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1908

Kerhuon veut avoir sa maison hantée

 

 

Source : La Dépêche de Brest 29 janvier 1908

 

Il n'est actuellement bruit, à Kerhuon et dans les environs, que des exploits accomplis chaque nuit, par des « esprits » dans un château du voisinage.

 

Après Cherbourg, Kerhuon veut aussi avoir sa maison hantée, et l'on ne peut rencontrer un habitant du pays sans qu'il vous conte, avec un grand luxe de détails, que des Korrigans, vêtus de blanc, dansent, chaque nuit, dans le beau parc qui s'étend sur la rive gauche de l'anse, au pied du viaduc.

 

Un jeune berger affirme même en avoir vu un monter, dimanche soir, au sommet d'une des tourelles du castel, où, pendant plusieurs heures, il aurait agité une torche flamboyante.

 

On dit encore qu'une sonnerie perpétuelle résonne dans les appartements déserts du château, que la cloche du donjon est fréquemment mise en branle, et que des accords de piano accompagnent les cris et les chants des trépassés.

 

Mais que ne dit-on pas ?

 

Les échos de ces faits surnaturels étant arrivés à Brest, nous nous sommes rendus, hier, à Kerhuon, où nous avons ouvert une enquête, dans le but de trouver une explication plausible.

 

La première personne que nous rencontrons, près de l'hôtel de Belle-Vue, est une jeune fille ;

la main posée au-dessus des yeux, en abat-jour, elle cherche à percer des yeux le rideau de brume qui s'étend devant l'habitation hantée.

 

Nous l'interrogeons.

Avec émoi, elle nous confirme les racontars qui courent le pays.

 

— Les avez-vous vus, ces revenants ?

— Oh! Non, monsieur, mais le concierge du château pourra vous renseigner.

 

Quelques minutes plus tard, n'ayant pu obtenir de renseignements précis aux abords de la gare, nous interviewons une cultivatrice.

La fermière est aussi au courant de la légende ;

elle n'a pas vu les formes blanches dont on ne parle qu'avec terreur à la veillée, mais elle est persuadée qu'il s'agit de trépassés venant réclamer des prières devant les délivrer des flammes du purgatoire.

 

Enfin, un cantonnier nous indique le chemin qui mène à la propriété de M. Bonnamy.

Là, peut-être, pourrons-nous trouver la clef du mystère.

 

Après avoir suivi la route de grande communication de Guipavas, on bifurque au pont de pierres, et l'on suit une superbe allée, plantée d'arbres séculaires.

 

À l'extrémité de cette allée, dans laquelle nous ne rencontrons âme qui vive, le château s'élève sur la droite, au milieu d'un parc descendant en pente douce vers la mer.

 

Une grille imposante, dont les trois portes sont cadenassées, empêche de pénétrer dans la cour du domaine, clos par de hauts murs.

 

Nous cherchons en vain une issue de ce côté ;

mais, 25 mètres plus loin, nous trouvons la maison du jardinier de M. Bonnamy, M. Le Lann.

 

Ce dernier, qui est occupé dans une serre, accourt à notre rencontre ;

il s'informe du but de notre visite et ne peut s'empêcher de rire aux larmes quand nous le lui apprenons.

 

— Mais il n'y a jamais eu de revenants au château, s'écrie-t-il ;

j'habite la maison que vous voyez et n'ai jamais vu danser de rondes infernales dans le parc.

Ce sont de mauvais plaisants qui ont colporté ces bruits.

 

— On affirme, cependant, qu'un timbre électrique résonne constamment, même dans la journée, et que cette sonnerie se fait particulièrement entendre dans la cuisine.

— C'est exact ;

tenez, écoutez, vous allez l'entendre vous-même.

 

Nous nous approchons du perron et entendons, en effet, un joyeux carillon.

 

Avant même que notre interlocuteur nous eut fait connaître la cause de ce phénomène, nous l'avions deviné, le fait se produisant fréquemment partout où sont installées des sonneries électriques :

Exposée aux intempéries, la gaine isolante entourant les fils s'était désagrégée, et les deux bouts de laiton s'étant, rejoints, le courant, ainsi rétabli, faisait résonner le timbre.

 

— Voilà le mystère, s'écria M. Le Lann.

Vous voyez qu'il n'y a pas là motif à apeurer toute une  population.

 

— Mais pourquoi ne faites-vous pas cesser ce carillon?

— D'abord, parce qu'il ne me gêne nullement, et ensuite parce que je n'ai pas les clefs du château, qui reste toujours fermé pendant l'absence de M. Bonnamy.

 

— Et l'auteur de ces racontars, le connaissez-vous?

— Non, mais je crois bien que ce sont des enfants, venant jouer parfois dans le bois voisin, qui auront raconté le fait à l'école ; colporté de bouche en bouche, ce bruit a bientôt pris de l'importance, chacun se plaisant à l'amplifier.

Et voilà comment il est arrivé jusqu'à vous.

 

Nous avons remercié M. Le Lann de ses explications et avons repris le chemin de Kerhuon, où nous avons rassuré les personnes croyant encore à la légende qui veut que les morts reviennent parfois sur terre quémander des messes et des prières pour le repos de leur âme.

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