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1936

Le mystère de Saint-Germain

 

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Source : La Dépêche de Brest 24 juin 1936

 

Il se passe actuellement, depuis plusieurs mois, à Saint-Germain, le coquet village perché sur un coteau et caché dans un nid de verdure, des faits extraordinaires, si extraordinaires même que, lorsque nous les avons appris par téléphone, nous avons cru à une fumisterie ;

mais, après l'insistance de notre correspondant bénévole, nous avons fait le voyage de Plogastel-Saint-Germain et, là, nous avons recueilli tant de témoignages, de comptes rendus d'enquêtes officielles, que nous avons jugé bon de les enregistrer.

 

Voici tout d'abord les faits rapidement exposés :

 

Depuis trois ans — cela peut paraître invraisemblable — mais surtout depuis quelque temps, à 300 mètres environ au sud du hameau de Saint-Germain, à l'intersection de la route de Plogastel à Tréméoc et de celle de Peumerit, près d'une carrière, en plein jour, disons même généralement vers midi, les passantes ou passants isolés voient surgir devant eux, traverser la route ou bien monter sur un talus, soit une femme nue, soit un homme nu, soit les deux personnages ensemble !...

 

Quand c'est un piéton ou un cycliste du sexe dit fort, c'est la femme nue qui apparaît ;

elle est plutôt jeune et, à son costume d'Ève avant la faute, elle n'a ajouté qu'une coiffe bretonne dont les rubans lui tombent sur les épaules.

 

Quand, sur la route, passe une jeune fille, voire même un groupe de jeunes filles, comme nous le dirons plus loin, c'est un homme assez âgé, coiffé d'un chapeau breton à la mode de Pluguffan, qui surgit soudain et semble prendre plaisir à voir ces jeunesses partir affolées.

 

Mais ce n'est pas tout :

de jeunes écoliers des deux sexes ont vu à la fois l’homme et la femme, toujours dans le même costume (?)

 

Avant d'aller plus loin, nous tenons à dire que cette histoire n'est pas inventée par un journaliste en mal de copie ou un rédacteur dont le cerveau a été fatigué par les premières chaleurs.

 

Tout cela est strictement exact !...

 

Tout cela se passe près du hameau coquet et fleuri de Saint-Germain, non loin de Plogastel-Saint-Germain, en plein jour, à midi !...

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L'ENQUÊTE

 

Avant de nous embarquer dans une enquête qui nous semblait encore pleine de fantaisie, nous avons voulu voir les très sympathiques vigilants gendarmes de Plogastel-Saint-Germain.

Ils nous ont répondu :

« Nous sommes au courant de cette affaire, à laquelle nous ne voulions pas croire tout d'abord.

Différentes personnes ont été interrogées :

Toutes ont été affirmatives et nous continuons notre enquête.

L'homme nu, la femme nue, semblent devoir exister.

Qui sont-ils ?

D’où sont-ils ?

Des gens mal intentionnés ? …

Nous espérons le savoir bientôt ;

mais comme les faits durent depuis trois ans,

il ne peut être question d’un phénomène d’autosuggestion collective ! … »

 

Nous sommes absolument de cet avis, étant donné qu’à de longs intervalles, l’homme nu, la femme nue ont été vus par des jeunes filles, des enfants, des femmes mariées, des hommes d’un certain âge, dont d’anciens combattants ayant fait preuve de courage pendant la grande guerre …

 

Pourquoi, comme les femmes, se sont-ils enfuis, au lieu de chercher à saisir la femme nue ?...

Sans doute, du reste, ils ne s’en cachent pas, parce que cette vision, aussi soudaine que fugitive, leur a semblé diabolique !...

 

On est toujours superstitieux dans notre région bretonne !...

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DES TÉMOIGNAGES

 

On nous a signalé ce matin à Plogastel-Saint-Germain, un grand nombre de personnes ayant vu toujours au même endroit, vers midi, les deux « nudistes ».

