milbéo, procureur au Siège royal.
Procureur-syndic : M. Allain Martret, sieur de Préville, notaire.
Conseillers : MM. René Champérault ; Louis Debon, négociant ; Antoine Raby, négociant ; Jean Guesnet, notaire et procureur au Siège royal.
Conseiller garde-scel : M. Romain Malassis, maître imprimeur.
Substitut du procureur-syndic : M. Alain de Rosiliau.
Greffier : M. Olivier Varsavaux.
Sous l'administration de M. Betbédat, la Communauté s'occupa principalement du service des eaux.
La fontaine de Troulan, dans la Grand'Rue (au n° 79 actuel) est démolie.
On réédifie celle située au bout de la rue des Carmes, près les glacis du Château,
La construction d'une nouvelle fontaine est décidée sur la place Médisance, d'après les plans de l'ingénieur Frézier.
La rue du Château est prolongée, en 1748, de la rue Traverse à la rue d'Aiguillon.
La rue du Passage (aujourd'hui rue Guyot) est ouverte, « pour communiquer de la Grande Rue, près le Trésor de la Marine, avec celle de Keravel ».
La municipalité vient en aide à ses deux églises paroissiales de Saint-Louis, à Brest, et Saint-Sauveur, à Recouvrance, églises récentes et encore inachevées,
L'église Saint-Louis, commencée en 1688, a été l'objet de longs procès entre la ville et les Jésuites, qui lui en disputaient la possession.
Ses bas-côtés sont à construire.
« Les Jésuites s'emparèrent de l'église, dit une délibération, et ne la rendirent à la ville en 1742, moyennant 50.000 livres, que parce qu'il fallait faire trop de réparations. »
L'église Saint-Sauveur, datant de 1679, vient d'être reconstruite et érigée en paroisse.
La Communauté demande à l'intendant de fixer la somme à prélever sur les octrois, adjugés 11.700 livres par an, à Jean Le Delier, de Rennes, pour l'achèvement des deux églises.
Elle obtient une allocation annuelle de 4.000 livres pour l'église Saint-Louis et de 500 livres pour celle de Recouvrance.
Les galères de Marseille sont supprimées par ordonnance du 22 septembre 1748 et réunies à la marine royale.
Leurs 4.000 forçats sont répartis entre les ports de Toulon, Rochefort et Brest
Et le 30 mai 1749, neuf cent soixante galériens arrivaient à Brest.
Logés dans la nouvelle Corderie, on les emploie immédiatement au curage du port et à l'excavation de la montagne de Keravel.
C'est près de là que l'ingénieur Choquet de Lindu a choisi l'emplacement du bagne :
en dehors du port, mais à proximité de la Penfeld et des casernes, entre l'hôpital et la Corderie,
Il nous a laissé une description architecturale de cet édifice qui, « le plus important de tous les bagnes de France, put contenir plus de 3.000 forçats ».
Le bâtiment s'étend sur une longueur de 270 mètres.
Au centre, un pavillon central, pour le logement des officiers, un large vestibule et deux escaliers donnant accès aux salles des condamnés.
« Les marches sont de bois, car des arêtes de pierre eussent été bientôt détruites par le frottement des chaînes. »
De ce pavillon qui commande toutes les salles, la surveillance s'exerce à chaque étage, au travers d'une lourde grille de fer.
En cas de révolte, répression immédiate :
des embrasures permettent aux fusiliers des feux d'enfilade.
Chaque salle est partagée dans toute sa longueur par un mur de refend qui, tous les cinq mètres, est percé d’une large ouverture en arcade, correspondant à une fenêtre, pour le renouvellement de l'air.
Dans l'épaisseur de ce mur, sont établis les cuisines, les fontaines et aussi les lieux d'aisances, où les condamnés ont accès sans quitter leurs chaînes.
Les lits de camp, ou tolards, à vingt-quatre places, sont appuyés au mur.
Chaque soir, les forçats y sont enchaînés et les chaînes viennent toutes se fixer à un organeau, fermé par un cadenas, dont l'adjudant comité de surveillance a seul la clef.
Que de désespoirs inouïs, de douleurs et de drames indicibles, fut témoin cette vieille et redoutable bâtisse qui, jusqu'en 1857, abrita tant de criminels !
OLLIVIER LODEL.
(À suivre.)