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1928

L'histoire de Brest
par
Ollivier Lodel

7 sur 41

1701-1717

 

 

Source : la Dépêche de Brest 23 juillet 1928

 

En 1701, la garnison de Brest se composait d'environ 2.000 soldats et près de la moitié était logée chez l'habitant.

 

Ce logement des gens de guerre, charge roturière qui n'atteint ni le clergé, ni la noblesse, est un fardeau qui pèse lourdement sur les « sujets au casernement ».

 

Ils doivent, en effet, outre la literie, fournir pour chaque chambre une table, deux bancs, une planche suspendue pour mettre le pain, des crochets pour mettre les équipages et un râtelier pour les armes.

 

Cette charge, à Brest, est d'autant plus pénible, qu'elle ne retombe que sur quelques pauvres artisans, le nombre des habitants ayant considérablement diminué depuis le commencement du XVIIIe siècle et les deux tiers de ceux qui n'ont pas quitté la ville, étant exempts du logement, parce qu'employés dans le port, ou entretenus au service du roi.

 

« L’ouvrier n'a qu'une chambre et on lui donne deux, quelquefois quatre soldats à loger.

Obligé d'aller gagner sa journée, pour faire subsister sa famille, il est contraint de laisser sa femme et ses filles avec les soldats, où souvent l'occasion contribue au crime et, lorsqu'il n'y en a pas, le soupçon cause du désordre où Dieu est offensé. »

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Un moyen très simple de décharger les habitants du logement qui les écrase, c'est de construire des casernes, comme il en existe à Rochefort, Toulon et Dunkerque.

 

Aussi la Communauté présente-t-elle des requêtes successives, pour que le fonds des lanternes soit employé à leur construction.

Elle envoie son procureur-syndic à Paris et promet 1,000 livres de gratifications à qui obtiendra du roi la « faveur » de bâtir des casernes.

 

Cette autorisation fut accordée en 1703, mais Louis XIV ne voulut point participer aux frais de construction, évalués à 120.000 livres, et la ville, obérée de près de 60.000 livres, ne pourra donner suite à son projet qu'en 1732, date de construction de la première aile de la caserne Fautras.

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L'habitant est tenu de fournir à l'officier de troupes en marche :

Un lit garni, trois chaises, une armoire ou commode, deux serviettes par semaine, plus un lit de valet.

 

Les officiers de marine qui, séjournant à Brest, louent des chambres garnies, ne doivent pas payer un prix supérieur à ceux ainsi fixés par l'ordonnance du marquis de Nointel :

 

« Loyer d'une chambre proprement meublée, accompagnée de quelque petit cabinet, pour mettre coucher un valet, dans les premières maisons et plus hauts quartiers de la ville : 15 livres par mois.

 

« Loyer d'une chambre meublée dans les maisons de deuxième ordre, avec un lit en quelque endroit, pour mettre coucher un valet : 12 livres par mois.

 

« Loyer de chambres dans les maisons des rues hautes : 6 et 10 livres par mois. »

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La Communauté doit, de son côté, pourvoir au logement des officiers généraux de passage ou de service à Brest.

 

Elle paie annuellement 600 livres à M. Le Moine de la Villevert, pour les appartements qu'occupe M. Bouridal, intendant des fortifications ;

700 livres à M. Daudenne, pour le logement de M. Desgrassières, inspecteur général de la marine ;

500 livres pour celui de M. Robelin, directeur des fortifications, etc.

 

Les divers séjours de Vauban à Brest ont coûté à la Communauté près de 6.000 livres, sans compter les achats de meubles.

 

Et il faut satisfaire aux exigences de certains, tel le maréchal d'Estrées, qui refuse, en 1701, d'habiter une maison qu'il avait occupée en 1697, parce qu'elle était humide et qu'il s'enrhumait facilement.

