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1929

L'histoire de Brest
par
Ollivier Lodel

27 sur 41

1771 - 1774

 

 

Source : la Dépêche de Brest 11 mars 1929

 

La ville, préoccupée de l'état de ses finances, était peu disposée à donner des fêtes.

Il lui fallut pourtant s'exécuter de bonne grâce lorsque, le 2 mai 1772, le commandant de la marine, M. le comte de Roquefeuil, et le gouverneur du château, M. le chevalier d'Argens, lui annoncèrent la visite imminente

du duc de Chartres et lui prescrivirent ce qu'elle aurait à faire lors de sa réception.

 

La milice prendra les armes, les habitants de la rue de Siam, par où doit arriver Son Altesse, tendront le devant de leurs maisons et tiendront leurs boutiques fermées ;

le soir, les fenêtres de toutes les maisons seront illuminées, sous peine de punition.

 

Le maire, MM. Raby, ancien maire, Bermond et Martret de Préville, conseillers, ont été délégués pour aller au-devant du duc de Chartres.

 

Et le 5 mai, à quatre heures du matin, ils partent en berline pour Landerneau, précédés de deux archers de ville et de deux sergents de police, la bandoulière sur l'habit.

 

Ils s'y trouvent rendus à sept heures et doivent attendre jusqu'à dix heures et demie l'arrivée du carrosse princier.

 

M. de Roquefeuil, chargé des présentations, est venu par la rivière, suivi de canots, pour le cas où Son Altesse préférerait arriver à Brest par mer.

 

C'est, en effet, ce mode de transport que choisit le prince.

Et voilà changé tout le programme de réception en ville.

La délégation municipale rentre à Brest en toute hâte.

 

Les tambours sont appelés et annoncent, à son de caisse, qu'il est ordonné de tendre immédiatement toutes les maisons des quais de Brest et de Recouvrance, de la Grand' Rue et de la Rampe.

 

La Communauté s'est rassemblée à trois heures de l'après-midi, et quand elle entend, vers cinq heures, le canon des vaisseaux sur rade, annonçant l'approche du duc de Chartres, elle quitte l'hôtel de ville, en robes et toques, précédée des quatre archers et sergents de police, suivie des quatre hérauts.

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Le duc d’Orléans

par Antoine-François Callet.

 

En passant devant Saint-Louis, nos officiers municipaux rencontrent le clergé sortant de l'église et, à sa suite, le dais qui doit abriter le prince.

 

Mais il est porté par quatre orfèvres :

MM. Feburier, Le Stum, Chambart et Tourot, au lieu de l'être, suivant l'usage, par les quatre échevins.

 

C'est que, dans l'église, il y a eu grosse altercation entre municipaux et orfèvres.

Ceux-ci ont déclaré vouloir porter le dais, tout comme leurs confrères de Paris, « étant comme une des principales prérogatives du corps de l'orfèvrerie, de porter le dais ou ciel, sur la personne du Roi. »

 

Les échevins ont cédé, mais la Communauté ne l'entend pas ainsi :

et les orfèvres doivent remettre les coins du dais aux officiers municipaux qui descendent la Grand' Rue, au milieu d'une double haie de la milice en armes.

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Philippe d’Orléans

en grand maître du Grand Orient de France.

 

Les gardes de la marine, le régiment de Guyenne et deux compagnies du corps royal d'artillerie sont rangés devant la cale du bassin de Troulan.

 

Et le, prince est reçu à son débarquement par le recteur de Saint-Louis qui lui présente le dais, mais il refuse cet honneur et se rend directement à l'Intendance, sur la petite place de l'arsenal, en bordure de la Penfeld.

 

Pendant les six jours qu'il passa à Brest, le duc de Chartres visita en détail les établissements du port et de la rade et laissa aux ouvriers des marques de sa générosité, lorsqu'il parcourut les ateliers.

 

Le régiment de Guyenne lui offrit, à la salie de spectacle, un bal et un souper.

 

Un autre jour, ce fut la marine, et à l'issue de cette soirée, il y eut fête sur le Champ de Bataille, illuminé,

« où l'on avait dressé des estrades, les unes pour ménétriers et joueurs de biniou ;

les autres, chargées de vins et de viandes pour le peuple. »

 

« Le prince, prenant des dames par la main, les conduisit sur la place d'armés ;

il dansa et fit une partie de barres avec les officiers qui furent touchés de cet honneur. »

 

Après avoir assisté sur rade à un simulacre de combat à la voile entre deux frégates, le duc de Chartres quitta Brest le 11 mai et retourna en canot à Landerneau, où l'attendaient ses voitures.

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Vaisseaux en cours d'armement à l'arsenal de Brest dans les années 1770-1780.

