1929
L'histoire de Brest
par
Ollivier Lodel
32 sur 41
1777 - 1779
Source : la Dépêche de Brest 1 juillet 1929
Le combat d'Ouessant n'avait guère été qu'une canonnade de trois à quatre heures, avec des évolutions imparfaites de part et d'autre, mais cette journée du 27 juillet 1778 avait eu un effet moral extraordinaire.
Les Anglais étaient humiliés de n'avoir pas été vainqueurs ;
les Français, fiers, enthousiasmés d'avoir si bien résisté.
Et après le traité d'alliance avec l'Espagne (avril 1779), les deux gouvernements pensent à frapper un grand coup : descendre en Angleterre.
Quarante-mille hommes réunis à Saint-Malo et au Havre, sous le commandement du maréchal de Vaux, prendront la mer sur des bâtiments de transport et débarqueront près de Portsmouth ou à l'île de Wight, dès que l'escadre franco-espagnole aura nettoyé la Manche des escadres anglaises.
Louis René Madeleine de Latouche-Tréville
Le 3 juin 1779, trente-sept vaisseaux appareillaient de Brest sous les ordres de d'Orvilliers, son pavillon sur la Bretagne, de 110 canons.
Ils allaient rejoindre à la Corogne la flotte espagnole, commandée par don Luis de Cordoba, vieillard de 75 ans.
Le 10 juin, d'Orvilliers est au point de rendez-vous, mais il lui faut attendre la jonction jusqu'au 26 juillet.
Enfin, la flotte alliée, nouvelle Armada, lève l'ancre le 29 et cingle vers le nord.
Au centre, l'armée d'Orvilliers en trois escadres (27 vaisseaux français, 18 espagnols) .
À gauche, l'escadre d'observation Cordoba (18 espagnols).
À droite, l'escadre légère Latouche-Tréville (3 français, 2 espagnols).
Soit en tout, 66 vaisseaux de ligne, 30 français et 36 espagnols.
Cette flotte gigantesque arrive le 16 août devant Plymouth.
La terreur des Anglais est alors à son comble, mais ils ignorent que depuis un mois, nos équipages sont décimés par le scorbut.
Le nombre des malades est au moins égal à celui des hommes valides.
Les vents et l'épidémie vont bientôt se charger de délivrer l'Angleterre de ses alarmes.
Les gros temps ont contraint d'Orvilliers à lever le mouillage de Plymouth.
Le 20 août, il croise à seize lieues dans le sud-ouest du cap Lizard et, vu l'état de la mer, « c'est par bouteilles fermées, filées sur des bouées », qu'il fait parvenir au ministre des dépêches désespérées :
« De nouveaux équipages, des vivres, du matériel ! »
Le 3 septembre, il reçoit, comme réponse, l'ordre de rallier Brest.
C'en est fini du projet de descente en Angleterre.
La prise d'un vaisseau de guerre, d'une vingtaine de bâtiments de commerce, la panique chez les Anglais, tels étaient les résultats de cette triste croisière.
L'imprévoyance du pouvoir qui n'avait pris aucune mesure pour ravitailler la flotte, le manque de précision dans les plans d'attaque et aussi, les vents et la maladie contre lesquels d'Orvilliers eut à lutter, firent avorter cette campagne sur laquelle la nation avait fondé les plus grandes espérances.
Don Luis de Cordoba
Le 14 septembre, tous les vaisseaux de l'armée combinée arrivaient sur rade, mais avec plus de dix mille malades.
On les entasse à l'hospice civil, « au préjudice des indigents qui ne peuvent plus trouver place dans cet asile » et dans l'ancien séminaire de la rue de la Mairie, où l'on élève, dans le jardin, quatre grandes baraques en bois.
La municipalité proteste, quand elle apprend cette installation d'un hôpital en pleine ville, car elle redoute une épidémie comme celle qui a dévasté Brest en 1757.
Trois baraquements sont établis sur l'emplacement de l'hôpital de la marine, incendié en 1776 (hôpital maritime actuel).
Il faut évacuer les convalescents.
On les envoie au couvent des Ursulines de Landerneau et à Pontanézen, où des salles couvertes en chaume sont élevées à la hâte, près des fermes, sur des terrains que la marine acquit l'année suivante et où furent construits les bâtiments actuels qui servirent successivement d'hôpital, de logement des chaînes de forçats, avant leur entrée au bagne, et de caserne.
