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1937

Mélodrame
au tribunal correctionnel

 

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Source : La Dépêche de Brest 3 février 1937

 

M. Victor G..., demeurant à Brest, est un homme pacifique et bien certainement très honnête.

Son passé, ses décorations, sont là qui témoignent en sa faveur.

Il a 56 ans et jamais il n'eût le moindre ennui avec la justice.

C'est un vieux militaire qui n'a jamais connu que le devoir.

 

Comment fut-il amené à comparaître devant le tribunal sous les inculpations variées que voici :

Menaces verbales de mort, violences et voies de fait, port d'arme prohibée, tapage nocturne et ivresse ?

 

Parce que le 4 janvier 1936 il était allé se promener en ville, le cœur triste et tout disposé à faire le bien.

 

C'est tout au moins ce qu'explique le prévenu.

Le 30 décembre donc, il rencontra une jeune femme dont l'état misérable lui fit pitié.

 

Venez chez moi, lui dit-il, je vous donnerai à manger et vous pourrez vous reposer.

 

Ainsi Mme S... fut introduite dans le paisible domicile du retraité.

Elle ne voulut plus en sortir.

Et lui ne voulut pas l'en chasser.

 

Bientôt cependant la vie ne devait plus être possible.

Les scènes violentes se succédèrent jour et nuit.

La nuit surtout.

 

Elle me mord, elle me frappe, elle brise tout chez moi, M. le président, explique l'inculpé.

Elle a même brisé des souvenirs que j'avais rapportés de Chine.

Elle en a pulvérisé un sur mon front.

Violente cette petite ?

Je pense bien.

Mais, voyez-vous, c'est un paquet de nerfs.

Alors, il faut un peu l'excuser.

 

Pour ce qui est de moi, je reconnais tout...

 

Le tribunal est visiblement intéressé.

 

Le 30 décembre dernier, une scène plus bruyante que de coutume mit aux prises M. G... et la jeune Mme S...

 

Voilà un an que cela dure, cria M. G..., j'en ai assez.

 

Et il s'empara d'un revolver.

J'ai tiré en l'air pour lui faire peur.

Et elle s'est sauvée en sautant par-dessus l'enclos du jardin.

 

M Durand. — Croyez-vous que vraiment « elle » a eu peur ?

L'inculpé (souriant). — Pensez-vous !

 

Un voisin, excédé par le bruit, ouvrit sa fenêtre et intima l'ordre à M. G... d'être plus calme.

Nouveau coup de revolver.

 

Le témoin. — M. G... m'a crié : « Descend donc ici, que je te fasse ton Affaire ! ».

 

L'inculpé (bonasse). — J'aime bien mon voisin.

Il y a des choses qu'on peut dire parfois sous l'empire de la colère, mais qu'on ne fait pas.

 

De fait, un dialogue amical s'engage entre les deux... adversaires.

 

Le président. — Vous reconnaissez bien avoir prononcé ces paroles ?

— Mais oui, je reconnais... puisque c'est vrai.

Allez, ce n'était pas méchant !

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M. Durand (au témoin). — M'expliquerez-vous pourquoi M. G... ne chasse pas définitivement cette femme de chez lui' ?

 

Le témoin. — Euh... il m'a dit qu'il n'en trouverait pas une autre aussi bien pour... vivre avec lui.

 

Le président (à l'inculpé). — C'est exact ?

L'inculpé. — Excusez, je suis un peu sourd...

Elle s'absente souvent la nuit et, quand elle est partie, je ne dors pas bien.

 

Une douce hilarité s'empare de la salle.

 

Mme S..., qui n'est d'ailleurs pas une inconnue pour le tribunal, s'est donné l'aspect austère d'une jeune fille timide.

Elle conte avec modération la scène du 30 décembre.

 

Peu après les coups de feu, dit-elle, je suis revenue et j'ai conseillé à M. G... de ramasser son revolver.

Il me frappe trop souvent.

Il me reproche des choses qui ne le regardent pas.

 

Les voisins ont fait une pétition en bonne et due forme pour être débarrassés du couple qui les empêche trop régulièrement de dormir.

 

Le président. — Je comprends cela.

Quant à vous. M. G..., je vous conseille d'aller vivre dans une île déserte

 

M. Durand prononce un réquisitoire très modéré.

Puis Me Lallouet plaide.

Il a fait sourire le tribunal.

La cause est entendue.

 

En ce qui concerne les menaces de mort, M. G... est acquitté.

Il est condamne à 50 francs d'amende pour violences, à 11 francs pour tapage nocturne et à 5 francs pour ivresse.

 

Le président. — Et votre revolver sera confisqué !

L'inculpé (souriant). — Je pense bien... Mais quand faudra-t-il vous l'apporter ?

M. Durand. — Vous avez le temps, monsieur.

À bientôt.

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