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1929

L'histoire de Brest
par
Ollivier Lodel

23 sur 41

1763 - 1765

 

 

Source : la Dépêche de Brest 4 février 1929

 

Le règlement de police de 1754 contenait, nous l'avons vu, un certain nombre de dispositions concernant les individus dangereux, voleurs et vagabonds, toute une population qui vivait en marge de la société et qui était particulièrement nombreuse à Brest.

 

En novembre 1764, on s'aperçoit que ces mesures sont insuffisantes.

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« Il est journellement porté des plaintes, qu'il y a en cette ville une grande quantité de gens qui courent les rues, depuis le soleil couché jusqu'au jour, et qui, armés de bouts de cordes et d'autres instruments, frappent et assomment les personnes qui passent dans les rues même aux heures de six à sept du soir.

Il y a eu plusieurs maisons attaquées, à différentes heures de nuit... »

 

On renouvelle alors les prescriptions de 1754, concernant les étrangers à la ville.

On demande au commandant de la place d'augmenter les gardes et les patrouilles.

On proscrit les mendiants et gens sans aveu et on ordonne de fermer les portes des maisons, à partir de six heures du soir, sous peine, aux locataires, d'une amende de 50 livres.

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En 1762, le Parlement de Paris avait déclaré les Constitutions de la Compagnie de Jésus

« contraires aux lois du royaume » et ordonné la suppression de l'ordre en France.

 

Sous l'influence de Mme de Pompadour et de Choiseul, hostiles aux Jésuites, Louis XV avait ratifié l'arrêt du Parlement.

Et en novembre 1764, les Jésuites furent expulsés.

 

Le Séminaire qu'ils occupaient à Brest depuis 1690 devint propriété de l'État et fut remis à la marine.

Jusqu'en 1776, il servira de caserne aux gardes-marine, puis d'hôpital jusqu'en 1834 et d'établissement des pupilles en 1863.

 

Lors du transfert de cette institution, en 1883, dans le vallon ombragé de la Villeneuve, l'ancien séminaire deviendra l'École des Mécaniciens.

C'est aujourd'hui la caserne Guépin.

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La fin du triennat de M. Feburier fut marquée par une séance orageuse de la Communauté, à propos de la désignation des trois candidats à la prochaine mairie.

 

Dès l'ouverture de la réunion, des discussions éclatent.

Six échevins et conseillers déclarent qu'ils ne prendront pas part au scrutin et qu'ils portent plainte contre M. Feburier, pour malversations.

 

Mais l'intendant menace les dissidents, s'ils ne se mettent pas d'accord, de nommer, de sa propre autorité, le maire pour le prochain exercice.

 

Et alors, on se réconcilie.

Dans sa séance du 31 mars 1766, la Communauté exprime à l'unanimité son désir « de terminer les discussions qui la divisent, pour y faire régner l'esprit de paix et d'union parfaite, avec lequel elle a toujours concouru au bien public.

 

« Elle déclare que tout ce qui a été fait et écrit sera biffé du registre de ses délibérations, pour qu'il n'en reste aucune trace, et que ces fâcheux débats soient ensevelis dans un éternel oubli. »

 

Et, en effet, les cinq grands feuillets in-f° du registre furent tellement bien rayés et raturés, qu'il est impossible de déchiffrer un seul mot relatif à ces graves dissentiments.

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Général du génie

Pierre Filley de la Côte

 

Les travaux du port, suspendus pendant la dernière guerre et l'administration du ministre de la marine Berryer, sont repris avec activité sous le ministère Choiseul.

 

On achève, pour y établir une manufacture de toiles, le grand bâtiment adossé au mur de clôture du bagne, qui sera converti, en 1825, en caserne des gardes-chiourmes, puis affecté, en 1858, au service de la pharmacie centrale de la marine.

 

Le chenal de la Penfeld est approfondi, depuis l'arrière-garde jusqu'à la pointe de Kerguelen, pour le porter à 8 mètres au-dessous de la plus basse mer, sur une largeur de 39 mètres, et lui permettra de recevoir seize vaisseaux.

 

Le général du génie Filley fait établir à l'entrée du port la batterie du Parc-au-Duc.

 

Soucieux de la défense des côtes de Bretagne, l'un des premiers actes de Choiseul fut d'acquérir l'île d'Ouessant qui appartenait au comte de Rieux, lieutenant-général des armées du roi.

