top of page


1929

L'histoire de Brest
par
Ollivier Lodel

31 sur 41

1777 - 1779

 

 

Source : la Dépêche de Brest 17 juin 1929

 

La vie maritime est intense à Brest, en 1777.

Un grand nombre de vaisseaux sont en chantier et dix mille ouvriers travaillent dans l'arsenal.

 

Le spectacle inaccoutumé qu'offrent les mouvements du port attire dans notre ville des visiteurs de marque :

Le vicomte de Talleyrand, le maréchal de Broglie, le baron de Viomenil, le comte d'Aranda, le duc d'Ayen...

 

« Je crois que nous aurons tout Paris, écrit de Brest au ministre le lieutenant-général Du Chaffault.

Ceux qui sont venus jusqu'à présent sont dans l'admiration de la puissance du roi, et l'empereur surtout, qui nous a témoigné des regrets de ne pouvoir fonder une pareille marine. »

 

C'est de l'empereur Joseph II qu'il est question dans cette lettre.

Le frère de Marie-Antoinette, qui voyageait en France sous le nom de comte de Falkenstein, arriva à Brest le 6 juin.

 

Venu pour s'instruire, il ne s'était point fait rendre d'honneurs et était descendu chez le traiteur Aimé, dans la Grande-Rue.

 

Dès le lendemain, il commença avec le commandant de la marine d'Orvilliers la visite de l'arsenal et du port.

 

À son tour, le chef d'escadre Du Chaffault le conduisit en rade, à bord du Robuste, que commandait La Motte-Picquet et le fit assister à un simulacre de combat.

​

Le maréchal Victor-François de Broglie.

Huile sur toile anonyme

Château de Versailles

 

La tension des rapports entre la France et l'Angleterre était telle, en cette année 1777, que la simple sortie d'une escadre du port de Brest, même pour une croisière pacifique, aurait presque équivalu à une déclaration de guerre.

 

Sous prétexte de surveiller les corsaires américains, les Anglais rôdaient tout autour des côtes bretonnes, et le chef d'escadre Du Chaffault, dans un jour d'énervement, écrivait au ministre (13 juin 1777) :

 

« L'insolence de cette nation met nos esprits en rumeur.

Je ne connais pas d'autre moyen de les humilier que de les bien battre et les faire respecter le pavillon du roi mon maître.

 

« Vous m'avez promis, monseigneur, que je serais le premier à brûler de la poudre.

Permettez que je vous somme de votre parole.

Il est bien dur d'être huit mois dans une rade, sans espoir d'en sortir. »

 

Le signal des hostilités fut donné par les Anglais, sans déclaration de guerre.

​

Combat de la Belle Poule et de l’Arethusa

 

Le 17 juin 1778, la frégate la Belle-Poule, 26 canons de 12 et 4 de 6, commandant La Clocheterie, croisait avec trois petits bâtiments dans les eaux de la Manche, quand apparaît l'escadre anglaise de l'amiral Keppel, forte de 20 vaisseaux.

 

La Clocheterie songe à se replier vers Ouessant, mais les Anglais gagnent sur lui, et à six heures du soir le capitaine Marshall, de l’Arethusa, frégate de 28 canons, est à quelques mètres de la Belle-Poule.

 

La Clocheterie est sommé de se ranger à la poupe du navire amiral anglais qui se trouve à quatre lieues.

Il refuse et l’Arethusa envoie sa bordée.

 

La Belle-Poule riposte et jusqu'à minuit s'engage un combat acharné de bord à bord.

 

L'enseigne de vaisseau de Capellis tire 550 coups de canon, pointé par le matelot Richard, assisté d'un mousse de dix ans.

Un soldat, ancien garde-chasse, à qui ses camarades passaient des fusils tout chargés, tue vingt-neuf Anglais en vingt-neuf coups, mais est renversé lui-même au moment où il ajustait le trentième.

 

Le duel se termina par la fuite de l’Arethusa, très endommagée.

La Belle-Poule, restée maîtresse du champ de bataille, alla se réfugier au milieu des roches de Plouescat, mais ses pertes étaient cruelles :

La Clocheterie blessé, le commandant en second, lieutenant de vaisseau Gréan de Saint-Marsault, tué ; sur deux cents hommes d'équipage, une quarantaine de morts et près de soixante blessés.

