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1929

L'histoire de Brest
par
Ollivier Lodel

25 sur 41

1769 - 1771

 

 

Source : la Dépêche de Brest 25 février 1929

 

Suivant l'usage, adopté depuis 1681, le corps électoral a désigné trois candidats pour la prochaine mairie.

Ce sont :

MM. Lunven, de Kerbidozec ;

Floch, de Maisonneuve et Floch, de Kerambosquer.

 

Mais ce dernier se désiste et, par faveur spéciale du gouverneur, le duc de Penthièvre, il obtient de ne pas briguer l'écharpe.

 

Deux candidats restent donc en présence et M. Lunven, qui a déjà rempli les fonctions de maire de 1760 à 1762, après l'effroyable épidémie, est réélu par 70 voix, contre 9 attribuées à son concurrent.

Procureur général La Chalotais

Musée des Beaux-Arts (Rennes)

 

La première année de l'administration de M. Lunven fut marquée par le rappel du Parlement de Bretagne.

 

On sait que, gardien vigilant de la constitution et des privilèges de la province, le Parlement breton n'avait pu s'empêcher de protester contre les illégalités commises par le pouvoir royal en matière de levée d'impôts et avait donné sa démission, en avril 1765.

 

Le procureur général La Chalotais et son fils avaient été incarcérés au château du Taureau.

Depuis quatre ans, la lutte était acharnée entre le Parlement de Bretagne et le duc d'Aiguillon quand, en 1769, ce dernier abandonne le combat et se démet de son commandement de la Bretagne.

 

Le rappel des magistrats bretons provoque alors, dans toute la province, une explosion de « joie triomphante ».

 

Dès que la nouvelle en parvient à Brest (16 juillet 1769), la Communauté se réunit et — pour la première fois — sans l'autorisation de l'intendant, elle décide de députer à Rennes, le maire, le premier échevin, le procureur-syndic et un conseiller, « pour aller, au nom de la ville, rendre ses très humbles hommages à la Cour et la féliciter de son retour.»

 

Cinq jours après, les députés remplissaient leur mission, escortés de deux archers et, quand ils revinrent, la joie devint si grande, qu'on décida de faire chanter à l'église Saint-Louis, le dimanche 6 août, une messe solennelle, suivie d'un Te Deum, auquel tous les corps furent invités.

 

Pour ajouter à la cérémonie une pompe inusitée, les officiers municipaux y assistèrent tous en robe,

« une branche d'oranger à la main ».

 

Puis on alla « boire le vin de ville à la santé du roi, du Parlement et de M. le duc de Duras, commandant de la province, au bruit répété de trois décharges de boîtes ».

 

Trois mille pains de trois livres furent distribués aux pauvres.

 

Le soir, un feu de joie « décoré de fleurs et de feuillages » fut allumé sur la place Saint-Louis.

 

L'hôtel de ville fut illuminé et « l'on y fit couler à la porte deux barriques de vin, au son de la musique, pour exciter de plus en plus le peuple à la joie générale ».

 

Le maire aurait voulu couronner ces réjouissances par un bal pour la belle société, à la salle de spectacle, mise gracieusement par la Marine à la disposition de la Communauté.

Mais celle-ci opposa son veto, estimant suffisante la note à payer, qui se montait à 5.381 livres.

 

C'est en 1769, que M. Dajot, directeur des fortifications, vint soumettre à la municipalité les plans de la belle promenade qui porte son nom.

 

La mer venait alors se briser sur le rempart et le cours d'aujourd'hui n'était que ravins et carrières ;

les rochers s'étendaient jusqu'aux amorces des rues d'Aiguillon et Traverse.

 

M. Dajot, soucieux de l'embellissement de la ville, conçoit le projet d'aplanir ces terrains, et la municipalité l'accueille avec d'autant plus d'empressement, que la marine lui donne les forçats, pour les travaux de terrassement.

 

En 1770, la vie est chère, les travaux du port sont suspendus et c'est une grande misère chez la classe laborieuse.