Nous aurions voulu les questionner toutes ;

malheureusement dans les fermes où nous nous sommes présentés, les unes étaient dans des champs assez lointains, d’autres à la ville, d’autres à une noce, d’autres enfin, — il faut bien le dire — ont refusé de nous répondre par peur des représailles ! …

 

Néanmoins, deux jeunes filles, Mlles A, B…, et B… qui sont des personnes sensées, nous ont déclaré que l’an dernier, revenant de la messe, le jour du pardon, à midi, elles ont vu, accoudé à une barrière, un homme d’un certain âge, complètement nu, mais coiffé d’un chapeau breton, qui, les voyant passer, s’est placé devant elles en leur disant, en breton :

« Sell ta ! » ce qui, paraît-il veut dire :

« Regardez-moi !... »

 

Je m’excuse de ne pouvoir certifier l’orthographe exacte :

J’avoue humblement ne pas connaître le breton !...

 

Cette année, le jour des élections législatives, M. F…, du village de K …, et M. C…, du village de V…, revenaient de Plogastel-Saint-Germain après avoir voté ;

ils n’avaient pas attendu le dépouillement du scrutin, mais par contre, virent une femme nue, qui, toujours au même endroit, traversa la route à quelques mètres devant eux et prononça le « Sell ta !... »

 

M. C…, qui tenait sa bicyclette à la main jusque-là, l’enfourcha et rentra en toute hâte chez lui, à quelques cents mètres, où il raconta l’histoire à sa famille.

Quant à M. F…, il partit rapidement dans une autre direction…

 

Le 19 avril dernier, toujours vers midi, et le jour du pardon, quatre jeunes filles, dont les demoiselles G…, du village de T…, virent à leur tour le même homme nu, qui prononça les mêmes mots :

« Regardez-moi !... » et disparut dans les champs, pendant que les jeunes filles regagnaient Saint-Germain en courant.

 

Ces demoiselles sont, elles aussi, très affirmatives.

 

Nous ne citons ni les noms des personnes que nous avons interrogées, ni le nom de leurs villages, mais si l’enquête que va faire la gendarmerie le permet, nous pourrons préciser.

 

Et des déclarations comme celles que nous venons de relater, nous pourrions en citer 10, 15, 20, car cette affaire n’est pas une plaisanterie.

 

Il est certain qu’à Plogastel-Saint-Germain, à Saint-Germain et dans la région, on ne parle que de ces faits.

On en discute ouvertement aujourd’hui, alors que, depuis des mois, personne n’osait faire allusion aux faits relatés.

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Il a fallu que, ces temps derniers, un instituteur, voyant de jeunes élèves en conciliabule et discutant sous le préau de l'école intrigué par leurs gestes et leur façon de parler à voix basse, les interrogeât et c'est alors que ces gosses lui ont dit :

« Il y a des tours de physique à Saint-Germain !... »

 

Phrase charmante et que l'instituteur répéta par la suite, phrase qui parvint aux oreilles des gendarmes, d'où l'enquête qui nous amené aujourd’hui à Saint-Germain et à Plogastel-Saint-Germain.

 

Quel est ce couple de sadiques qui se montre aux enfants ?

Quelle est cette femme nue qui traverse la route quand elle aperçoit un ou des hommes ?

Quel est ce paysan dévêtu qui effraie les jeunes filles et les femmes ?...

 

Des malades ?

Des gens malfaisants ?

Des fumistes ?...

L'enquête nous l'apprendra peut-être.

 

Ce qui est établi déjà, c'est que tous ceux et toutes celles qui les ont vus déclarent que ce ne sont pas des habitants du pays ou du moins du canton de Plogastel-Saint-Germain ;

on ne les connait pas et pourtant ils opèrent en plein jour, à midi, au même endroit, quand la route est fréquentée, jours de pardons, d’élections, foires, etc… et ne se cache pas la figure, pas plus que reste, d’ailleurs !...

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Source : La Dépêche de Brest 8 décembre 1936

 

Dans le numéro du 24 juin de cette année, nous avons relaté les étranges apparitions qui se sont renouvelées souvent aux environs de Plogastel-Saint-Germain.

 

Nous disions alors :

Fantômes ? Nudistes ? Fumistes ? Sadiques ?

En tête de l'article motivé par cette déclaration de gosses allant à l'école qui, effrayés, avaient dit à leurs parents, à leurs maîtres : « Il y a des tours de physique à Saint-Germain !...»

 

Les faits qui se sont passés à cette époque peuvent se résumer en quelques lignes :

 

Au sud du hameau de Saint-Germain, à 300 mètres de cette agglomération, à l'intersection de la route de Plogastel à Tréméoc et de celle de Peumerit, près d'une carrière, vers midi, le plus souvent le dimanche, les jours de fêtes et de pardons, les passants et passantes voyaient surgir devant eux, traverser la route ou monter sur un talus, soit un homme nu, soit une femme nue.

