1899
Les suites d'une partie fine
Source : La Dépêche de Brest 20 juillet 1899
La rue de la Mairie a été, il y a deux ou trois jours, le théâtre d'une petite comédie à grand orchestre.
Inutile d'ajouter que la pièce se déroulait la nuit, entre onze heures et minuit, ce qui fait qu'elle est passée presque inaperçue, sauf pour quelques privilégiés, et nous sommes de ce nombre.
Voici, du reste, les faits :
Une demi mondaine, assez en vogue dans notre ville, et qui tient sa maison sur un certain pied, avait projeté, avec un de ses nombreux amis, une partie de plaisir à Portsall.
Au jour choisi, la belle témoigna à son galant le désir qu'elle avait de faire participer sa famille à la petite fête.
— Mais comment donc ! répondit aussitôt celui-ci.
Plus il y a de fous, et plus on rit.
De combien de personnes se compose ta famille ?
— J'ai trois sœurs, puis un grand frère, et un plus jeune, et enfin une cousine, qui m'est chère.
— Tout cela fait bien du monde, répartit l'ami, mais qu'importe !
Allons y !
Dès la veille, toute la famille de la belle en question arriva.
On se casa comme on put, tant bien que mal, avec la gaie perspective d'une charmante promenade.
Le matin, à la première heure, la joyeuse bande se mettait en route.
Chacun portait un panier de provisions, c'est dire que celles-ci étaient des plus abondantes.
Rien n'avait été oublié, et la cave surtout était choisie.
De nombreuses bouteilles de vieux bourgogne et de Champagne avaient été apportées.
La journée se passa très agréablement, mais, le soir, lorsqu'on rentra à Brest, les têtes étaient passablement surchauffées, d'autant que la chaleur avait été assez vive.
En un mot, tous nos fêtards avaient un fort coup de soleil.
Ils n'en continuèrent par moins leur promenade en ville, dans différents établissements, tant et si bien que, vers minuit, la joie était complète ;
c'était même du délire, et chacun s'embrassait à qui mieux mieux.
Mais voilà où les choses se gâtèrent.
Comme tout a une fin, il fallut bien songer à rentrer.
Malheureusement, le principal locataire de la maison, qui sous-loue les appartements à la demi-mondaine, est, paraît-il, un monsieur grincheux.
Tenant un débit au rez-de-chaussée, il n'est peut-être pas suffisamment satisfait de la clientèle de sa locataire.
Toujours est-il qu'il ne perd jamais l'occasion de lui être désagréable, et il ne se passe pas de jour sans qu'il lui joue quelque tour à sa façon.
Ce soir-là, la porte était fermée, et toute la bande gesticulant, pérorant, frappait à tours de bras sur la devanture du débit, pour qu'on lui ouvrît.
Le grincheux sortit, quelques instants après, en costume de nuit, un bougeoir à la main, et parlementa tout d'abord.
À la fin, il se dérida à donner libre accès à sa locataire, accompagnée de son ami et de toute sa sainte famille.
Une véritable bataille s'engagea alors ;
des coups furent échangés de part et d'autre, les robes déchirées, et un nombre incalculable de bouteilles de liqueurs brisées dans le débit.
Le principal locataire n'en pouvait mais, lorsque plusieurs agents, qui passaient, vinrent juste à point pour rétablir l'ordre.
Le lendemain, la demi-mondaine, toute honteuse, se présenta d'elle-même au poste de police, offrant de tout payer.
L'affaire n'aura donc pas de suite, et, paraît-il, le principal locataire se montre plus affable.
Tout est bien qui finit bien.