1936
Le trésor de Montroulez
Source : La Dépêche de Brest 29 juillet 1936
La bonne ville de Morlaix, depuis un temps assez long, est en émoi !
Pensez donc !
Ses vieux murs renferment un trésor, et quel trésor !
Une masse d'or considérable — disent les augures, qui ne peuvent se rencontrer sans rire, et les radiesthésistes, dont certains ne peuvent opérer que lestés de trois pernods — capable de renflouer le Trésor public, de remplir les caves béantes de la Banque de France et de couvrir Morlaix d'un manteau éblouissant !
L'autre hier, comme les gens doctes et avisés de Morlaix, la tête bien emplie de judicieux conseils, l'air important et mystérieux de « Celui-qui-connait-le-moyen-d'arriver-au-trésor »,
nous nous rendîmes tout à loisir en la bonne rue du Mur pour voir « l'endroit où il se passe quelque chose ».
Dans la vieille voie montueuse, rien d'anormal ne se présente, ni tas d'or fraichement découvert, ni squelettes menaçants nouvellement tirés de leur repos séculaire.
Tel Sherlock Holmes, ne nous décourageant mie devant ce manque de mystère, nous examinons la rue pouce par pouce.
Dans une noire boutique, nous nous aventurons, certain de mettre la main sur les tournois philippus de bel or sonnant, et rencontrons, à l'improviste, un cerbère à la mine plus noire encore que son antre et qui nous fait battre en retraite, avec la majestueuse dignité d'un limier de police pris sur la fausse piste.
Point découragé, nous frappons à la porte plus bas, d'où monte une alléchante odeur.
Un petit couloir nous mène à une salle sympathique... d'autant plus sympathique qu'elle se trouve précisément située au-dessus du fabuleux métal.
Là, point stratégique de première valeur, on entend des coups de pics, des coups de pioches, on sent la trépidation des moteurs qui entraînent les mèches des perforatrices et, de temps à autre, le carrelage aux tons joyeux se soulève gentiment sous la poussée de quelque bonne mine qui vient d'éclater dix mètres cinquante plus bas dans les sous-sols mystérieux.
Puis on boit, pour se remonter, un bon porto, d'origine naturellement, et on perçoit plus clairement le travail de sape qui se poursuit sans défaillance.
Un de nos amis, acharné à la solution du « vray mistère de Morlaix », après l'absorption de huit porto, entendait le ruissellement joyeux et moqueur de l'or et des joyaux précieux.
On parle d'installer, en cette salle quiète, une série d'appareils qui permettront de suivre les travaux, jusqu'ici trop cachés, des travailleurs souterrains.
Amis morlaisiens, flâneurs joyeux, chercheurs obstinés, en ces temps sombres et en cette période de froid caniculaire, faites comme nous ;
allez en pèlerinage à la rue du Mur : un trésor y est caché.
Si vous ne le découvrez pas, vous ne manquerez pas, comme nous, d'y passer deux heures de franche et bonne gaité à l'audition des miracles du « vray mistère » de Montroulez.
Et deux heures de bonne « rigolade », par les temps qui courent, ce n'est pas à dédaigner.
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