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1929

L'histoire de Brest
par
Ollivier Lodel

20 sur 41

1757 - 1759

 

 

Source : la Dépêche de Brest 14 janvier 1929

 

L'épidémie 1757-1758 avait fait à Brest plus de 10.000 victimes et le corps médical avait été particulièrement atteint, puisque près de deux cents chirurgiens de Brest, de la Bretagne et de Paris moururent du fléau.

 

Le dévouement du maire, M. Martret de Préville, avait été sans bornes et sa belle conduite nous est signalée par une lettre (31 janvier 1758) de l'intendant de Bretagne à M. de Moras, ministre de la Marine :

 

« L'effroi est tel dans la ville, écrit M. Le Bret, qu'aucun des officiers municipaux, à l'exception du maire, n'a osé entrer dans les maisons, pour veiller à leur désinfection. »

 

Le courage du premier magistrat releva, nous l'avons vu, certaines défaillances.

Un arrêt du Conseil lui accorda une pension de six cents livres et les États de la province, réunis à Rennes, lui témoignèrent leur satisfaction en lui faisant hommage d'une bourse de jetons.

 

À la suite de tels désastres, la ville de Brest était plongée dans le marasme le plus profond.

Quant aux finances, M. de Préville nous en donne la triste situation, dans cette supplique adressée aux États de Bretagne :

 

« Les fonds de la Communauté ont été complètement épuisés.

Ils n'ont pu suffire à payer les dépenses extraordinaires et immenses que cette maladie a causées ; une partie en est encore due.

 

« Quelle ressource reste-t-il à la Communauté et aux hôpitaux pour se relever ?

 

« Quelle aumône peuvent-ils se flatter d'obtenir du peuple auquel il est dû, dans le port, une année entière de solde ?

Des officiers et entretenus de la Marine qui, depuis dix-huit mois, n'ont pas touché leurs appointements ?

 

« La Communauté ne peut que gémir sur l'état cruel et misérable de ses habitants, sans pouvoir leur prêter aucun secours.

 

« Vous seuls, Nosseigneurs, pouvez prêter une main secourable à l'hôpital de Brest et de Recouvrance et le regarder comme celui de la province, puisque seul a été victime de la maladie la plus cruelle dans ses ravages. »

 

La guerre de Sept Ans vient ajouter « aux malheurs et calamités de Brest ».

Les armements considérables que l'on a dirigés vers l'Inde et le Canada ont amené dans le port une grande affluence de marins.

Il en est résulté de « nombreux enfants illégitimes » qui ne peuvent trouver place dans les hôpitaux.

 

La cherté des vivres a été accrue par les nombreux passages de troupes.

Tous les pêcheurs sont embarqués sur les bâtiments de guerre et la Communauté obtient de Mgr. l'évêque de Quimper, la permission pour les Brestois de faire gras pendant le Carême de 1759, les dimanches, lundis, mardis et jeudis, « vu le défaut de toutes sortes de poissons. »

Bataille des Cardinaux en 1759

Richard Paton

 

Le 14 novembre 1759, le vice-amiral de Conflans quittait Brest à la tête d'une armée navale composée de 21 vaisseaux et 5 frégates ou corvettes, répartis en trois divisions.

 

Son pavillon flottait au grand mât de la plus belle unité navale, le Soleil Royal, 80 canons, 950 hommes d'équipage.

 

La flotte de Brest se dirigeait vers Quiberon, pour y prendre l'armée de d'Aiguillon qui, pour en finir avec la guerre, devait opérer une descente en Grande-Bretagne.

« Les Anglais sont nos seuls et véritables ennemis, dit un mémoire de juillet 1759.

C'est en portant la guerre chez eux que nous pouvons les forcer à faire la paix ;

c'est le seul moyen d'en faire une honorable... »

 

Le 20 novembre, au matin, Conflans approche de Belle-Isle, quand les vigies lui signalent une escadre anglaise de 23 vaisseaux de ligne et 9 petits bâtiments, qui arrive du nord-ouest, toutes voiles dehors.

 

C'est l'escadre de l'amiral Hawke, battant pavillon à bord du Royal Georges, de 100 canons, qui est accourue de Torbay, à la première nouvelle de la sortie de M. de Conflans.

 

L'armée navale française pouvait recevoir vaillamment le choc, engager le combat, affirment tous les historiens car elle n'était pas sensiblement inférieure en nombre et en armement.

 

Mais Conflans se dérobe ; il n’a qu'un souci :

Mettre son escadre en sûreté et la réfugier dans la baie de Quiberon, où pense-t-il, l'ennemi ne le suivra pas, à travers les récifs, les îlots et les brisants.

