top of page


1943

L'aviation,
une invention bretonne

par Augustin Chaboseau

 

 

La Dépêche de Brest 14 avril 1943

 

Il y a quelques mois, dans un article publié par « La Bretagne », j'indiquais les principaux documents qui établissent que l'imprimerie a été inventée par un Breton, un Redonnais, et, généralisant un peu, je faisais allusion à d'autres créations ou innovations qui sont dues authentiquement à des gens d'ici quoiqu'on les attribue à des non-armoricains.

J'avais été amené ainsi à mentionner l'aviation.

​

Augustin Chaboseau

 

Cette mention, et d'ailleurs l'article entier, m'ont valu des lettres de protestation, dont quelques-unes sont spirituelles d'intention.

J'outrepassais, m'écrivait-on, les bornes habituelles du chauvinisme breton.

Et d'abord, pour justifier, ou tout au moins prétexter un tel excès de zèle, étais-je même breton ?

J'aurais pu répondre en produisant, pour la nationalité armoricaine de mes ascendants, des preuves dont certaines remontent au début du XIIIe siècle.

Mais ces questions personnelles sont peu intéressantes auprès de ce qui concerne le nommé Le Bris.

 

C'était un marin de Douarnenez, et, à ses moments perdus, il se préoccupait, et s'occupait, de construire un véhicule grâce auquel il put circuler dans l'air.

 

Rencontre merveilleuse, il aboutit à quelque chose qui ressemblait de très près à plusieurs des projets dressés par Léonard de Vinci.

​

Jean Marie Le Bris

 

On sait que celui-ci, probablement le plus éminent des hommes qui aient jamais existé, avait du génie dans toutes les sciences autant que dans tous les arts, et a laissé des manuscrits, naturellement illustrés par l'auteur, et si importants par la quantité comme par la qualité, que leur publication, avec traduction, exigea trente années dans la vie de mon regretté ami Charles Ravaisson-Mollien — fils, entre parenthèses, d'un professeur à la Faculté des Lettres de Rennes.

Trente années d'un labeur à peu près exclusif et pour lequel il avait fallu consulter des savants de toutes les spécialités.

​

 

Or, Le Bris était mort depuis pas mal d'années lorsque parut le premier tome du Vinci, édité par Charles Ravaisson-Mollien.

 

En tout cas, voici en quoi consistait l'appareil de notre Douarneniste, tel qu'on le voit sur un cliché pris par Pépin fils, photographe à Brest, 56, rue de Siam, et tel qu'il est décrit par La Landelle en son volume intitulé « Dans les Airs » :

 

« Il y avait un corps en forme de sabot, long d'un peu plus de quatre mètres, sur un mètre en sa plus grande largeur.

Il pesait en tout quarante-deux kilos, dont cinq pour les ferrures et quatre pour les forts leviers servant à la manœuvre des ailes.

Celles-ci, fixées sur des nervures en bois flexible, avaient chacune sept mètres de long, soit en tout, avec la largeur de la nacelle, une envergure de quinze mètres.

Un petit mât incliné, placé à l'avant du sabot-nacelle et représentant le cou de l'oiseau, était muni d'un pouliage et d'un système de cordelettes correspondant aux ailes et leviers, en sorte que, sans grands efforts, Le Bris pouvait varier l'inclinaison de ses vastes plans d'environ vingt mètres carrés. »

 

Et varier l'orientation de la queue, véritable gouvernail.

Les flancs de la nacelle, les ailes, la queue, tout était d'une forte soie.

​

 

L'expérience définitive eut lieu, en présence, évidemment, d'une foule, sur la grève de Tréfeuntec, en Plonévez-Porzay, à cinq kilomètres au nord-est de l'agglomération Douarnenez-Ploaré.

 

L'appareil était posé sur une voiture à un cheval, qui fut mis au trot, puis au galop.

Alors l'oiseau artificiel se comporta comme un cerf-volant, tendit à tout enlever avant que Le Bris eût eu le temps de dénouer ou couper la corde qui reliait la nacelle aux montants de la charrette.

La dite corde arracha ceux-ci, fouetta de droite et de gauche, tourbillonna, s'enroula autour du cocher, et l'enleva sous l'appareil jusqu'à une altitude de cent mètres environ.

​

 

Le Bris eut pitié de ses cris et manœuvra pour l'atterrissage, qui se produisit rapidement, facilement, et sans grand dommage :

L'armature d'une aile fut faussée vers son extrémité et ce fut tout.

Cela se passait en 1856.

Les premiers essais de Louis Mouillard datent de 1865, ceux d'Alphonse Pénaud de 1872, ceux d'Otto Lilienthal de 1889, et ainsi de suite.

​

 

Lorsque, le 14 octobre 1897, à Satory, Clément Ader installa la première fois un moteur sur l'avion, il y avait quarante et un ans que Le Bris avait trouvé les caractéristiques essentielles de celui-ci et réussi les premiers vols planés avec toutes les orientations possibles.

Mais tout le monde l'ignorait, ou feignait de l'ignorer, dans les milieux scientifiques officiels et dans la presse.

 

Parce que Le Bris n'était qu'un Breton, au lieu qu'Ader était de Muret, près de Toulouse, et que, si l'on remue un doigt ou cligne un œil en ces parages-là, l'univers en est immédiatement informé, et que, si l'on risque sa peau en des expériences prodigieuses du côté de Douarnenez, cela ne compte pas.

​

bottom of page