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1929

L'histoire de Brest
par
Ollivier Lodel

26 sur 41

1771 - 1774

 

 

Source : la Dépêche de Brest

 

M. Jean-Jacques Le Normand, négociant et procureur-syndic, fut élu maire de Brest le 22 juin 1771.

En acceptant ces fonctions, il avait fait preuve d'un grand dévouement, car la situation financière de la ville était déplorable.

Les dettes s'élevaient à plus de 50.000 livres.

 

M. Le Normand fut l'un des meilleurs magistrats brestois du XVIIIe siècle.

La municipalité, reconnaissante de ses très distingué services, lui continuera ses pouvoirs pour trois ans, en 1774, et quand il se retirera en 1777, elle lui offrira « une magnifique épée du prix de 615 livres 15 sols, aux armes de la ville et une gratification de 1.800 livres. »

 

Bien plus, en 1780, dans des circonstances difficiles, la Communauté a encore recours à Le Normand et, pénétrée de gratitude, elle demande pour lui des lettres de noblesse, que le roi s'empresse d'accorder.

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L'élection de M. Le Normand fut une nouvelle fois marquée par de futiles querelles de préséances, révélant la continuation des hostilités entre juges et officiers municipaux.

 

Dès l'ouverture de l'assemblée générale des électeurs, les juges, sous prétexte de défendre les droits du peuple, développent une longue remontrance, disant que les trois candidats à la mairie auraient dû être désignés par tous les électeurs et non par la communauté.

 

Mais cela n'est qu'un prétexte.

Au fond, ils sont très froissés de n'avoir été appelés, pour participer à l'élection, qu'après les recteurs des deux paroisses de Brest.

 

Ceux-ci, MM. Prudhomme, recteur de Saint-Louis et Perrot, recteur de Saint-Sauveur, requièrent la maintenue de la préséance dont ils ont toujours joui à l'égard des juges royaux.

 

Et la communauté ne peut que consigner au procès-verbal de la séance que les trois candidats ont été choisis par elle, selon une coutume immémoriale.

Elle « témoigne son étonnement et sa douleur du trouble qui a ouvert cette respectable assemblée. »

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La ville est dans un très grand embarras financier.

Les octrois, qui sont ses seules ressources, sont tombés de 63.800 livres à 41.520.

Et l'adjudicataire Labous doit plus de 110.000 livres en 1774.

 

Labous ne paie pas, se laisse emprisonner au Château, mais ne tarde pas à être relâché, car il accuse la municipalité de « n'avoir pas pris fait et cause contre le fermier des devoirs. »

 

Le fermier des devoirs, c'est en effet l'éternel ennemi de l'adjudicataire des octrois.

Les vins qu'il reçoit pour les cantines de la guerre, de la marine et pour les hôpitaux sont exempts de droits.

 

Et il profite de cette exemption pour prescrivant vendre en fraude du vin aux particuliers.

 

Tout en réalisant de beaux bénéfices, il peut céder à meilleur compte que les aubergistes et la diminution du débit de ceux-ci est une cause de perte pour le fermier des octrois.

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La capitation, c'est-à-dire la répartition de l'impôt entre les habitants, que fixent les États de la province, s'est élevée de 12.000 à 20.000 livres.

 

Et la communauté de protester contre la taxe exorbitante imposée aux Brestois, dans ce mémoire adressé aux États de Bretagne :

 

« Combien pouvons-nous compter de citoyens, on ne dit pas riches, mais même aisés ?

Le sieur Le Guen est le seul, à bien dire, qui puisse être cité au-dessus d'une honnête aisance, au côté de Recouvrance.

Encore ses concitoyens qui le connaissent, peuvent assurer que sa fortune fait plus de bruit qu'elle n'est considérable.

 

« Il en est de même de MM. Le Normand et Raby, du côté de Brest, qui sont moins aisés.

 

« Si on excepte donc, du côté de Recouvrance, 19 contribuables qui ont quelque aisance et 37 qui sont au-dessous d'une honnête médiocrité, il faut lever le reste du rôle sur de pauvres misérables ouvriers, plus dignes de charité que de capitation. »

 

Du côté de Brest, la municipalité « ne trouve rien de plus consolant ».

