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1929

L'histoire de Brest
par
Ollivier Lodel

33 sur 41

1780 - 1783

 

 

Source : la Dépêche de Brest 8 juillet 1929

 

Le triennat du maire, M. Le Guen de Neugel, est expiré et — fait unique dans les annales de la municipalité brestoise du XVIII siècle — on demande au gouverneur de Bretagne, le duc de Penthièvre, qu'il ne soit pas procédé à l'élection d'un nouveau maire.

 

Communauté et corps électoral sont d'accord pour rappeler à la première magistrature de la ville, M. Le Normand, qui a déjà exercé les fonctions de maire de 1776 à 1778, « car elle ne peut donner au public un chef plus conforme à ses vœux ».

 

Le gouverneur appuya la délibération municipale et M. Le Normand fut installé, pour la troisième fois, maire de Brest, le 1er juin 1780.

 

L'année suivante, sous l'impression de !a juste gratitude de la ville, la communauté demandait au roi, pour M. Le Normand, des lettres de noblesse.

 

Cet insigne honneur — qui ne fut accordé à nul autre maire — M. Le Normand l'obtint par lettres patentes de janvier 1783, dans lesquelles

« Louis, par la grâce de Dieu, roy de France et de Navarre, fait connaître :

 

« Il est de notre justice de donner des preuves authentiques de notre protection et de notre satisfaction, à ceux de nos sujets qui, par leur fidélité, leur zèle et leur attachement, s'en sont rendus dignes.

 

« De ce nombre est notre cher et bien aimé le sieur Jean-Jacques Le Normand, maire de la ville de Brest.

 

« Nous sommes informé qu'il a toujours tenu la conduite la plus estimable dans les différentes occasions qui se sont présentées et que c'est principalement à ses soins que la ville de Brest a dû le maintien du bon ordre, au milieu des embarras et des difficultés que les circonstances de la guerre y ont multipliés, et où il s'agissait de concilier à la fois les militaires de terre et de mer et les habitants...

 

« À ces causes et par ces présentes, anoblissons ledit sieur Jean-Jacques Le Normand et, du titre de noble et d'écuyer, l'avons décoré et décorons... lui permettons, ses enfants, postérité et descendants, de porter des armoiries timbrées, telles qu'elles seront réglées et blasonnées par le sieur d'Hozier, juge d'armes de France... »

 

Dans son élan de générosité, la communauté veut offrir une épée d'honneur à l'ancien maire, M. Le Guen de Neugel, « en reconnaissance des soins qu'il a donnés aux affaires de la ville », mais l'intendant n'approuve pas cette délibération, « qui pourrait tirer à conséquence vis-à-vis de tous les autres échevins », il accorde seulement une gratification de 1.200 livres.

 

L'éclairage de la ville, réclamé par la marine et la guerre, « pour le maintien d'une bonne police », fut l'un des premiers actes de l'administration Le Normand.

 

Depuis plusieurs années, « les réverbères, en dépôt à l'hôtel de ville, attendaient le moment heureux où les finances permettraient aux officiers municipaux de les faire valoir à l'utilité publique ».

 

Le 21 octobre 1780, le sieur Tourtille-Sangrain, « illuminateur de Paris », assiste à la réunion de la communauté.

 

C'est un entrepreneur hardi qui, dans beaucoup de villes, a transformé le mode d'éclairage.

Aux lanternes et aux chandelles, il a substitué des réverbères à deux et trois becs, dont l'huile ne coûte pas plus que les antiques chandelles et donne beaucoup plus de lumière.

 

La municipalité brestoise accepte, en principe, avec Sangrain, le marché qu'il vient de conclure avec la ville de Rennes.

 

Mais c'est une dépense de plus de 10.000 livres qui ne peut être compensée que par une augmentation d'octrois :

(4 livres par barrique de vin, 2 livres par barrique de cidre ou de bière, 2 sols par pot d'eau-de-vie, le tout payable à l'entrée).

 

L'intendant vérifie les comptes de la communauté.

Il constate qu'elle aura 12.000 à 13.000 livres d'excédent au bout de l'année et lui fait savoir qu'il estima cette somme suffisante pour assurer l'éclairage.

 

La municipalité résiste, mais il lui faut céder, et l'on décide de commencer le service le 1er octobre 1782.

À partir de ce moment, Brest est éclairé par 125 réverbères, Recouvrance par 65 ;

la dépense est d'environ 12.000 livres par an.

 

En 1780, la ville doit plus de 36.000 livres ;

ses revenus ne suffisent pas à couvrir les dépenses et travaux de première nécessité.

 

Elle vient de payer 8.700 livres pour les réparations de l'église Saint-Louis.

Aussi se refuse-t-elle, en 1781, à venir en aide à la fabrique, qui voudrait faire construire un perron et établir un jeu d'orgues.

 

Les marguilliers présentent cependant une nouvelle requête et la communauté, qui persiste à refuser les orgues, finit par accorder son concours pour la construction du perron, à condition que les officiers municipaux vérifieront l'emploi des subsides.

 

Le perron sera construit en 1786-1788, mais la municipalité, aussi obstinée à défendre ses deniers que sont les marguilliers à les solliciter, refusera encore, en 1788 et 1789, de contribuer à l'achat des orgues,

« qui ne sont que du luxe », ainsi que d'une balustrade, d'une horloge et d'autres ornements pour Saint-Sauveur.

