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1928

L'histoire de Brest
par
Ollivier Lodel

3 sur 41

1688-1690

 

 

Source : la Dépêche de Brest 25 juin 1928

 

Les habitants de Recouvrance étaient loin d'avoir accueilli avec plaisir la réunion des deux côtés de la ville en une seule et même communauté.

 

Leurs récriminations portaient, en particulier, sur ce fait que le maire était toujours un Brestois.

Ils voulaient qu'il fût alternativement choisi parmi les habitants de l'une et l'autre rive.

 

Et l'élection, le 30 novembre 1687, du successeur de M. Monod, fut des plus mouvementées, bien que M. de Cintré, lieutenant du Roi et président de l'assemblée, eût pris toutes les précautions nécessaires pour déjouer la cabale, en ne laissant participer au vote que deux personnes de chaque métier, l'une du côté de Brest, l'autre du côté de Recouvrance, en dehors de ceux qui, de droit, étaient inscrits sur les rôles.

 

Deux candidats étaient en présence, tous deux riches négociants, marchands de vins en gros :

M. Le Mayer, sieur de la Villeneuve, de Brest, et M. Le Gac de l'Armorique, de Recouvrance.

 

Le premier obtint 58 voix, le second, 54 et l'animation fut telle que l'assemblée se sépara sans que M. de Cintré eût fait la proclamation d'usage.

 

L'intendant Desclouzeaux en référa à Seignelay, vanta les mérites de M. Le Gac de l'Armorique et appuya chaudement la réclamation des habitants de Recouvrance

« dont le Roi, écrit-il, tire bien plus de services, car ils sont tous anciens et gens de mer, que de ceux de Brest qui ne sont que des cabaretiers ou marchands revendeurs ».

 

Seignelay répondit simplement :

« Je n'ai rien à vous dire sur ce que vous m'écrivez au sujet de l'élection du maire de Brest, et c'est une chose de laquelle je ne veux pas me mêler. »

 

Le Roi valida l'élection de M. Mayer, mais il fut décidé qu'à l'avenir, un maire sur trois, serait choisi parmi les habitants de Recouvrance.

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Thomas Le Mayer était propriétaire de la terre de la Villeneuve, située aux portes de la Ville.

Son manoir, disparu en 1739, occupait l'emplacement actuel de l’Étoile du Nord, à l'angle de la rue Jean Jaurès et de la place de la Liberté.

 

C'est sous l'administration de M. Mayer de la Villeneuve, le 9 février 1688, que le ministre ordonna de démolir les murs de l'église Saint-Louis, que l'on construisait à Kéravel.

 

Un mois après, le 10 mars, l'évêque de Léon, Mgr de la Brosse, accompagné de l'intendant, du prévôt de la marine, de l'architecte Garenjeau et de deux archers, arrivait de grand matin sur le terrain de Tronjolly, près de l'endroit où on construisait le séminaire des Jésuites, et posait la première pierre de la nouvelle église, dédiée à saint Louis.

 

Dès que Vauban apprit le déplacement de l'église il ne put s'empêcher d'en témoigner son mécontentement à l'intendant.

 

Il lui écrit le 21 mars 1688 :

« Vous êtes de vraies poules mouillées, vous et tous ceux de Brest, pour n'avoir pas mieux soutenu cette affaire.

Vous verrez, par la suite, ce qui en arrivera... »

 

La construction de l'église commença immédiatement après la bénédiction épiscopale et les dépenses s'élevaient déjà à près de 85.000 livres, quand Seignelay, pour raisons budgétaires, donna l'ordre de suspendre les travaux.

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Les ouvrages du port languissaient, mais en 1688, voici que les événements politiques viennent imposer l'obligation d'apporter une nouvelle et très grande rapidité aux travaux relatifs à la défense de Brest.

 

Un renfort de 2.000 ouvriers est employé à constituer l'enceinte de Recouvrance et une prime de mille écus est offerte à celui des deux entrepreneurs qui terminera le premier sa part de travaux.

 

Le Château est fortifié et pour donner plus d'extension aux glacis, le duc de Chaulnes, gouverneur de Bretagne, ordonne la démolition, jusqu'à une distance de 60 toises, de toutes les maisons voisines du chemin couvert.

 

Vauban, qui vient de visiter toutes les côtes, depuis Ypres jusqu'à l'embouchure de la Loire, arrive à Brest le 18 février 1689 et se rend compte que la place n'est pas à l'abri d'un coup de main.

