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1930

L'histoire de Brest
par
Ollivier Lodel

41 sur 41

1787 - 1789

 

 

Source : la Dépêche de Brest 10 février 1930

 

La Marine désirait s'installer dans le château de Brest.

Si la citadelle, en effet, objet de tant de convoitises, avait autrefois soutenu de nombreux sièges, ses fortifications n'étaient plus maintenant jugées utiles à la défense.

 

Et sur son emplacement, ainsi que sur l'esplanade, à « Parc-ar-Meazou » (*), la Marine voulait édifier des magasins d'approvisionnement pour suppléer à ceux de l'arsenal dont on avait constaté l'insuffisance lors de l'armement des vaisseaux, pendant la guerre d'Amérique.

(*) « Parc-ar-Meazou » était un terrain vague sur lequel a été établie la place du Château.

 

N'avait-on pas été obligé de louer, à cette époque, et à grands frais, des magasins dans les environs de la ville, et même jusqu'à Landerneau et Morlaix ?

 

Le projet de cession datait de 1785 et le ministre de la Guerre, M.Ségur, n’y était pas hostile, mais sous certaines réserves :

 

Il est certain, écrit-il à M. Duvignau, directeur des fortifications, que le Roy, voulant entretenir sa marine sur un pied formidable, il devient plus nécessaire que jamais de former à Brest des magasins et arsenaux, à la proximité des vaisseaux.

 

Mais il n'en est pas moins indispensable d'entretenir à Brest, en paix comme en guerre, une garnison proportionnée à l'étendue de cette place.

 

L'intérieur du château contient des casernes pour 1.500 hommes, une grande salle d’armes construite en 1780, des hangars neufs pour les effets de l'artillerie, un bâtiment contenant 'es munitions.

 

Il n'est pas possible que le département de la guerre se prive du château et de ses dépendances, à moins que le département de la marine ne lui ait fait remplacer et reconstruire sur quelque autre terrain convenable, tous les bâtiments actuellement existants.

 

L'enquête de M. Duvignau avait été favorable au projet, aux conditions suivantes :

 

La Guerre cédera l'ancien minaire des Jésuites, où on logera quatre bataillons.

 

Le magasin à poudre « qui, depuis plusieurs siècles, fait courir grand danger au port et à la ville », pourra être facilement transféré dans un bastion du Bouguen.

 

La chapelle militaire (*) sera remplacée par celle de l'ancien séminaire.

(*) Ancienne église du Château, restaurée en 1742 par Frézier et démolie en 1819.

Elle se trouvait derrière la caserne Plougastel, sur l’emplacement actuel des cuisines.

 

Quant aux prisons du Château, « cédées à la Justice qui n'en a point d'autres », elles devront être construites par le Domaine.

 

M. Duvignau regrette toutefois que la cession de l'esplanade privera la Guerre d'un terrain d'exercices et que seul le Champ de Bataille pourra recevoir une partie de la garnison, en cas d'alarme ou d'incendie.

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Le Maréchal de Ségur, 1789,

par Élisabeth Vigée Le Brun,

musée national du château de Versailles.

 

Les années passèrent.

La Marine ne put jamais céder ni construire de bâtiments pour remplacer ceux qu'elle voulait occuper au Château.

 

Elle n'obtint, en 1788, que la petite esplanade du Parc-au-Duc, faisant partie, à l'ouest et au nord, des ouvrages extérieurs de la citadelle.

 

C'est là qu'elle fit édifier un sémaphore, en 1828, et que se trouvait la « Pointe aux blagueurs », célèbre dans les annales de notre cité.

 

Flâneurs et vieux marins venaient là, chaque jour, devant le grandiose panorama de la rade, apprécier et critiquer les mouvements des navires et les manœuvres à bord ;

discuter le nom et la provenance d'une voile qui se montrait, dans le goulet, à l'horizon.

 

Mères, femmes et fiancées venaient là guetter l'arrivée d'un navire, impatiemment attendu des mers lointaines.

Bien des cœurs ont autrefois battu sur la « Pointe aux blagueurs ».

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En même temps qu'elle cherchait à augmenter ses possessions territoriales, la Marine sollicitait l'établissement d'un port marchand, uniquement affecté au commerce de la ville et distinct du port militaire.

 

Ce port marchand, on le sait, se trouvait à l'embouchure de la Penfeld, sur les deux rives de Brest et Recouvrance, et Vauban, dès 1683, puis l'intendant Desclouzeaux, en 1697, proposaient d'établir à Porstrein, sous le Château, un port d'abri qui aurait eu pour clôture une ceinture de vieux vaisseaux, « et où les bateaux marchands pourront se retirer, après qu'ils auront fait leur décharge dans le port ».

 

Aucune suite ne fut donnée à ce projet et, cependant, chaque fois que les circonstances provoquaient une grande activité commerciale ou militaire, l'idée était reprise.

