1937
Une famille de 12 enfants
à Plouguerneau
se voit attribuer un prix Cognac-Jay
Source : La Dépêche de Brest 17 décembre 1937
— Connaissez-vous M. Cabon ?
Un geste vague, puis après une hésitation :
— Les Cabon sont nombreux à Plouguerneau.
— Celui que nous cherchons se prénomme Alexandre ; il est père de douze enfants.
— Très bien, il habite au village du Teren.
Prenez la route de Guissény; au carrefour du Vougot, tournez à droite vers le Diouris et prenez le premier chemin carrossable à gauche.
Le village est à quelque distance.
Il habite là une grande maison neuve.
Voici le village desservi par des chemins boueux.
De vieilles fermes y sont rassemblées.
Sur la porte en cintre d'un minuscule immeuble deux petits enfants joufflus à souhait nous sourient fort aimablement.
Mais voici là-bas une maison qui domine toutes les autres de sa haute toiture d'ardoises.
Ce doit être celle que nous cherchons.
Dans un coin de l'aire, bordée d'impressionnants tas de paille, un chien a surgi, d'un bond, de sa niche.
À longueur de chaîne, il décrit des arcs de cercle en aboyant furieusement.
Derrière les vitres du rez-de-chaussée, des têtes d'enfants apparaissent.
Sur le seuil, un grand garçon se présente.
— C'est ici. monsieur.
Mme Cabon, robuste et souriante, nous accueille.
— Oui, c'est vrai, nous avons « gagné » les 20.000 francs du prix Cognacq-Jay.
Nous l'avons appris hier par M. le recteur.
Inutile de lui demander si cette aubaine la rend heureuse.
La joie illumine ses traits.
Elle nous apprend que M. Cabon a quitté la maison quelque temps auparavant pour aller, en compagnie de sa belle-mère, conduire une vache à la foire de Plouguerneau.
Les enfants l'entourent, grands et petits, bruns et blonds, emplissant la pièce où elle nous reçoit.
Curieusement, mais aussi bien sagement, ils suivent l'entretien.
Douze enfants jeunes et robustes, voilà qui représenterait bien de l'animation et du bruit si l'on ne sentait qu'une discipline paternelle mais ferme leur est imposée.
— Mon aîné a 16 ans, reprend Mme Cabon, et mon dernier neuf mois.
— Cela doit vous faire un bien beau livret de famille !
— Oui, dit-elle avec un beau sourire, on a dû y ajouter une feuille.
D'ailleurs le voici, consultez-le.
Nous y voyons qu'Alexandre-Marie Gabon, cultivateur, né en 1892 à Plouguerneau, a épousé une compatriote, Adrienne Nicolas, née en 1901 ;
suit l'énumération des enfants, neuf garçons et trois filles :
Jean-Marie, né en 1921 ;
Joseph, en 1923 ;
Yves, en 1924 ;
Anne-Marie, en 1925 ;
Thérèse, en 1927 ;
François-Marie, en 1928 ;
Suzanne, en 1929 ;
Alexandre, en 1930 ;
Pierre-Marie, en 1933 ;
Eugène, en 1934 ;
Michel, en 1935, et Louis, en mars 1937.
— Nous habitons ici avec ma mère et mon père poursuit Mme Cabon.
Ils possèdent quatre vaches et nous aident sérieusement à faire marcher la ferme car, depuis un an et demi, mon mari travaille à la fonderie, à l'arsenal de Brest.
« Chaque soir, pour rentrer à la maison, il emprunte l'autocar jusqu'au Diouris, puis fait le reste du chemin à bicyclette. »
« Pendant la guerre, il était matelot et il a servi dans la marine pendant sept ans. »
Les enfants écoutent tout cela avec une sagesse attentive.
Comme nous proposons de les photographier, Mme Cabon s'en montre heureuse,
mais tient préalablement à leur faire revêtir leurs habits des dimanches.
Ceci nécessite une véritable mobilisation.
Douze, enfants à parer, c'est là une affaire d'importance.
Mais chacun y met du sien, les aînés aidant les plus petits.
On n'a rien oublié, surtout pas la rectification de la chevelure, et voici toute la famille silencieusement rangée devant la plus haute des meules de paille.
Nous regrettons évidemment l'absence du père, mais la foire n'est pas près de prendre fin.
Pas besoin ici d'invoquer l'apparition du « petit oiseau », tous les enfants demeurent immobiles autour de leur mère.
Nous songions encore à leur attitude disciplinée tandis que nous gagnions Plouguerneau, où nous avions fait le projet de rencontrer M. Cabon.
Mais ici places et rues étaient encombrées.
Tenter de découvrir dans cette foule un homme que nous ne connaissions pas nous apparaissait comme une gageure.
Les réponses à nos questions, renouvelées à chaque pas, nous dirigeaient parfois plein d'espérance.
Mais ici M. Cabon venait de sortir, là on l'avait vu prendre telle direction et toujours la trace se perdait dans la mouvante cohue.
La foire allait prendre fin.
Il nous fallut partir.
Comme il n'est pas douteux que M. Cabon ait été informé de nos recherches, faisons-lui savoir que nous nous proposions tout simplement de lui adresser nos sincères compliments.