1908
Une affaire à éclaircir
à l'école de la rue de Siam
Source : La Dépêche de Brest 8 juillet 1908
Les journaux de la région parlaient, hier, à mots couverts, d'une grave affaire qui aurait eu pour théâtre l'école publique de la rue de Siam, dirigée par l'honorable M. Bergot, et qui mettrait en cause l'un de ses adjoints, M. Corentin Le Meur.
De son côté, l'agence Fournier, de Paris, publiait l'information suivante, émanant de son correspondant brestois :
Un professeur frappe son élève
BREST, 6 juillet.
— M. Le Meur, professeur à l'école Bergot, a frappé violemment à la tête le jeune Jean, âgé de sept ans.
On l'a ramené mourant au domicile de ses parents.
Le docteur Landouaré a délivré un certificat constatant la violence des coups-reçus.
(Fournier).
Désirant apporter la plus grande lumière dans un débat qui intéresse autant les familles que l'école elle-même, nous avons ouvert une enquête, dont nous livrons à nos lecteurs les premiers éléments, leur laissant le soin d’apprécier.
Voici les faits :
L'un des élèves de cette école, Jean Fis, sept ans, affirme que son maître, M. Corentin Le Meur, instituteur adjoint, lui aurait donné trois coups de bâton sur la tête, au-dessus de l'oreille, violences qui ont occasionné une congestion cérébrale.
Nous avons tenu à interroger les parents de l’élève ;
puis M. Le Meur, instituteur ;
ensuite, M. Bergot, directeur de l'école ;
et, enfin, M. Chambord, inspecteur primaire.
C'est chez M. Charles Fis, négociant, demeurant 42, rue Jean Macé, que nous nous sommes présenté tout d'abord.
Les parents, en larmes, étaient au chevet de leur fils, abattu par une forte fièvre.
Le père nous a déclaré que son fils, le petit Jean, avait quitté son domicile, samedi matin, très bien portant, pour se rendre à l'école de M. Bergot, rue de Siam.
— À midi, nous dit-il, il rentra se plaignant de violents maux de tête.
« Interrogé sur la cause de ses souffrances, il nous répondit qu'il avait été frappé par son maître, M. Le Meur, de trois coups, de bâton sur la tête.
« Et, comme nous invitions notre enfant à préciser, il nous dit ceci :
« Le maître faisait corriger les dictées des élèves.
Lorsqu'il fut arrivé derrière moi, il m'appela et me demanda :
« Comment écrivez-vous le mot plaisir ? »
« Je répondis : plésir. »
« — Ce n'est pas comme cela que ce mot s'écrit, reprit-il.
Et, ce disant, il me frappa trois fois sur la tête avec un gros bâton. »
Mme Fis, qui sanglote, nous dit alors que son fils a dû s'aliter immédiatement.
Il a une forte fièvre et du délire la nuit.
M. le docteur Landouaré, qui soigne l'enfant, a délivré un certificat, que la pauvre mère nous a montré, mais dont nous ne pouvons publier le texte avant que le parquet soit saisi de l'affaire.
Mme Fis ajoute qu'elle a reçu la visite de M. Le Meur, qui lui a déclaré ne pas se souvenir avoir frappé son élève.
MM. Bergot, directeur de l'école, et Chambord, inspecteur primaire, ont également rendu visite à l'enfant.
L'état du malade ayant empiré, MM. les docteurs Landouaré et Lenoble, appelés en consultation, ont décidé de faire appel, aujourd'hui — si l'état de l'enfant ne s'est pas amélioré — au concours de M. le docteur Civel, qui pratiquerait l'opération nécessaire.
À 1 h. 45, hier après-midi, nous frappions à la porte de la classe de M. Le Meur.
Ce dernier nous rejoint aussitôt dans le couloir.
— J'ai acquis la certitude, aujourd'hui, nous déclare-t-il, que je n'ai pas frappé l'élève Fis.
Puis, se reprenant, M. Corentin Le Meur, déclare qu'il ne veut rien dire et ne parlera que devant ses chefs naturels.
Rencontré, deux heures plus tard, sur le Champ-de-Bataille, M. Le Meur nous affirme, cette fois, n'avoir même pas eu à corriger la dictée de l'enfant malade.
Il a retrouvé la composition de l'élève Fis dans ses papiers, et elle ne porte aucune correction à l'encre rouge.
L'honorable M. Bergot, dont chacun connaît le dévouement à la cause de l'instruction publique, se montre très peiné du bruit que va causer cette affaire.
« Je n'ai jamais reçu de plainte de cette nature contre M. Le Meur, nous dit-il.
Aussi ai-je été très surpris lorsque j'ai reçu la visite de M. et Mme Charles Fis.
« Leur fils est un garçon très doux, très timide, très poli, et je ne m'explique pas comment M. Le Meur se serait laissé aller à exercer sur lui des voies de fait,
« J'ai vu l'enfant.
Il me parait très malade.
Mais a-t-il bien reçu des coups de son maître ?...
M. Chambord, que nous avons pu rejoindre a la Bourse du Commerce, où avaient lieu les examens du brevet supérieur, a été mis au courant, par M. Le Meur lui-même, des faits dont on l'accuse.
— Je ne puis rien vous dire, nous répond M. Chambord.
Ayant appris, hier, les violences que l'on reproche à M. Le Meur, je n'ai pas encore ouvert une enquête ;
mais elle va être faite sans tarder, j'interrogerai moi-même les élèves.
Nous, savons que M. Le Meur réclame, lui aussi, cette enquête, qui sera faite, aujourd'hui, par M. l'inspecteur primaire.
Nous en rendrons compte avec le même désir d'impartialité qui a inspiré nos recherches.
Et nous formulerons deux souhaits :
d'abord que l'enfant se rétablisse pour le plus grand bonheur des parents ;
ensuite, que M. Corentin Le Meur se disculpe complètement pour le bon renom de l'école à laquelle il appartient.
*
**
Source : La Dépêche de Brest 9 juillet 1908