 

Vers deux heures de l'après-midi, le Soleil Royal, excellent marcheur, a doublé les rochers des Cardinaux, entre Hoëdick et Belle-Isle, mais quatre vaisseaux d'arrière-garde restent isolés, à huit ou dix milles, aux prises avec neuf bâtiments ennemis.

Et Conflans commet une nouvelle faute : ne pas virer de bord, pour courir au danger.

 

Pendant plusieurs heures, de la passerelle du Formidable, le chef de division Saint-André du Verger dirige un combat qui est une des pages les plus glorieuses de notre histoire maritime.

Il a la tête emportée, et, quand le Formidable dut amener son pavillon,

« ce n'était plus qu'une carcasse couverte de cadavres, éventrée par les boulets. »

Le surlendemain de la bataille, avec à droite, l'incendie du Soleil Royal à côté du Héros

 

Trois autres vaisseaux avaient coulé à pic :

Le Thésée, 74 canons, 650 hommes, commandant Kersaint de Coëtnempren, l'un des plus brillants officiers de la marine royale ;

le Superbe et le Juste, 70 canons, 630 nommes, commandants de Montalais et Saint-Allouarn.

 

Cette affreuse journée devait plonger dans le deuil la Bretagne entière, car ces trois vaisseaux n'avaient pour matelots que des Bretons.

 

Dans la matinée du 21 novembre, il n’y avait plus autour du Soleil Royal que huit vaisseaux.

Sept et quatre bâtiments légers étaient allés se réfugier dans l'entrée de la Vilaine.

 

Les autres, harcelés par les bordées des Anglais, font force de voiles pour gagner la baie du Croisic.

Mais le vent favorise les mouvements de l'ennemi.

Hawke attaque, poursuit dans ce labyrinthe de passes et surprend son adversaire en plein désarroi.

 

Conflans fait alors évacuer et incendier les seuls survivants du combat de la veille :

le Soleil Royal et le Héros.

 

Le triste héros de cette journée du 20 novembre 1759 bénéficia de l'impunité dont la maîtresse régnante couvrait toutes ses créatures.

 

Mais l'Histoire a condamné la mémoire de M. de Conflans au mépris de la postérité,

en attachant son nom à la « bataille des Cardinaux », qui fut une fuite sans combat.

 

La flotte de l'Atlantique était maintenant réduite à l'impuissance, comme celle de la Méditerranée.

La « bataille des Cardinaux » fut le tombeau de la marine française, sous le règne de Louis XV.

 

Le triennat de M. Martret de Préville, si cruellement éprouvé par l'épidémie et la guerre, ne fut marqué par aucune œuvre d'édilité.

 

On s'occupa cependant de la question des tambours de ville.

La municipalité ne possédait qu'un seul tambour, vieux serviteur qui, depuis une trentaine d'années, pour 20 livres par an, annonçait au peuple, sur la place Médisance, les arrêtés du maire et les décisions de l'autorité.

 

Devenu infirme, il a cessé ses fonctions en 1758, et on a fait appel à un ancien tambour de la marine, Vincent Fortier, dit « La Tulipe », mais qui demande 50 livres par an, un habit neuf tous les deux ou trois ans, un logement et le droit exclusif de faire les bannies pour les particuliers.

 

M. Martret expose tout cela à la Communauté, le 23 mars 1758, et ajoute que les compagnies de la milice bourgeoise ont besoin de neuf autres tambours, car « les capitaines sont obligés d'emprunter des tambours, soit de la marine ou des troupes de terre, ce qui ne laisse pas de leur coûter. »

 

La Communauté se range à son avis et accorde 120 livres par an à La Tulipe, qui sera tambour-major, et 24 livres à chacun des neuf autres.

 

Mais La Tulipe a d'autres exigences et, en 1759, la municipalité se voit obligée de lui voter un traitement annuel de 200 livres, sous réserve qu'il enseignera aux autres tambours, sans rétribution, à battre la caisse, et fera gratuitement les publications de la Communauté et de la police.

 

Pour les bannies des particuliers, il recevra 20 sols, quand il les fera dans toute la ville ;

10 sols, pour un côté seulement.

 

Le tambour-major était vêtu d'un surtout « à l'uniforme de la Communauté », blanc jusqu'en 1783 et bleu à partir de cette époque.

Sa canne, « avec garniture en argent et gravée », ne coûtait pas moins de 200 livres.

 

(À suivre.)

 

Ollïvier LODEL.

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