Tableau de Louis-Nicolas Van Blarenberghe (1716-1794)

 

Quelques mois après, en janvier 1773, c'est la réception de la duchesse et du duc de Fitz-James, gouverneur de Bretagne.

 

Ils descendirent à l'hôtel de ville « qui ne possédait qu'un lit de maître et très peu de linge », et la Communauté dut dépenser 465 livres pour location de meubles.

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Charles de Fitz-James

 

Le maire Le Normand, élu le 22 juin 1771, arrivait à l'expiration de son mandat.

La fonction est loin d'être briguée par les membres du corps municipal, car c'est à qui ne lui succédera pas.

 

Le 5 mars 1774, on finit par établir une liste de trois candidats.

Elle comprend :

MM. Raby, ancien maire ; Blad, ancien échevin, et Bermond, conseiller.

 

M. Raby invoque ses soixante-six ans et les services qu'il a rendus dans toutes les charges de la municipalité ;

M. Blad adresse la même requête à l'Intendant qui ordonne la dispense et demande de nouveaux noms à la Communauté.

 

Le 26 avril, on présente trois nouveaux « sujets » :

Bermond, le procureur-syndic Picaud et le conseiller Guesnet.

 

Le premier accepte ;

le second fait valoir que « n'ayant pas de fortune, il ne peut être détourné de l'exercice de sa profession sous peine de ne pouvoir procurer des moyens d'existence à ses dix enfants, dont l'aîné n'a pas encore douze ans. »

 

Le troisième donne les mêmes motifs d'exemption, bien que « les expressions lui manquent » pour remercier ses collègues.

La modicité de son patrimoine lui rend impossibles les dépenses inhérentes aux fonctions de maire.

Et il ajoute :

« Fixez vos regards, Messieurs, sur un citoyen riche ou plus aisé que moi, et recevez avec bonté mon unique et véritable excuse. »

 

La Communauté fut insensible à ces supplications, faisant observer que tous ses membres pourraient présenter la même excuse, et aucune décision n'avait été prise lorsque parvint à Brest la nouvelle que Louis XV était dangereusement malade.

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Louis XV en 1748,

par Maurice Quentin de La Tour

 

Le 29 avril, le roi, pris de fièvre, s'était alité à Versailles, et les médecins annoncèrent d'abord un érésipèle.

Mais quand on sut qu'ils avaient ordonné d'éloigner le Dauphin et la Dauphine, on devina la nature de la maladie.

De la fièvre, des maux de tête, des vomissements, des douleurs d'entrailles dénoncèrent la petite vérole.

 

Pendant quatre jours, une grand' messe fut chantée à l'église Saint-Louis, pour le rétablissement de la santé du roi.

L'état-major de la place, le corps de la marine, la municipalité, les juges du siège royal et de l'Amirauté la firent célébrer tour à tour.

 

Mais les prières ne furent pas exaucées.

Louis XV mourait le 10 mai, après une douloureuse agonie.

​

 

La Communauté n'a plus qu'à manifester des signes extérieurs de tristesse.

Elle demande à l'Intendant quelle conduite elle doit tenir en cette circonstance, mais en attendant les instructions, elle décide, le 20 mai, que, « pour témoigner publiquement les justes regrets que lui cause la perte du feu roi Louis XV le Bien-Aimé », elle prendra le grand deuil jusqu'au 24 juin.

 

Ce grand deuil comporte :

Habit, veste, culotte et bas de laine noire, crêpe au chapeau, chemise dégarnie, souliers de drap et boucles noires, grandes pleureuses sur les manches d’habits.

 

De son côté, le siège de police ordonne le même jour à tous habitants de l'un et l'autre sexe, de se vêtir le plus promptement possible, savoir :

« Hommes en habit, veste et culotte de drap noir, et tout le reste de l’habillement dans le plus grand deuil possible, jusques et y compris le 24 juin prochain.

« Et pour les femmes, il est ordonné qu’elles seront vêtues de même deuil jusqu’à la dite époque, tel qu’elles ont coutume de le porter pour leur défunt père.

 

« Ce grand deuil sera suivi d’un petit deuil, sous peine de dix livres d’amende aux réfractaires.

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Louis XVI en costume de sacre

huile sur toile de Joseph-Siffred Duplessis (1777)

 

La municipalité n'eut pas à faire de nouvelles manifestations de regrets, Louis  XVI en ayant dispensé les villes, tout en souhaitant que le tiers ou le quart de la dépense qu'on aurait pu faire pour !a célébration d'un service funèbre, fut appliqué au soulagement des pauvres.

 

La cérémonie projetée aurait coûté 1.200 livres et la ville décida d'affecter le quart de cette somme à l'achat de 600 pains « très blancs » qui furent distribués aux pauvres le 8 juillet, en présence de toute la Communauté et

« avec recommandation de prier pour l'âme du feu Roi. »

 

(À suivre.)

 

Ollivier LODEL.

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