 

Il décide immédiatement d'établir une batterie sur le rocher de Berthaume et une tour à Camaret ;

de fortifier la presqu'île de Kermorvan, pour mettre à couvert Le Conquet et les Blancs-Sablons.

 

L'entrée du port de Brest est fermée au moyen d'une estacade faite de mats de navires, ferrés et chevillés de pointes de fer.

Sept demi-lunes en terre sont construites dans l'enceinte.

Une redoute, enveloppée d'un chemin couvert, est organisée sur la hauteur du « Point du Jour ».

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Tourville

Musée de la marine

 

En ce moment, Brest devient un centre d'opérations de premier ordre.

On y prépare de formidables armements.

 

Jacques II, dont Louis XIV poursuivait la restauration avec une rare audace, arrive à Brest, le 5 mars 1689, par Lanvéoc, dans une « galère dorée ».

Il loge à l'Intendance ou « Maison du Roi » et sa nombreuse suite est répartie dans les plus belles maisons de la ville.

 

Quelques jours après, il s'embarquait pour l'Irlande, sous la protection de 14 vaisseaux de guerre, commandés par le chef d'escadre Gabaret.

 

Restait à transporter les troupes et le matériel de guerre convenus.

 

Le lieutenant-général Châteaurenault est chargé de cette difficile mission.

Il sort de Brest, le 6 mai 1689, à la tête d'une armée de 24 vaisseaux, 2 frégates, 6 brûlots, débarque 6.000 hommes de troupe dans la baie de Bantry, sous le feu d'une flotte anglaise supérieure et le 17 mai, il rentrait sur rade.

 

L'expédition avait duré onze jours, « un simple voyage en Irlande », comme l'appelle Tourville.

 

La guerre navale s'annonçait terrible, car pour la première fois, la marine française allait se trouver en face des deux grandes marines réunies de Hollande et d'Angleterre.

 

Toutes nos flottes sont concentrées à Brest et Tourville, venant de Toulon, trompant la croisière anglaise qui tenait les parages d'Ouessant, réussit à y faire entrer ses 24 vaisseaux, le 4 août 1689, et à opérer sa jonction avec les 62 bâtiments de Châteaurenault qui, moins ancien que lui, dut lui céder le commandement en chef.

 

Et le 10 juillet 1690, Tourville, que le roi venait d'élever à la dignité de vice-amiral et général de ses armées navales, sortait de Brest, à la tête de 80 vaisseaux de ligne, avec mission de chercher l'ennemi, qui était signalé dans la Manche, et de le combattre.

Ce fut la bataille de Beachy-Had, entre Brighton et Hartings, au cours de laquelle la flotte anglo-batave perdit 18 bâtiments.

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Dutch Rear Admiral Gilles Schey blames Torrington

for the loss of the Battle of Beachy Head before a court martial

 

L'agglomération de pareilles forces avait inévitablement donné de nombreux malades.

 

On établit en toute hâte, près des salles de l'hôpital, des appentis pouvant contenir 250 lits ;

les couvents de Landerneau, de Landévennec et de Saint-Mathieu sont réquisitionnés ;

des ambulances sont installées à Saint-Pierre-Quilbignon et à Tréberon.

 

On assure l'approvisionnement des vaisseaux en eau potable par une conduite en maçonnerie d'environ 900 toises, qui amène les eaux des hauteurs de Saint-Pierre-Quilbignon jusque sur le bord de la mer, à l'endroit où se trouve aujourd'hui l'aiguade dite des Quatre-Pompes.

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ROUSSELET DE CHÂTEAURENAULT François Louis

 

Les travaux et armements de cette époque ne furent pas sans augmenter sensiblement la population, mais le nombre des maisons, du côté de Brest, qui était de 280 en 1681, ne s'était guère accru.

 

De grands terrains vagues s'étendaient dans l'enceinte et Desclouzeaux aurait voulu qu'on y établît des communautés, et qu'on appelât à Brest cinq ou six mille familles d'officiers-mariniers et de matelots, à chacune desquelles aurait été donnée une petite maison comprenant deux chambres, un grenier et un jardin.

 

Mais Seignelay refusa les propositions de l'Intendant :

« Il vaut mieux, écrit-il, que la ville ne se bâtisse pas si tôt, que de se remplir de couvents. »

 

D'un autre côté, le roi ne pouvait faire la dépense des constructions projetées.

Il fallait seulement engager les marins à s'établir à Brest.

 

(À suivre)

 

Ollivier LODEL.

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