Allégorie de la naissance du Dauphin, le 22 octobre 1781

1783 - École de Ménageot,

François Guillaume

 

M. Le Normand, qui s'appliquait à « proportionner la dépense à la recette, ce qui, disait-il, est le premier devoir d'une bonne administration », ne craignait point de puiser largement dans la caisse municipale, lorsqu'un événement heureux se produisait dans la famille royale et qu'il s'agissait de s'associer à la joie du monarque.

 

C'est ainsi que, le 28 octobre 1781, la communauté apprend « avec extrême satisfaction la nouvelle de l'heureux accouchement de la reine, qui vient de donner au royaume un dauphin si désiré, et c'est avec les transports de la plus grande allégresse qu'elle accepte l'invitation de la marine d'assister, le lendemain, au Te Deum qui sera chanté à bord du Dauphin Royal ».

 

Les fêtes qui doivent célébrer la naissance du dauphin ont été fixées par le roi lui-même :

Te Deum dans les églises, auquel assisteront les officiers municipaux et de justice ;

feux de joie, salves de mousqueterie et d'artillerie.

 

Mais la ville veut faire mieux.

Elle veut « manifester solennellement sa joie, dans cette précieuse circonstance, par les marques les plus éclatantes de son amour et de sa fidélité inviolable pour la personne sacrée de Sa Majesté et pour l'auguste famille royale ».

 

Le dimanche 11 novembre, un Te Deum est chanté à l'église Saint-Louis.

Il y a feu de joie sur la place et « M. le maire a été prié de faire son possible pour avoir la meilleure symphonie ».

 

La milice, rassemblée, a tiré trois salves de mousqueterie et, pendant toute la journée, les musiciens ont fait danser le peuple sur les places Saint-Louis et du Château.

 

Le soir, l'hôtel de ville est brillamment illuminé de lampions dont les feux tracent :

« Vivent le roi, la reine et Mgr le dauphin ! »

 

Et, pour laisser des traces de la joie dont elle est pénétrée, la municipalité a décidé de doter six filles pauvres et vertueuses (trois de Brest et trois de Recouvrance) de chacune 600 livres et de célébrer leurs noces aux frais de la ville.

 

Mais l'intendant met son veto à cette délibération, en conseillant au maire de ne pas sortir d'une sage économie.

Les Frères de la Doctrine Chrétienne.

Wattier, Émile Charles

Musée Carnavalet, Histoire de Paris

 

En 1781, la communauté se trouve obligée d'accueillir favorablement la requête des cinq frères de la Doctrine chrétienne qui enseignent à Brest et Recouvrance et ne peuvent plus vivre avec leur pension annuelle de 200 livres.

 

Elle veut porter leur traitement à 500 livres.

Nouveau refus de l'intendant, sous prétexte « que la science de l'écriture que l'on apprend dans ces écoles ne sert qu'à détourner les élèves, de la marine et du métier de leur père, ce qu'il faut éviter dans un port tel que Brest ».

 

Les frères obtiendront cependant, par lettres patentes de janvier 1783, un salaire annuel de 400 livres, et la ville les exonère de tous droits d'octroi sur le vin, le cidre et la bière servant à leur consommation.

 

Aux deux frères de Recouvrance, qui habitent Brest, est attribuée une indemnité journalière de six sols, pour frais de passage, car ils ont menacé d'abandonner leur école, « étant quatre fois par jour dans l'obligation de franchir la Penfeld, exposés à tous les désagréments imaginables et à périr, ce qui rebute absolument les sujets ».

 

L'augmentation (le traitement demandée par les frères est justifiée par la cherté des vivres, très appréciable depuis la guerre d'Amérique.

 

De 1777 à 1783, la livre de bœuf est passée de 5 à 7 sols ;

la livre de lard, de 9 à 10 sols 6 deniers ;

la livre de beurre, de 9 à 13 sols.

 

Quant au pain, la livre est montée de 2 à 3 sols.

Il y a disette, le blé manque presque totalement dans la région.

Le pain atteint un prix inabordable pour les pauvres gens.

 

La communauté s'émeut et prend d'énergiques mesures pour provoquer la baisse.

Elle emprunte 16.000 quintaux de froment au magasin des vivres de la marine et les jette sur le marché aux prix de 15 et 16 livres le boisseau de 120 livres.

 

Le pain baisse, mais pendant quelques mois seulement.

Pour éviter une nouvelle hausse, le procureur-syndic Guesnet fait venir de Paimpol des bateaux de blé.

On le vendra aux habitants, « pour les soulager », et on remboursera en argent ce qu'on doit à la marine.

 

Les deux frères Léonard, l'un boulanger et l'autre garde-magasin des vivres, ont été chargés de la vente des grains.

 

C'est une catastrophe.

Les blés se sont-ils avariés ?

Y a-t-il eu malversation ?

À la reddition des comptes, la municipalité constate « avec douleur » un déficit de 72.880 livres.

 

Elle veut rendre les Léonard responsables, quand elle finit par transiger avec eux pour la somme de 56.000 livres, due à la marine, et qui sera remboursée en six annuités.

 

Mais les Léonard ont de puissantes relations, entre autres celle des Bergevin, qui, nous l'avons vu, occupent tous les sièges de la magistrature brestoise.

 

Ils refusent de tenir leurs engagements et la municipalité devra, en 1789, exproprier leur maison de la rue des Malchaussés (rue Kléber), pour recouvrer la somme de 24.000 livres sur les 56.000 qu'il lui faudra verser à la marine.

 

Le prix du pain avait baissé, mais il en avait coûté à la communauté un lourd sacrifice pécuniaire.

 

(À suivre.)

 

Ollivier LODEL

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