 

Quatre jours après, toute désemparée, mais triomphante, la vaillante frégate rentrait à Brest et dès que la nouvelle de ce combat fut arrivée à Paris, elle provoqua partout une joie patriotique.

 

La mode s'empare du nom de la Belle-Poule, pour orner les têtes des élégantes d'une mâture avec ses voiles et ses agrès.

 

La Clocheterie est le héros du jour.

Le combat du 17 juin est le baptême de la marine du nouveau règne.

​

 

Le 10 juillet 1778, Louis XVI déclarait les hostilités engagées avec l'Angleterre, mais la flotte de Brest était déjà sortie à la rencontre de l'ennemi.

 

C'était une des plus belles forces que la France ait jamais possédées sur mer.

 

Le 8 juillet, trente-deux vaisseaux portant 2.270 canons, huit frégates, cinq corvettes et un lougre franchissaient le goulet, sous le commandement suprême du lieutenant général d'Orvilliers, âgé de 68 ans.

 

En avant-garde, l'escadre blanche et bleue, 11 vaisseaux et 758 canons, aux ordres de Du Chaffault, le plus vieux des chefs français, 70 ans, mais « le sang lui bout dans les veines » et il a obtenu du ministre Sartine, d'être « le premier à brûler de la poudre contre les Anglais. »

 

Corps de bataille, l'escadre blanche, 10 vaisseaux et 752 canons, avec d'Orvilliers sur la Bretagne.

 

En arrière-garde, l'escadre bleue, 11 vaisseaux et 760 canons, sous les ordres du duc de Chartres, assisté du capitaine de vaisseau La Motte-Picquet, à bord du Saint-Esprit.

​

Louis Guillouet, comte d'Orvilliers

« avec ses insignes d’amiral, essentiellement les galons d’or,

le grand galon étant doublé sur les manches et montrant du doigt la flotte anglaise qui fuit »

 

Dans l'après-midi du 23 juillet, l'armée navale d'Orvilliers aperçoit, entre Ouessant et les Sorlingues, les voiles d'une grande flotte.

Ce sont les trente vaisseaux de ligne, six frégates et deux brûlots de l'amiral Keppel, qui sont sortis de Portsmouth le 9 juillet.

 

Pendant quatre jours, les deux flottes s'observent.

Deux de nos bâtiments d'avant-garde, le Duc de Bourgogne et l’Alexandre, s'égarent dans la nuit du 23 au 24 et le jour de la rencontre, 27 juillet, d'Orvilliers ne peut mettre en ligne que vingt-sept vaisseaux portant 1.934 canons, soit 354 de moins que l'escadre de Keppel.

 

Le 27 au matin, le vent étant à l'ouest, d'Orvilliers fait le signal de branle-bas et de ralliement dans l'ordre de bataille, pour se porter sur les Anglais qui sont à environ deux lieues et demie au nord-est.

 

Après des évolutions multiples de part et d'autre, Keppel, vers onze heures, attaque notre arrière-garde.

 

C'est alors que d'Orvilliers fait revirer « toute son armée ensemble, en ordre de bataille renversé » et donne l'ordre à l'escadre duc de Chartres, devenue avant-garde, de virer de bord pour envelopper l'arrière-garde ennemie.

 

Mais le signal fut mal compris et l'inexécution du mouvement « priva ainsi le pavillon français du grand éclat de cette journée qui n'en restait pas moins honorable pour la nation. » (Rapport de d'Orvilliers).

 

Keppel, endommagé, refusa un nouveau combat et profita de l'obscurité de la nuit pour se dérober.

Il avait 1.196 hommes hors de combat, dont 407 morts.

Chez nous, 163 morts et 517 blessés.

 

Du Chaffault, qui, du pont de la Couronne, avait vaillamment dirigé l'escadre blanche et bleue, avait eu l'épaule fracassée par un éclat de mitraille et Marie-Antoinette, en apprenant la blessure de ce vénérable vieillard, eut un mot charmant :

« Le pauvre M. Du Chaffault, que je le plains !

Je voudrais être oiseau pour aller lui servir de garde. »

 

(A suivre).

 

Ollivier LODEL.

​

bottom of page