 

Pour procurer du travail aux ouvriers et aussi pour l'assainissement, la sécurité de la ville, la municipalité fait combler les carrières de la place actuelle du Château,

« où il se commettait journellement toutes sortes de désordres, plus de mille hommes pouvant s'y dérober à la vue des patrouilles et dans lesquelles on versait les vidanges, ce qui infectait l’air. »

 

Brest connût en 1769 une exécution capitale qui fit grand bruit,

celle d'un gentilhomme écossais, Gordon de Wardhouse. (*)

 

(*) À lire sur Retro29.fr : L’espion Alexandre Gordon - Cliquer ici

Les Anglais, qui projetaient toujours de surprendre le port pour brûler nos magasins et nos vaisseaux, n'avaient qu'une connaissance imparfaite de nos moyens de défense et, profitant de la paix, avaient envoyé ce jeune officier pour les examiner.

 

Instruit de l'attention avec laquelle le voyageur observait l'arsenal, l'intendant de Clugny le fit arrêter, dans la nuit du 31 mai au 1er juin, chez l'hôtelier Picard place Médisance.

 

Gordon soutint devant les juges qu'il n'avait pas d'intentions coupables, mais fut « convaincu d'avoir essayé de se procurer, par de l'argent, des documents sur les services militaires du port et la destination des armements ».

 

Le 24 novembre, sur le rapport du procureur du roi, Bergevin, il fut condamné « à avoir la tête tranchée par l'exécuteur de la haute justice, sur un échafaud qui sera dressé sur la vieille place du Marché. »

 

Lecture de cette sentence est donnée au gentilhomme, à la prison de Pontaniou.

Et immédiatement il prend ses dispositions testamentaires :

 

Au perruquier Denis qui « l'a accommodé » pendant sa détention, il donne 120 livres ;

au geôlier et à sa femme, 130 livres.

 

Sa croix d'or, il la lègue à Marie Creuzel, une bonne vieille de 76 ans, qui, peu de jours avant son arrestation, le voyant rentrer dans l'arsenal, n'a pu s'empêcher de dire très haut :

« Ah ! le bel homme ! Si j'étais jeune, je voudrais qu'il fût mon mari. »

 

Cinq jours après, le 29 novembre, Gordon sortait de l'arsenal à quatre heures de l'après-midi, au milieu de soldats en armes.

Il portait I'écharpe, car le jugement marquait qu'il devait être exécuté « avec toutes les marques militaires ».

 

D'un pas ferme, « la tête haute, sans affectation », il monta la Grand'Rue, saluant au passage les dames qui se pressaient aux fenêtres.

 

Et puis, il arriva devant l'échafaud, sur la place Saint-Louis, qu'encadraient 500 hommes de la garnison.

 

Pendant près d'un quart d'heure, il s'entretint avec M. Siviniant, greffier de la prévôté, qui lui donna lecture de l'a terrible sentence.

 

Et d'un pas léger, il gravit les marches de l'échafaud.

De la plate-forme, il salua la foule à trois reprises « avec une noblesse exempte de recherche ».

Puis il s'écria :

« Voyez, messieurs, mourir un homme de vingt et un ans ! »

 

Gordon se dépouilla alors de son écharpe et de son habit.

Il ramassa ses cheveux dans un mouchoir ; mais sur la chemise, il remit I'écharpe, insigne de commandement.

 

Puis, genou en terre, après avoir regardé le couteau, il dit à l'exécuteur ces seuls mots :

« Ne me manque pas ! »

 

Suivant les règlements, tous les corps de suppliciés devaient être « jetés à la voirie ».

Mais, sur l'ordre de l'Intendant, le cadavre du gentilhomme écossais Gordon fut inhumé dans le cimetière de la rue du Rempart (aujourd'hui rue Algésiras).

 

Le lendemain, un soldat du régiment de Béarn, qui avait reçu quelque argent de Gordon, pour lui servir de guide, fut pendu à cinq heures du soir « et son corps » exposé sur le Grand-Chemin à l'angle actuel du passage Étienne Dolet et de la rue Louis Pasteur.

 

(À suivre)

 

Ollivier LODEL

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