À part quelques gens de robe et commerçants, tous d’une condition modeste, « six habitants, sans pouvoir être cités opulents, jouissent d’une certaine aisance :

« La veuve Du Verger, le sieur Riverieux, le sieur du Brocard, MM. La Motte, Bersolle et Vistorte. »

 

« Il faut convenir que Brest est une ville infiniment peuplée (12.500 à Brest, 10.500 à Recouvrance).

Mais abstraction faite de la marine, qui est la partie brillante et nombreuse, le reste, concentré dans une ville de guerre, n’a d’activité et de ressources que dans les mouvements du port, qui languissent depuis la paix.

 

Les ouvriers, outre qu'ils sont mal payés, ne sont point employés la moitié du temps.

Ils ne sont cependant pas libres d’aller chercher de l’ouvrage ailleurs.

 

Il faut vivre et s'entretenir, et voilà la cause des crédits et de l'épuisement des marchands, des boulangers et autres artisans. »

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Dimanche Illustré 29 juillet 1928

 

La communauté demande donc aux États de diminuer la somme totale payée par les deux côtés de la ville et, devant la misère qui règne à Recouvrance, par suite de la cessation des travaux de la marine et du retard apporté au payement des ouvriers, de ne lui faire supporter qu'un tiers de l'impôt.

 

La municipalité obtint satisfaction.

Le taux de la capitation fut réduit à 10.000 livres pour les habitants de Brest et à 5.000, pour ceux de Recouvrance.

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La situation financière de la ville est d'autant plus précaire, qu'il lui faut subvenir à d'impérieux besoins, entr'autres le pavage des rues.

 

Jusqu'ici, elle ne s'est chargée que du pavage des places publiques ;

les particuliers doivent faire paver à leurs frais la portion de rue située devant leur propriété.

 

On n'a fait exception que pour la Grand'Rue, où se fait presque tout le commerce et où le pavé s'use très vite.

 

Mais les habitants du reste de la ville ont réclamé.

Leurs réclamations ont été soutenues par l'Intendant et la ville, mise en demeure de paver ses rues, répond qu'elle n'a pas d'argent.

 

À la troisième injonction, elle consent à paver en pierres d'échantillon les rues majeures (rues de Siam, Saint-Yves et rue de la Porte) et les autres en pierres de blocage (perdue) seulement.

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Jean-Pierre-Antoine, comte de Béhague,

lieutenant général des armées du Roi

 

Une autre charge vient d'être imposée à la ville, celle de l'établissement de nouveaux corps de garde, l'un sur le quai de Brest, près la cale du Rocher, l'autre dans la rue Keravel.

 

Et voici M. de Béhague, nommé commandant de la place, qui entend faire respecter une récente ordonnance, prescrivant « l'établissement d'un corps de garde sur les places d'armes des villes de guerre » ;

il requiert la municipalité d'en construire un sur le Champ-de-Bataille.

 

La communauté résiste, déclare que l'état de ses finances ne peut lui permettre cette dépense et que l'ordonnance de 1768, visée par M. de Béhague, est satisfaite à Brest, puisqu'il existe depuis longtemps, dans la rue d'Aiguillon, le poste dit des Vénériens, derrière la salle de spectacle, qui fait face à la place d'armes.

 

Mais les autorités militaires reviennent à la charge.

Et alors la communauté, qui conçoit le projet, sur les terrains du Petit-Couvent, d'un palais où se trouveront réunis l'hôtel-de-ville, l'auditoire et les prisons, promet d'y réserver une place pour le corps de garde.

 

Projet grandiose, pour lequel la municipalité brestoise « espère en la bonté de Sa Majesté, qui a promis de venir au secours des communes obérées. »

 

Projet trop lointain pour M. de Béhague qui s'adresse au roi et, en 1774, l’Intendant apprend au maire que Sa Majesté « autorise » la ville de Brest à emprunter 14.000 livres pour faire construire le corps de garde en question.

 

C'est un ordre à peine déguisé.

Il faut se soumettre.

Ce corps de garde du Champ-de-Bataille, qui subsista jusque 1886 et qu'on appelait le violon, occupa l'emplacement actuel du n° 34 de la rue d'Aiguillon .

 

(À suivre).

 

Ollivier LODEL.

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