L'homme quand il apercevait une ou plusieurs femmes, la femme quand arrivait un homme, et parfois les deux personnages nus à la fois quand passaient sur la route un groupe d'enfants.

 

Ces deux êtres étranges disaient aux personnes devant lesquelles ils se présentaient :

« Sell ta » ce qui, parait-il, veut dire :

« Regardez-moi ! ».

Ensuite ils disparaissaient pendant que s'enfuyaient les gens affolés.

 

Ayant eu sur ces faits des renseignements très précis, nous avons fait à l'époque une enquête et la gendarmerie de Plogastel, au courant de l'affaire, se mit en campagne, recueillit des témoignages fort nets de personnes dignes de foi, mais le couple de nudistes ne fut jamais identifié.

 

Depuis, après notre article, on n'entendit plus parler de ces apparitions qui s'étaient répétées pendant trois ans, ce qui peut paraître surprenant, mais il faut faire la part de la peur des représailles, de la peur tout court des personnes qui avaient été surprises par ces rencontres inattendues et ces invitations plutôt étranges, de la peur surtout du ridicule !

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Une nouvelle manifestation

 

Dimanche, vers 12 h. 30, une honorable commerçante de Saint-Germain, revenait de Plogastel-Saint-Germain et regagnait son domicile à bicyclette, quand, près de l'embranchement de la route Plogastel-Saint-Germain et de la route de Quimper-Pouldreuzic, elle vit sur un talus assez élevé un individu qui essaya d’attirer son attention en se penchant vers elle, mais Mme J… ne le regarda pas et continua son chemin jusqu’à Saint-Germain où l’attendait le déjeuner familial.

 

Quelques instants après, une autre femme, Mme Le M…, passant au même endroit, et à bicyclette également, vit un individu sur le talus, il avait baissé ou enlevé sa culotte, relevé sa chemise et prononça les mêmes paroles que les nudistes du mois de juin :

« Sell ta !...  Regardez-moi ! »

 

Cette dame, sans s’arrêter, se rendit chez son beau-frère, lui raconta la chose.

C’est alors que cette invitation « Sell ta !... » rappela les incidents précédents et le beau frère de Mme Le M…, ayant conté la chose à son voisin, M. J…, celui-ci lui dit :

« Ma femme a vu en effet tout à l’heure un homme sur le même talus !... »

 

Les deux amis décidèrent de descendre la côte et d’aller voir quel individu se livrait à ces exhibitions devant leurs épouses…

 

Mais, dans l’intervalle, trois autres personnes, deux jeunes femmes mariées Mmes C… et Le C…, accompagnées d’une jeune fille, Mlle G…., avaient vu le même homme qui leur avait fait le même appel :

« Sell ta !... »

 

Ces trois femmes au lieu de continuer leur route étaient revenues en arrière, et, près d’un débit, appelèrent des jeunes gens qu’elles avaient vu y pénétrer quelques minutes avant.

 

Les hommes mis au courant des incidents se précipitèrent vers le lieu de l’apparition.

L’un d’eux escalada le talus, les autres, bientôt accompagnés de MM. P… et J…, descendus de Saint-Germain, contournèrent le talus, ils ne virent rien !...

Ils trouvèrent, dans les ajoncs, les épines et les landes, des traces de pas, mais ne rencontrèrent aucun homme.

On alla chercher des chiens, on fit une battue, toujours rien !...

Le satyre fantôme avait disparu !...

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Coïncidences

 

L’homme qui apparut aux femmes ce dimanche, répond au signalement donné lors de l’enquête du mois de juin :

35 ans environ, coiffé d’un chapeau breton des environs de Quimper, mais cette fois en raison de la température, à demi-vêtu.

 

Chose étrange, toutes les personnes qui, depuis trois ans, virent le triste personnage, affirment ne pas le connaître.

Cela peut sembler bizarre, surtout en raison des nombreux passants et passantes qui ont été interpellés et on dévisagé l’individu, car tous ces gens connaissent, les uns ou les autres, tout le monde à plusieurs lieues à la ronde !

