1937
Des petits métiers qui disparaissent
Tisserand à Pleuven
Source : La Dépêche de Brest 21 octobre 1937
Dans le coquet bourg de Pleuven, il est une maison retirée où vit seul un célibataire assez âgé...
C'est M. Guillaume Coatmen, le bedeau de la commune.
Il n'y a pas encore très longtemps, du matin au soir il faisait passer et repasser sa navette.
Aujourd'hui c'en est fini.
La navette a cessé de gémir.
Nous lui avons rendu visite.
« C'était autrefois un métier florissant qui nourrissait son homme », nous dit-il.
Plus un seul tisserand n'exerce dans la région.
Et d'ailleurs sont-ils encore nombreux ?
Non.
Il n'en reste pas un par commune.
Ceux qui vivent encore ne travaillent plus, absorbés par d'autres occupations.
M. Coatmen a 70 ans passés.
Son grand-père, son père et lui-même ont successivement tissé le chanvre qu'on leur apportait des campagnes pour faire de la solide toile.
Depuis 2 ans son métier n'a pas marché.
Nous en demandons la raison :
— J'ai tellement de choses à faire qu'il ne m'est pas possible d'être occupé partout.
Et puis, si un beau-jour je décidais de me remettre à mon métier, aurais-je des clients ?
C'est peu probable, car on ne cultive plus le chanvre à la campagne.
On l'a délaissé pour d'autres cultures, depuis que le coton est apparu sur les marchés d'étoffes.
« Néanmoins, de temps en temps, on vient encore me demander de filer le chanvre.
« Tout dernièrement, un curé des environs est venu me porter de la besogne et comme Je lui disais que je ne travaillais plus, il m'a sermonné, amicalement, bien entendu, parce que je laissais disparaître le métier de tisserand.
« Que voulez-vous, ce n'est pas de ma faute quand même... »
— Vous aviez quel âge lorsque vous avez commencé à aider votre père ?
— Ma fois, je n'étais pas très vieux, 12 ans à peine. Je venais de quitter l'école.
C'était un dur métier, je vous assure.
Tenez venez à l'atelier.»
Nous suivons « Pod-Laou » (c'est ainsi qu'on appelle M. Coatmen) dans l'atelier qui occupe l'une des pièces de la maison.
Deux métiers sont là, côte à côte, ensevelis sous divers objets...
— Vous voyez ces deux fenêtres, face à face.
Eh bien! Été comme hiver lorsque mon père et moi travaillions, ces deux fenêtres étaient ouvertes, ce qui fait que nous nous nous trouvions en permanence dans le courant d'air.
Ceci vous étonne !
Pourtant c'est exact.
Il fallait créer du courant d'air pour sécher la bouillie dont nous enduisions les fils, afin qu’ils ne s’effilochent pas.
Quelquefois quand j'avais trop froid, je poussais la fenêtre.
Quand mon père s'en apercevait, il s'emportait contre moi et je devais à mon grand regret rouvrir la fenêtre.
C'était à mon avis le plus gros inconvénient du métier que cette obligation d'être continuellement dans le courant d'air.
En hiver j'étais toujours enrhumé.
Je me demande comment j'ai pu résister.
Puis M. Coatmen de nous montrer les divers modèles de filiers dont le tisserand avait à se servir : Quand le fil cassait, il fallait le nouer et souvent le nœud s'accrochant à la filière, se cassait encore…
C'était désespérant.
Il fallait de la patience pour ne pas planter là son ouvrage.
— Vous aviez beaucoup de travail ?
— Ça oui.
Parce que les tisserands n'étaient pas nombreux et aussi parce qu'on ne s'improvisait pas tisserand.
C'étaient un métier qu'il fallait apprendre avec beaucoup de patience.
Généralement les tisserands se succédaient de père en fils et seuls les membres de la famille exerçaient le métier.
— N'avez-vous pas parfois la visite de curieux qui vous demandent de travailler devant eux ?
— Si, assez fréquemment.
Mais comme c'est tout un train de commencer, je me contente de leur montrer les « outils » et de leur en expliquer l'usage.
Comme je suis le seul tisserand dans la région, c’est à moi que l'on s'adresse.
Autrefois les badauds se groupaient pour voir travailler le tisserand...