 

Sur l'ordre qu'il expédie de Nantes, la municipalité achète, en toute hâte, des meubles, paye une indemnité à Mme de Saint-Léger dont les appartements avaient été retenus, et une autre locataire qui doit céder la place au maréchal.

En 1704, la ville paie 5.374 livres pour mettre l'hôtel Saint-Pierre en état de recevoir le comte de Toulouse et sa suite de 108 personnes.

C'est alors qu'elle se décide à le louer d'une manière permanente, au prix de 3.000 livres par an, pour recevoir le commandant de la province.

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Tous les sacrifices imposés aux habitants et à la Communauté n'excluaient pas d'autres mesures fiscales, dont nous avons déjà parlé :

Transformation des fonctions électives en charges vénales, création d'une multitude d'offices, la plupart inutiles et préjudiciables aux villes qui doivent payer les appointements de tous ces fonctionnaires.

 

Les ministres Desmarets et Pontchartrain ont beau pressurer les contribuables, ils ne parviennent pas à faire face aux dépenses de la guerre.

Le Trésor reste vide.

L'État ne peut même plus payer les ouvriers du port, ce qui cause des désordres assez graves, ainsi qu'en témoigne la correspondance de M. Robert, intendant de la marine, avec Pontchartrain.

 

« Le 27 décembre 1704, deux cents femmes d'ouvriers de l'arsenal vinrent chez l'intendant, demander l'argent qui est dû à leurs maris, criant à la faim et m'assurant qu'elles n'avaient pas de quoi donner du lait et de la farine à leurs enfants... »

 

À la fin de 1706, il est dû cinq mois de solde.

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« Les ouvriers sont réduits à la dernière misère et capables de se porter aux extrémités les plus fâcheuses. »

 

L'effroyable rigueur de l'hiver de 1709, pendant lequel le thermomètre descendit à 25 degrés et que la Manche gela, vint encore ajouter à cette situation désastreuse.

 

Pain, vêtements, chauffage, tout manque aux ouvriers dont les femmes, en haillons, assiègent de nouveau (26 février 1709) la demeure de l'intendant.

 

Le lendemain, nouvelle émeute, et les autorités font défendre, à son de caisse, toute réunion de femmes, officiers-mariniers, matelots et ouvriers.

La milice bourgeoise garde la maison du maire et celles des principaux habitants.

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La situation des officiers est aussi navrante.

 

C'est M. Combes, commissaire général d'artillerie, à bout de ressources, après avoir vendu son mobilier pour se procurer du pain, qui sollicite comme faveur d'aller vivre chez un de ses frères.

 

C'est Josselin Hélie, ingénieur constructeur de navires, qui succombe à une longue maladie, pendant laquelle il n'a pu se procurer ni aliments, ni remèdes.

 

Et M. Robert écrit à son ministre, le 30 juillet 1710 :

 

« Nous avons ici, Monseigneur, grand nombre d'officiers et employés, qui viennent continuellement me dire qu'ils n'ont pas de pain et qu'ils n'en peuvent plus trouver, ayant vendu généralement tout ce qu'ils avaient de meubles et autres effets.

 

« Les choses sont dans une si grande extrémité qu'il est absolument nécessaire, Monseigneur, d'y remédier.

Autrement, il périra quantité de personnes de misère, et tout le port se trouvera à l'abandon, d'autant qu'on ne peut plus compter suite service des gens qui sont réduits à mourir de faim...

 

« La misère est extrême et vous savez, Monseigneur, que c'est une maladie qui augmente, par succession de temps, lorsqu'on n'y apporte point de remède, et qui, à la fin, devient incurable... »

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À cet appel suprême, M. de Pontchartrain ne répond pas.

Le trésor est vide et le gouvernement sans crédit.

 

Danjeau ne rapporte-t-il pas dans ses « Mémoires » que le roi a dû faire fondre son argenterie et vendre des objets d'art, pour subvenir aux frais des armements, faits en faveur de Jacques II.

 

(À suivre.)

 

OLLIVIER LODEL.

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