 

Ne veulent-ils pas donner le nom de l’individu par peur d’une vengeance, comme nous le disions plus haut ?...

C’est possible.

 

Coïncidence aussi :

Mlle G… qui se trouvait dans le troisième groupe l’autre jour, est la sœur d’un jeune homme qui a été cité lors de l’enquête du mois de juin dernier.

 

Ce qui est certain, c’est qu’il ne peut être question d’auto-suggestion et que les personnes qui ont fait de nettes déclarations sont connues, et qu’elles sont de bonne foi.

 

Il convient de dire que cette récente apparition ne s’est pas faite au même endroit que les dernières, mais entre Saint-Germain et Plogastel, près de deux routes, de maisons habitées, de la croix Croas-ar-Nau.

 

Disons que cette croix :

Croas-ar-Nau, plus exactement Croas-ar-Tenou, a été érigée après un massacre de deux mille paysans par Fontenelle qui revenait d’une expédition à Penmarch.

 

Le massacre ayant eu lieu au haut de la côte de Saint-Germain, le sang aurait coulé jusqu’à l’endroit où se trouve à l’heure actuelle la modeste croix de granit.

 

Il est évident que cet endroit est bien choisi pour de troublantes apparitions, mais il ne faut pas oublier que celles dont nous parlons, se sont toujours produites en plein jour, le dimanche, les jours de foires ou de pardons, alors que les routes sont plus fréquentées.

 

Fantômes ? Nudiste ? Fumistes ? Sadiques ? avons-nous dit…

À l’heure actuelle, nous croyons pouvoir déclarer :

« Fumiste, sadique ou plus simplement exhibitionniste !... »

 

Nous devons constater que la population de Plogastel et celle de Saint-Germain sont émues par ce nouvel incident sur lequel la gendarmerie, très sceptique, va ouvrir une nouvelle enquête.

 

Des jeunes gens du pays parlent de s’habiller en femmes, de bien se maquiller et de se promener le dimanche sur la route entre Plogastel et Saint-Germain pour entendre le « Sell ta » du fantôme

 

Ce ne sera pas si bête que ça.

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Source : La Dépêche de Brest 31 décembre 1936

 

Nos lecteurs se rappellent les fameux « tours de physique » du hameau de Saint-Germain qui intriguèrent tant de personnes et qui même donnèrent à plusieurs habitants de ce lieu historique un frisson d'inquiétude lorsqu'ils passaient à l'endroit des apparitions du singulier nudiste baptisé « Sell Ta » en raison des paroles qu'il prononçait.

 

Les « tours de physique » ne sont plus une énigme et la perspicacité de notre chef de brigade Dugué et des gendarmes Guédés, Costiou et Fer a permis de découvrir après une active et intelligente enquête l'auteur de ces exhibitions malsaines.

L'imagination de nos braves campagnards, influencée par les vieilles histoires de sorcellerie, de magie qui hantaient les cerveaux de nos aïeux, voyait dans ces apparitions soudaines et brusquement évanouies une manifestation de l'au-delà.

 

La réalité en est beaucoup plus simple et pour ne point affliger une brave famille que cet événement accable,

nous taisons le nom de cet apôtre — en partie irresponsable — du nudisme intégral par belle saison et partiel lorsque la température devient moins clémente.

 

L'enquête menée depuis un bon moment entrait lundi dernier dans phase décisive.

La déclaration précise de deux personnes permettait de déterminer le maniaque de Saint-Germain.

 

Mardi, le maréchal des logis chef Dugué, accompagné des gendarmes Costiou et Fer obtenait après bien des réticences, les aveux probants d'un cultivateur d'une commune voisine qui devant les déclarations faites se trouvait dans l'obligation de faire connaître qu'il était l'auteur de l'exhibition du 29 novembre dernier à Saint-Germain.

Malgré ses dénégations pour les faits précédents, la certitude était acquise que l’énigme de Saint-Germain était résolue.

 

Trépané de guerre, invalide à 75 %, sa responsabilité est atténuée, c'est pourquoi nous ne soulèverons pas entièrement le voile sur cette pénible affaire dont l'auteur déjà soigné pour troubles mentaux relève davantage de la psychiatrie que de la justice.

 

Quant aux braves habitants de Saint-Germain ils peuvent désormais dormir en toute tranquillité « Sell Ta » reconnu ne s'exhibera plus.

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