top of page


1928
Loups et chiens-loups
par Charles Léger

 

Loups 00.jpg

 

Source : La Dépêche de Brest 17 septembre 1928

 

« J'aime garder mes moutons » chantait autrefois Marcel Legay (*) ;

c'est aujourd'hui l'avis de tous les possesseurs de troupeaux qui, avec la minutie de geôlière, les enferment à double tour.

 

Pourtant, depuis la venue des beaux jours, béliers et brebis gambadaient librement.

Au soleil, sur la montagne ou la falaise, ils tentaient d'apaiser un insatiable appétit ;

puis, étroitement serrés sous les étoiles, ruminaient paisibles et heureux.

 

Dans notre région, les troupeaux croissaient en nombre et en importance.

Jouissant déjà d'une renommée universelle pour son élevage chevalin et bovin, le Finistère s'apprêtait à donner de nouvelles preuves de sa science et de son activité en sélectionnant les meilleurs produits de la race ovine, quand se produisirent les faits que nous exposions l'autre jour.

 

Comme jadis les loups, des chiens se précipitaient sur les troupeaux et y faisaient de nombreuses victimes.

Cinquante-cinq moutons furent égorgés en trois semaines dans les monts d'Arrée.

Là cependant n'allaient pas se borner les méfaits de ces bêtes, qui semblaient chaque jour redoubler d'audace.

​

Hanvec 02.jpg

 

Durant la première quinzaine d'août elles avaient ensanglanté les bruyères à Saint-Cadou, à Saint-Éloy, à Hanvec.

Tout d'abord, elles s'attaquèrent aux troupeaux laissés libres et sans défense dans les pâturages.

Puis, sous les yeux même des bergers, elles vinrent donner la chasse à leurs victimes, qu'elles n'abandonnaient qu'en présence des plus énergiques interventions.

 

Quand les chiens vinrent pour la dernière fois à Litiez, où ils avaient tué seize moutons en six jours, ils donnèrent assaut à la porte d'une crèche derrière laquelle se blottissaient tremblants les rescapés des précédentes agressions.

 

Puis on pensa qu'ils avaient quitté la région.

Après ces séries d'égorgements quotidiens, qui causaient l'émoi que l'on devine, on n'entendit plus parler d'eux.

 

L'inquiétude disparaissait déjà, quand on apprit vers la fin d'août qu'au village de Kergaer, en Hanvec, M. Kerboul venait de trouver trois de ses moutons égorgés.

Puis un de ses voisins, M. Morio, en trouva deux dans le même état.

 

La série rouge reprenait.

Les terribles blessures relevées sur les cadavres indiquaient, par leur similitude avec celles faites aux précédentes victimes, qu'elles étaient dues aux mêmes auteurs.

 

En hâte on enferma tous les moutons.

Mais les chiens à présent accoutumés à se gorger de sang redevenaient les fauves que furent leurs ancêtres.

De quoi n'étaient-ils pas capables pour assouvir leurs désirs meurtriers ?

 

C'est ce que se demandèrent avec la plus vive inquiétude M. Saliou, de Pennahoat, et ses voisins quand ils constatèrent que les chiens, après avoir enfoncé la porte de la bergerie, avaient encore égorgé quatre moutons.

 

Aidé des gendarmes du Faou et de Daoulas, on se mit en chasse.

On découvrit bien un vigoureux chien-loup errant dans la montagne et inconnu dans la contrée, mais on ne put l'atteindre,

​

Hanvec 01.jpg

 

Le chien-loup ou berger allemand, qui depuis la guerre a envahi tous nos chenils, est communément désigné par la plupart des éleveurs comme étant l'auteur des récentes hécatombes.

 

Il y a bien certes la déclaration de Mme Le Meur, de Litiez, affirmant que les deux chiens qu'elle surprit au début d'août près d'une brebis expirante étaient un épagneul breton et une chienne griffon.

Mais outre que cette affirmation se heurte à bien des scepticismes, il est de nombreux propriétaires de moutons qui eurent à se débarrasser de chiens-loups égorgeurs.

 

N'est-ce pas à Sizun que l'un de ces chiens dut être abattu par un boucher, car les jours de foire il se complaisait à saigner les veaux qui, pattes ligotées, attendaient acquéreur !

 

Des faits de ce genre pourraient être recueillis dans diverses régions et cités en grand nombre.

Quoi qu'il en soit, M. le maire de Hanvec vient de prendre un arrêté qu'il se propose de faire exécuter strictement, et qui enjoint de tenir tous les chiens à l'attache pendant un mois.