 

Depuis 1597, Ouessant avait été érigée en marquisat par Henri IV, en faveur de René de Rieux, marquis de Sourdéac, gouverneur de Brest, pour le récompenser des services qu'il avait rendu pendant la Ligue.

 

Cette île, facile à défendre et où des navires pouvaient trouver de sûrs mouillages sous la protection de batteries, offrait de réels avantages qui auraient tourné contre nous, si les chances d'un guerre nouvelle la faisaient tomber au pouvoir des Anglais, et le péril demeurait, tant que l'île restait propriété privée.

 

Choiseul conjura le danger en se la faisant céder, le 30 avril 1764, pour 30.000 livres, plus une pension de 3.000 livres au comte de Rieux, réversible, sur sa femme et son fils.

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Et le 7 septembre 1764, M. Le Coat de Saint-Haouen, procureur du Roi, assisté de deux notaires de Brest, s'embarquait à 7 heures du matin « à la cale du Rocher » (sur l'ancien quai Tourville), dans le bateau de Pierre Malgorn, maître de bateau d'Ouessant, armé de quatre hommes d'équipage, pour y mettre le roi en la possession réelle de l'île.»

 

Débarqués à Ru-Glas « distant du bourg de trois grands quarts de lieue», ils allèrent le lendemain dimanche présenter leurs pouvoirs au gouverneur, M. de Gouzillon, puis au recteur et de là se rendirent à la chapelle de Notre-Dame-du-Rosaire, où tous les paroissiens se trouvaient rassemblés pour la grand'messe.

 

À la clôture du prône, l'un des notaires « annonça au peuple, tant en français qu'en breton, que Sa Majesté avait acquis la seigneurerie et qu'en conséquence, il faisait sommation aux habitants d'avoir à reconnaître à l'avenir le roi comme seul propriétaire de l'île. »

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Yves Le Coat de Saint-Haouen

 

Puis ce fut la série des formalités prescrites par la Coutume de Bretagne :

 

Le comte de Rieux a comme prééminence dans la chapelle du Rosaire,

« un-banc vermoulu de cinq pieds en quarré, placé du côté de l'épître. »

M, de Saint-Haouen s'y agenouille, dit ses prières et

« déclare à baute voix, y prendre possession, pour et au nom du roi. »

 

Du Rosaire, les délégués s'en vont à la vieille église Saint-Paul, complètement délabrée.

Suivant les formalités d'usage, « ils entrent et sortent, ouvrent et ferment portes et fenêtres, font feu et fumée, boivent et mangent, ambulent et déambulent dans le terrain, arrachant mottes et herbes.»

L'église Saint-Paul est maintenant bien au roi.

 

Le lendemain, prise de possession du manoir qui est maison seigneuriale, car, « il y a au coin nord, un pilier planté, avec un carcan, pour marque de justice et de police attribuées au seigneur du lieu. »

 

Enfin, nouvelles « ambulations et déambulations », toujours pour la même cause, à Pen-ar-han, où se trouvent les ruines de l'ancien château du comte de Rieux et aux îlots de Pen-ar-Roch et de Cors, à l'embouchure de la baie de Pors-Paul.

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Portrait du duc de Choiseul,

huile sur toile d'Adélaïde Labille-Guiard,

1786,

collection particulière.

 

Quelques mois après, Choiseul, qui ne voyait le salut du royaume que dans la restauration de la marine, écrivait dans son « Mémoire au Roi », en 1765 :

 

« ...Si j'avais du crédit, je représenterais à V. M. qu'il serait de son devoir de roi de faire, au printemps prochain, un voyage à Brest.

 

« Les quatre jours qu'Elle passerait dans le port y feraient un effet décisif en bien, peut-être pour un siècle.»

 

Louis XV ne sortit pas de son apathie, pas plus pour aller à Brest que pour faire taire les adversaires du ministre.

 

On prétend, rapporte Lacour-Gayet (La marine militaire de la France, sous le règne de Louis XV), qu'il lui tint un jour ce propos :

 

« Mon cher Choiseul, vous êtes aussi fou que vos prédécesseurs.

Ils m’ont tous dit qu'ils voulaient une marine.

Il n'y aura jamais en France d'autre marine que celle du peintre Vernet. »

 

(À suivre).

 

Ollivier LODEL.

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