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1929

L'histoire de Brest
par
Ollivier Lodel

36 sur 41

1783 - 1787

 

 

Source : la Dépêche de Brest 14 octobre 1929

 

L'élection à la mairie du successeur de M. Le Normand donna lieu à de vives et nombreuses protestations.

 

Les deux candidats agréés par le gouverneur de la province étaient :

MM. Guesnet, avocat, procureur-syndic de la Communauté, et François Raby, marchand de drap dans la Grand' Rue, ancien conseiller.

 

L'assemblée générale des électeurs, fixée au 14 juin 1783, fut particulièrement tumultueuse.

 

Dès l'ouverture de la séance, présidée par le sénéchal Bergevin du Lescoat, les juges royaux se posent en défenseurs du public contre la municipalité et se servent des arguments que reprendront les corporations en 1789 :

 

« Pourquoi la municipalité a-t-elle choisi elle-même dans son sein les candidats à présenter à la mairie, alors que l'assemblée des électeurs aurait fort bien pu en choisir d'autres qui, pris dans le public, pourraient être plus compétents que les membres du corps municipal ? »

 

À cette remontrance, le procureur syndic, M. Gillart, répond très justement que la municipalité, en présentant les candidats, n'a fait que suivre un usage constant.

 

« D'ailleurs, ajoute-t-il, depuis plusieurs années, les juges royaux ne paraissent à l'assemblée générale que pour former des protestations. »

 

À ce moment, le lieutenant du roi Moynier, commandant la place, prend parti pour la municipalité, qui l'a invité à occuper le siège du président et, au milieu d'un tumulte scandaleux, lance aux juges :

« Votre arrivée à Brest a été funeste pour la ville. »

 

Puis, se rétractant :

« Dans la chaleur de la contestation pour le droit de préséance, je ne me suis adressé qu'à M. le sénéchal, n'ayant jamais entendu injurier, ni offenser messieurs les juges. »

 

Les juges, alors, « pénétrés du plus profond respect pour M. le commandant », lui proposent le fauteuil présidentiel

« à titre d'honnêteté seulement et non à titre de droit »,

 

Mais M. Moynier, « réclamant un droit, décline les honnêtetés des juges » et refuse la présidence de l'assemblée.

 

Enfin, on passe au vote.

M. Raby est élu par 34 voix contre 33 attribuées à M. Guesnet.

 

Cette mémorable séance devait avoir de lointaines répercussions.

 

Ce sont les juges royaux qui appellent le commandant Moynier devant le Parlement, pour « se voir débouter de la préséance par lui prétendue aux assemblées générales. »

 

Le Parlement condamne le commandant, mais le roi évoque l'affaire en son Conseil.

 

C'est le procureur-syndic Guesnet qui demande qu'une fois pour toutes, le Conseil d'État « fixe positivement les droits de ceux qui ont qualité de voter... et la manière dont il doit être procédé au scrutin. »

 

La Communauté est de cet avis et engage une action contre les juges qui, depuis plusieurs années, cherchent à usurper les privilèges municipaux.

 

Cette affaire traîne et ne sera réglée qu'en 1790, avec l'abolition de la Communauté et la reconstitution de toutes les municipalités de France.

Huile sur toile de Louis-Nicolas Van Blarenberghe

 

L'installation de M. Raby (29 juin 1783) se ressentit de la mésintelligence causée par les tumultueux débats de l'élection.

 

Les juges n'allèrent pas prendre le nouveau maire à son domicile.

Les membres de la Communauté s'y rendirent seuls et l'accompagnèrent à l'église Saint-Louis, escortés de la milice bourgeoise et de quatre jeunes enfants de notables, porteurs de la triple cage qui renfermait les oiseaux symboliques.

 

Arrivé au portail de l'église, M. Raby s'agenouilla sur un prie-Dieu, jura sur l'Évangile de « garder et conserver les droits et intérêts de l'Église et de la religion catholique, des veuves et des orphelins. »

 

Le recteur lui offrit l'eau bénite et, clergé en tête, le cortège entra dans le sanctuaire au chant du Veni Creator.

Après la messe et en quittant l'église, les officiers municipaux trouvèrent les juges qui les attendaient.

 

Le maire mit le talon dans le trou de la pierre ronde, à l'entrée de l'édifice, « censée le centre de la ville », puis prêta serment entre les mains du sénéchal.

 

Et, précédé de la cage, magnifiquement ornée, le cortège se rend, tambours battant, au Château.

Suivant l'usage, M. Raby doit attester au commandant de la place que tous les bourgeois de Brest sont de fidèles sujets attachés au service du roi.

 

Mais le commandant déclare « qu'il tardera à recevoir la foi et l'hommage, jusqu'à ce que des ordres formels lui soient transmis à ce sujet. »

 

Le nouveau maire accomplit alors un acte d'autorité, unique dans les annales brestoises, et qui témoigne à quel point germaient déjà les idées d'indépendance.

 

II ne demande pas au lieutenant du Roi la liberté pour les oiseaux prisonniers.

Lui-même ouvre la cage aux trois captifs et, avec l'agrément des juges, prononce la mise en liberté des prisonniers, détenus pour simples faits de police.

La publication du traité de paix de Versailles, le 25 novembre 1783

 

Quelques mois après l'installation de M. Raby, Brest apprenait avec joie la conclusion du traité de paix avec l'Angleterre (3 septembre 1783).

 

La Communauté se réunit aussitôt et, dans son allégresse, décide que la publication de cette heureuse nouvelle

« sera faite à chaque carrefour, au son des instruments de musique, des tambours et des trompettes, en présence des officiers municipaux, tous en robe et à cheval. »

 

C'était bien là une innovation.

Mais le procureur-syndic, M. Guesnet, se lève et présenta cette juste observation :

 

« Votre programme ne peut être exécuté sans un appareil décent et convenable à la dignité du corps de ville.

Et celui-ci, Messieurs, ne doit se montrer en public que d'une manière pompeuse, conforme à la circonstance.

Or, cela ne peut se faire qu'à grands frais, à moins de s'exposer à un ridicule général, l'hôtel de ville n'ayant rien qui puisse servir à la décoration de semblables marches. »

 

La municipalité se rangea aux sages avis de son procureur et la publication de la paix ne fut proclamée que par le tambour-major, assisté des deux archers.

Le lendemain, un Te Deum fut chanté à l'église Saint-Louis et, le soir, il y eut illumination de l'hôtel de ville, feu de joie et danses sur la place Saint-Louis.

 

« Qui n'a point vécu avant la Révolution, a dit Talleyrand, n'a pas connu le bonheur de vivre. »

 

(À suivre.)

 

Ollivier LODEL.

 

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