Exception est évidemment faite pour ceux qui, après l'ouverture, seront en action de chasse en compagnie de leur maître.

​

Ploumoguer 01.jpg

 

Mais ce n'est pas uniquement dans les monts d'Arrée qu'on eut à déplorée l'égorgement de moutons par des chiens.

Dans la région de Ploumoguer, où les troupeaux sont nombreux, où leur importance ne cesse de croître, où cet élevage réussit admirablement et prend les plus heureuses proportions, il n'est plus possible aujourd'hui de laisser libres sur les pâturages béliers et brebis.

 

Des chiens-loups ont passé par là et ont jonché le sol de victimes.

 

Ç'avait été d'abord, en août également, sur les dunes des Blancs-Sablons, où paissaient les moutons de M. Gouérec.

Un berger allemand se précipita au milieu d'eux et en un instant fit deux victimes.

 

Combien en aurait-il fait si le propriétaire n'était énergiquement intervenu et n'avait chassé la bête à coups de bâton ?

 

Puis, ce fut à Clohars, où M. Abgrall possédait un troupeau riche de deux cents têtes.

Cet élevage l'intéressait beaucoup et il se proposait de le développer largement quand le chien-loup survint.

 

Trois moutons furent tués ;

six avaient reçu de si graves blessures qu'il fallut les achever ;

huit, enfin, avaient les oreilles et une partie du cou arrachées.

 

Il fallut refouler le troupeau vers la bergerie, où l'on se voyait contraint de le tenir enfermé désormais.

 

Au cours de la soirée suivante, M, Abgrall trouvait rôdant autour de sa maison un chien-loup aux allures inquiétantes.

Il rentra prendre son fusil et lorsqu'il reparut armé l'animal prit la fuite.

 

Mais il n'en allait pas moins poursuivre la série de ses sanglants exploits.

Deux kilomètres plus loin, dans le pâturage de M. Calvarin, au Neder, il se précipitait sur un autre troupeau, tuait cinq moutons, en blessait mortellement cinq et mettait à mal dix-sept autres

​

Blancs sablons 01.jpg

 

Ainsi dans cette région encore, du fait de chiens dont les actes de férocité ne cessent de se multiplier, les éleveurs se voient contraints de limiter leurs entreprises et de condamner leurs troupeaux à une réclusion qui ne peut qu’être préjudiciable.

Allons-nous les voir acculés à cette situation que dénonçait Cambry quand, en 1794 il visitait les monts d'Arrée :

 

« On trouve quelques moutons dans ces contrées ;

ils s'y multiplieront à l’infini : jamais terrain ne fut plus propre à leur entretien ;

mais il faudrait les surveiller.

Les masses de rochers, leurs antres, des cavernes, offrent aux loups des retraites tranquilles ;

ils fondent de là sur les troupeaux, les déchirent, et détruisent le bénéfice que raisonnablement le berger pourroit se promettre. »

 

Les faits récents que nous avons relates permettent de constater que les chiens dont il s'agit se comportent aussi mal que les loups.

Faudra-il les traiter comme tels ?

Des mesures s'imposent, les éleveurs les réclament, les attendent, les souhaitent prochaines ; seront-ils déçus ?

​

legay1.jpg

(*) Mes moutons

Auteur : Charles QUINEL

Compositeur : Marcel LEGAY

Editeur : C. Joubert, 1892

 

Je suis le voyageur qui passe

Sans s’arrêter sur le chemin

Ayant pour horizon l’espace

Et l’inconnu pour lendemain

Berger veux-tu voir la grand’ ville

Les bois, les forêts, les cantons

Veux-tu quitter ton joug servile

J’aime mieux garder mes moutons.

 

Si tu conserves la mémoire

Et les exploits des paladins

Pâtre viens-tu chercher la gloire

Que chantent les gais baladins

Qui sait si par un clair de lune

Un soir courbés sur nos bâtons

Nous ne verrons pas la fortune

J’aime mieux garder mes moutons.

 

Pasteur sur ce mont solitaire

L’amour n’a jamais dû passer

Cherche avec moi sur cette terre

Celle qui rêve à ton baiser

En suivant sa loi souveraine

Loin des piètres Jeannetons

Tu plairas peut-être à la reine

J’aime mieux garder mes moutons.

 

Soldat au loin le clairon sonne

L’air de fumée est obscurci

Qui va manquer au feu... personne

L’orage éclate le voici

Ces appels ne te tentent guère

Prends ton vieux fusil et partons

Passant je te suis à la guerre

Les chiens garderont mes moutons.

​

Moutons Bretagne 02.jpg
bottom of page