 

C'est ainsi qu'en 1778, lors de la guerre d'Amérique, on compte sur rade jusqu'à 81 vaisseaux de haut-bord et 60 frégates.

L'encombrement des quais de la Penfeld fait l'objet des plus vives doléances et la question du port marchand est de nouveau mise à l'étude.

 

Les ingénieurs de la marine dressent des plans.

M. Blondeau place le port de commerce dans l'anse de Laninon.

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Quelques travaux furent accomplis durant cette période, de 1787 à 1789.

 

Le comte d'Hector, commandant la marine, fait construire, de sa propre initiative, « et sans la participation des ingénieurs des bâtiments civils », le mur de la caserne Fautras, longeant la rue de la Mairie.

 

Il n'a reçu aucun fonds des bureaux de la Cour, mais Tire-Poil (sobriquet donné à Hector) trouve les pierres dans les excavations que l'on pratique dans la montagne Keravel ;

le sable, dans la cour d'une maison du quartier Lannouron, et la main-d’œuvre parmi les forçats du bagne.

 

Et voilà que la damé veuve Picard, propriétaire de la maison de Lannouron, porte plainte au ministre, contre cette façon de procéder et exige le remboursement — qu'elle obtiendra d'ailleurs — de 2.400 livres, pour les 84 toises de sable qui lui ont été enlevées.

 

C'est pour l'intendant de Beaupréau un blâme sévère du ministre « qui n'a pu voir sans le plus grand étonnement qu'un ouvrage ait été exécuté sans ordre et sans qu'il en ait été rendu compte ».

 

« Ce travail est utile et intéressant pour la sûreté de l'arsenal, et j'étais tellement subjugué par son autorité » (du comte d’Hector), répondit M. de Beaupréau.

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Portrait du comte d'Hector

 

L'intendant de la Marine quitte, en 1787, la vieille Intendance qui, depuis 120 ans, s'étageait sur le bord de la Penfeld, au bas de la Grand'Rue.

 

Il vient habiter le bel immeuble (Intendance actuelle), construit en 1690 pour M. de Béthune et que la Marine avait acheté, en 1751, au chef d'escadre d'Aché de Serquigny.

L'ingénieur Trouille l'augmente d'une aile et d'une chapelle.

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Un sérieux conflit éclate, en 1788, entre la ville et la marine, au sujet d'une pigoulière en maçonnerie que celle-ci « juge utile de construire, pour prévenir les accidents du feu dont l'usage des pigoulières flottantes pouvait menacer le port du Roi ».

 

Cette pigoulière, l'intendant veut l'établir sur le quai de Recouvrance, près de la porte du parc aux vivres.

C'est un terrain qui appartient à la ville et où accostent les bateaux de passage.

 

Et le maire de Brest, M. Le Guen, ne manque pas de déclarer que « les intérêts de la ville lui sont aussi chers que peuvent être à M. l'Intendant ceux de la Marine ».

 

« Mais installer à cet endroit des fourneaux destinés à mettre en liquéfaction les brai, goudron, résine et soufre qui entrent dans la carène des navires, c'est provoquer l'incendie des bâtiments voisins, sans compter l'incommodité, pour les habitants, des exhalaisons et de la fumée malfaisantes qui sortent de ces fourneaux. »

 

La municipalité rejette la demande de l'Intendant, ce qui n'empêche pas la Marine de faire commencer les travaux en mai 1788.

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L’anse Saupin

 

Depuis plusieurs années, l’anse du fond de la Penfeld, achetée à M. Saupin, ne suffisait plus à contenir les approvisionnements de mâtures, pouvant faire face aux besoins de trente ans.

 

Un millier de mâts restaient à immerger et on choisit l'anse Kerhuon qui offrait pour la conservation des bois un excellent mélange d'eaux douces et salées.

Elle fut vendue à la Marine par M. de Kerléan, en octobre 1787.

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La grande superficie que présente l'anse, la profondeur d'eau considérable que l'on pouvait y obtenir en faisant des dragages faciles, firent naître, vers 1850, dans l'esprit de quelques personnalités brestoises, l'idée de transformer cette anse en un vaste bassin à flot, et de créer à Kerhuon un port de commerce.

 

Le promoteur de cette idée, pour laquelle il lutta des années, fut M. Leroy de Keraniou, capitaine au long-cours.

Dans sa pensée, le port de Porstrein ne pouvait être qu'une annexe du port de guerre et un auxiliaire de celui de Kerhuon, où il voyait la bifurcation des voies ferrées continentales et des grandes lignes de la navigation transatlantique

 

Dans sa conviction, la rade de Brest était appelée à contenir tout à la fois et le premier port de guerre de l'Europe et le premier entrepôt de commerce intercontinental.

Mais il fallait séparer l'élément militaire de l'élément commercial, « deux forces vives qui se développeraient merveilleusement à portée de canon l'une de l'autre, tandis que, trop rapprochées, elles se nuiraient réciproquement ».

 

OLLIVIER LODEL.

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