« Chaque jour, et pendant longtemps, rapporte Mautort dans ses « Mémoires », les habitants de Brest virent passer les voitures couvertes qui portaient les morts en terre ».
Le 1er janvier 1780, il y avait encore, dans les hôpitaux, 1060 Français et 662 Espagnols de l'armée d'Orvilliers.
Charles-Louis, vicomte Du Couëdic de Kergoualec
Quelques jours après son retour à Brest, le 20 septembre, M. d'Orvilliers dut faire célébrer, sur l'ordre du roi, un Te Deum à l'église Saint-Louis, non certes pour sa malheureuse campagne, mais pour les succès de d'Estaing à la Grenade.
Le lendemain, il obtenait d'être relevé de son commandement et en faisait la remise à M. du Chaffault.
Jusqu'à la fin de la guerre d'Amérique, de puissantes escadres sortiront de Brest, mais pour aller à Gibraltar, aux États-Unis, aux Antilles, dans l'Hindoustan.
On ne songe plus à conquérir la route de Londres.
Sur nos côtes, quelques duels entre vaisseaux isolés.
L'un d'eux est demeuré célèbre.
C'est celui, à hauteur d'Ouessant, le 6 octobre 1779> entre la frégate la Surveillante, capitaine Du Couédic et la frégate anglaise le Québec, capitaine George Farmer.
Le breton du Couédic de Kergoaler était né au château de Kerguélen, près Quimperlé et avait 39 ans.
Depuis l'âge de 16 ans, il servait dans la marine.
Ancien compagnon de Kerguélen dans son voyage aux terres australes, il venait de se distinguer avec la Surveillante, à la bataille d'Ouessant.
Donc, ce 6 octobre, Surveillante et Québec, envoyés en reconnaissance, se rencontrent près d'Ouessant.
Les forces sont comme égales :
La frégate française trente-deux canons, l'anglaise trente-six, toutes deux montées par des marins d'élite.
De dix heures et demie du matin jusqu'à quatre heures du soir, ce fut un duel d'artillerie à bout portant et un corps à corps d'une violence inouïe.
Après une heure trente de combat, les trois mâts de la Surveillante s'écroulent, puis la mâture du Québec s'abat sur celle-ci, en écrasant dans sa chute le commandant Farmer.
Du Couédic, bien qu'atteint de trois graves blessures, s'en sert alors comme d'un pont pour monter à l'abordage.
Il est au premier rang des assaillants, entre ses deux jeunes neveux.
La tradition veut que ses officiers, en jabots de dentelles, chaussés de bas de soie et d'escarpins à boucles, la petite épée de gala au poing, se soient ainsi élancés sur l'ennemi.
Le Québec prend feu ;
bientôt il n'est plus qu'une fournaise, puis il saute.
C'est alors que Du Couédic, lui-même blessé à mort, cédant à un sentiment d'humanité, recueille à son bord les marins anglais et en sauve quarante-trois.
Le lendemain, toute désemparée, la Surveillante faisait route sur Brest, remorquée par cent canots français et espagnols, avec trente tués et quatre-vingt-cinq blessés.
Cette rentrée était à la fois une marche triomphale et un convoi funèbre.
« Pour l'empêcher de couler bas, lorsqu'elle fut mouillée, écrit Mautort, on fut obligé de l'entourer d'une ceinture de futailles vides.
Ce fut dans cet état que j'allai voir la Surveillante.
Tout y faisait horreur.
Le pont était encore couvert du sang des morts et des blessés.
Elle était si criblée de coups de canon, que deux sabords n'en faisaient qu'un ».
Du Couëdic qui avait été promu capitaine de vaisseau, mourut trois mois plus tard, le 7 janvier 1780, des suites de ses blessures.
Son corps fut inhumé derrière le maître, autel de l'église Saint-Louis et le roi, pour perpétuer la mémoire de ce brave officier, fit élever sur sa tombe un mausolée de marbre noir, avec cette inscription :
« Jeunes élèves de la marine, admirez, imitez l'exemple du brave capitaine de vaisseau Du Couédic, premier lieutenant des Gardes de la Marine ! »
Ollivier LODEL.
(À suivre.)